Medias
De France 2 à Libé, en passant par France Info, Le Monde et Arte, l’économie a pris une place de premier plan dans les médias en cette rentrée. Une visibilité accrue à la hauteur de la crise actuelle.

Mécanisme européen de stabilité, euro-obligations, dette souveraine: ces expressions barbares font depuis plusieurs mois la une de l'actualité. Après la politique, fin de la période électorale oblige, c'est logiquement sous le signe de l'économie que les médias ont placé cette rentrée. Symbole de ce changement, France 2 a confié la rédaction en chef du service France à François Lenglet, ex-patron des rédactions de BFM Business, de La Tribune et d'Enjeux-Les Echos. Il succède au journaliste politique Fabien Namias, parti à Europe 1.


«Il est clair que l'économie fait partie des priorités de France 2, assure le nouveau rédacteur en chef. Après une année très politique, nous entrons dans une année marquée par les choix économiques et budgétaires du nouveau gouvernement mais aussi par les difficultés de la zone euro.»


Pour expliquer ces enjeux, la chaîne publique multiplie les analyses économiques en plateau, un traitement journalistique longtemps réservé à la politique. Pour servir les propos de François Lenglet, les fameux graphiques qu'il a popularisés durant la campagne présidentielle dans l'émission Des paroles et des actes. «Les graphiques ne sont qu'un instrument. La bataille réside dans la métaphore, le niveau de langue. Il est difficile de simplifier les choses sans les caricaturer», souligne le journaliste.


Comme France 2, Europe 1 a décidé de parler davantage d'économie. «Dans beaucoup de médias, y compris sur Europe 1, le traitement de l'économie se réduisait jusque-là à des rendez-vous spéciaux et à des sujets consommation dans les journaux, estime Fabien Namias. Aujourd'hui, nous voulons réintroduire dans les tranches d'information des sujets lourds, sur la macroéconomie, l'emploi...»


Dans son viseur notamment, les décisions de la Banque centrale européenne qu'il faut expliquer davantage, mais aussi les mesures prises par d'autres pays européens pour sortir de la crise. «Dans les journaux, nous devons mettre l'accent sur le reportage, le décryptage, l'analyse. Il faut regarder ce que font nos voisins européens, comprendre pourquoi les Allemands prennent telle ou telle décision, comment les Anglais font pour baisser le prix des carburants», souligne le directeur de la rédaction d'Europe 1.

 

Prendre l'économie à bras-le-corps


A France Inter, c'est surtout le traitement de la vie des entreprises qui est renforcé. «Historiquement, la station parle plus de macroéconomie et de social que des entreprises et de leurs stratégies», estime Philippe Lefébure, responsable du service économie. Objectif pour la station, inviter davantage de patrons dans la matinale et le samedi dans l'émission On n'arrête pas l'éco. «La différence, pour nous, se fera sur les invités de 8h20. Les auditeurs de France Inter aiment beaucoup les invités économiques. Ce sont nos meilleures journées d'appels», ajoute le journaliste. Autre nouveauté sur la station publique, l'édito de l'ancien patron des Echos, Nicolas Beytout, tous les lundis à 8h40.


«Cette crise, associée à la campagne présidentielle, a obligé les journalistes à prendre à bras-le-corps les questions économiques, renchérit Jacques Esnous, directeur de l'information de RTL. Elle oblige les médias à être plus pédagogiques, eux qui sont historiquement plus prompts à expliquer les conséquences sociales de la crise que ses causes économiques».


Autre aspect traité sur les ondes en cette rentrée, l'argent des Français. «L'économie, c'est aussi ça, la vie quotidienne, le pouvoir d'achat», explique Armelle Levy, en charge de RTL Conso matin, une nouvelle chronique quotidienne où elle traite autant du prix de la baguette que du coût de la rentrée des classes. Dans Carte de crédit, tous les vendredis sur France Info, Chloé Leprince propose, de son côté, une radioscopie de la société à travers le rapport des Français à l'argent. «Dans un monde où nous sommes bombardés de chiffres, j'essaie de donner un temps pour réfléchir à ce que nos comportements économiques et budgétaires disent de nous», explique la journaliste.


Même tendance en presse écrite, avec de nouveaux suppléments économiques pour Le Monde et Libération. Sous l'impulsion du directeur de la rédaction du quotidien du soir, Erik Izraelewicz, dont le parcours est très lié à la presse économique (il a dirigé Les Echos et La Tribune), et de Philippe Escande, ancien éditorialiste aux Echos, Le Monde a doublé la pagination de son cahier économie avant l'été, et l'a rebaptisé Le Monde Eco & entreprise. De nouvelles rubriques ont fait leur apparition, notamment sur l'innovation, le patrimoine et le management. La ligne éditoriale a, quant à elle, été élargie à la vie des sociétés.


D'ici à la fin octobre, un supplément Argent doit également voir le jour, de même qu'une rubrique Finances personnelles sur le site du Monde.fr. Des projets pour lesquels Frédéric Cazenave a récemment été débauché de Capital.fr. «Nous voulons aussi être plus forts sur tout ce qui est émergent, comme les nouvelles technologies, l'innovation, le green business, les pays émergents», assure Erik Izraelewicz (une formule qui rappelle celle expérimentée sous sa houlette par La Tribune en 2008).


Egalement ancien des Echos et de La Tribune, Jean-Christophe Féraud, rédacteur en chef du nouveau supplément hebdomadaire de Libération, Eco futur, met lui l'accent sur les mutations induites par l'innovation. «Depuis l'éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, la presse parle moins d'innovation dans le domaine économique, constate-t-il. Pourtant le numérique est une nouvelle révolution industrielle, qui affecte toute l'économie au même titre que le défi énergique et climatique ou encore l'économie sociale et solidaire». Au sommaire, des décryptages des grandes tendances qui vont affecter la production et la consommation demain. «Ils sont toujours là ces chercheurs, ingénieurs, “start-upers”, petits et grands industriels qui n'ont pas renoncé à inventer l'avenir dans l'étau de la crise», explique le journaliste dans le premier numéro d'Eco futur, sorti le 17 septembre.


C'est dans ce contexte que le quotidien Les Echos, dont la diffusion a augmenté de 1,5% au premier semestre, lancera une nouvelle formule mi-novembre. Courant octobre, son site fera l'objet d'une refonte et un nouvel espace sera mis en ligne, Les Echos Business. Comme France 2, les chaînes de télévision ne sont pas en reste, avec notamment un nouveau magazine mensuel sur France 3 consacré à la géopolitique et à l'économie, Le Monde d'après. «Du fait de la crise, il y a peut-être un réveil des médias audiovisuels sur les questions économiques. Je suis stupéfait qu'à part Capital sur M6, aucune grande chaîne n'ait d'émission économique hebdomadaire. C'est un scandale», regrette Erik Izraelewicz.

 

Signe que les choses sont peut-être en train de changer: début septembre, Arte a battu un record d'audience (717 000 téléspectateurs, 2,7% de part de marché) avec la diffusion à 20h50 du documentaire Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde. Qui a dit que la finance était un sujet trop austère pour la télé?

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