En 2013, les effets de la quasi-recession économique vont vraiment se faire sentir sur les dépenses de communication, les agences et les médias

Alors que l'horizon des investissements publicitaires semble s'éclaircir au niveau mondial (+4,1% en 2013 et +5,6% en 2015, selon Zenith-Optimedia), l'Europe et singulièrement la France ne sont pas près de sortir du marasme qu'elles subissent depuis 2008. Après une baisse de 1,9% l'an dernier, 2013 devrait en effet se solder par un recul de 1,3 ou 1,4%, selon les prévisionnistes. La filiale médias de Publicis Groupe ne prévoit une stabilisation qu'en 2014, de 0,3% (+1,1% en 2015).

Et ce n'est pas Maurice Lévy, président du groupe leader en France, qui donnera du baume au cœur des acteurs du marché. Dans un entretien publié dans L'Express le 2 janvier dernier, il va même au-delà des prévisions de sa filiale: «Le marché de la publicité (…) ne se porte pas bien, et le ralentissement auquel nous assistons depuis l'été dernier s'est encore accentué. (…) En 2013, le marché sera en recul, de l'ordre de 1,5 à 2 points.»

Autant dire que l'ambiance n'est pas à la fête. Après deux années de baisse, ce n'est donc pas de sitôt que les ventes de champagne vont redécoller! Une croissance atone voire en repli, un coût des matières premières qui s'envole, des distributeurs qui mettent la pression, la nécessité d'aider les filiales italiennes ou espagnoles en difficulté, un chômage en augmentation continue depuis mai 2011 et une consommation des ménages incertaine… la conjoncture incite les annonceurs à optimiser leurs dépenses.

Une rationalisation qui, comme par le passé, devrait se traduire par une forte pression sur le coût des médias et sur les marges des agences de communication. Si les prévisions en bruts restent somme toute contenues, les dépenses nettes des annonceurs, elles, seraient en chute libre: certains évoquent des chiffres de –15% à –20%.

«Certains nous disent que leur budget baisse de 10 à 15% et nous demandent une remise identique. Ils exigent une baisse alors qu'ils prennent 15% de marchandises en moins. Mais ils ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de tuer le média», s'alarme Martine Hollinger, présidente de TF1 Publicité.

De son côté, Régine Tournier, directrice déléguée achat d'Havas Media, rappelle que «trop désinvestir se paie à court ou moyen terme. Beaucoup d'annonceurs ont retenu la leçon de 2009: la baisse de 10% des investissements publicitaires s'était soldée par de fortes pertes de parts de marché.»

«Dans ce contexte d'incertitude, la tendance est à reproduire ce qui s'est fait à la fin de l'année dernière, donc à jouer la prudence», reconnaît Didier Beauclair, directeur médias et relations agences de l'Union des annonceurs (UDA).

Si, en 2012, le secteur automobile s'est plutôt bien tenu, beaucoup s'attendent cette année à un repli, compte tenu du dévissage des ventes des constructeurs français. Mais ces derniers, gros investisseurs médias, peuvent-ils se permettre de rester les bras croisés face à la pression concurrentielle des marques étrangères?

Quant à l'alimentation, dont les investissements pourraient au mieux stagner voire baisser, elle ne devrait guère réconforter les régies TV, ce secteur étant l'un de leurs principaux clients, tout comme l'automobile. Et ce n'est pas du côté de la distribution, en partie interdite de petit écran et dont les dépenses sont en croissance régulières ces trois dernières années, que viendra le coup de pouce.

Restent ces inconnues que sont les secteurs de la banque-assurance et des télécoms, en fort recul en 2012, même si, pour ces derniers, les investissements en production de contenus, en «social media» et en événementiel ne sont pas aussi bien pigés que les dépenses médias traditionnelles.

«Nous constatons une baisse de 5 à 10% des budgets médias prévisionnels de nos clients, mais ils ont toujours des réserves qu'ils dégèlent en fonction de l'état du marché. Tout dépendra de la consommation du début d'année», note Sébastien Danet, président de l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam) et de Vivaki France (Publicis).

La ligne du bas des bilans

Mais, au final, la situation est plutôt perçue par les annonceurs comme… une source d'opportunités. «Avec des tarifs bruts qui ne cessent d'augmenter et des prix nets en constante baisse, nous sommes arrivés à une déconnection totale de la réalité du marché», constate Didier Beauclair.

 

«Avec les six nouvelles chaînes de la TNT, qui accroissent le stock de secondes disponibles sans forcément des GRP en face et qui donnent accès à de nouvelles cibles – les hommes avec le sport, les CSP+ avec les chaînes de Canal+…, la fragmentation de l'offre TV aura inévitablement un impact sur les coûts», poursuit le directeur médias de l'UDA, qui estime qu'avec la baisse du ticket d'entrée à la TV, de nouveaux annonceurs pourraient apparaître. Idem, selon lui, pour Internet, les annonceurs locaux profiteraient de l'essor des vidéos online. Sébastien Danet, de l'Udecam, confirme: «Avec l'émergence de nouveaux acteurs sur la TV comme Next Radio, NRJ et Amaury, la compétition entre régies va être très dure, avec des tensions sur la valeur. En revanche, sur Internet, 23% du marché, avec les ad-exchanges proposant des ciblages et des offres plus compétitifs, annonceurs, éditeurs et agences peuvent tous tirer leur épingle du jeu.»

Les agences-conseils en communication, elles, s'attendent à une année très tendue. «Pourtant, l'activité de nos clients n'est pas si touchée que cela, la consommation tient encore, remarque Frédéric Winckler, président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC). En fait, nous faisons face à une crise psychologique.»

Une crise qui s'est traduite à la fin de l'année dernière par une baisse sensible des budgets et ce en pleine période de renégociation des honoraires des agences. «Désormais, le travail des agences est orienté par la ligne du bas de bilan des clients, cela se traduit par des communications conservatrices ou purement promotionnelles. Ce n'est pas comme cela que l'on construit une marque», estime Gilles Masson, président-fondateur de M&C Saatchi GAD, pour qui la crise est plutôt le moment de prendre des risques.

C'est aussi le moment pour les agences de marquer plus que jamais leur différence. «Plus l'ambition créative et le positionnement de l'agence sont forts, mieux elle vend ses honoraires», lance Frédéric Winckler, qui regrette qu'en matière de digital, «les agences, qui ne gagnent pas d'argent sur ce marché, privilégient de plus en plus des opérations répétitives aux dépens de l'expérimentation».

Entre pragmatisme…

Quoi qu'il en soit, après les crises de 2001 et de 2008, les agences-conseils ont dû s'adapter. La principale variable d'ajustement restant toujours l'emploi, elles privilégient désormais les CDD, les free-lances et un plus grand turn-over interne sur les dossiers. «Le marché s'aligne de plus en plus sur le mode de management des agences digitales», avance Frédéric Winckler.

Petite note d'optimisme, la tendance à la baisse (en valeur) des investissements publicitaires de ces dix dernières années s'est arrêtée. «En 2008, nous avons touché le fond. Si ces deux dernières années la corrélation PIB/investissements publicitaires avait suivi la même évolution qu'entre 2000 et 2008, le marché aurait dû baisser de 5 à 6%. Cela n'a pas été le cas. Nous sommes désormais en phase de reconstruction de la valeur», assure Xavier Guillon, directeur général de France Pub, pour qui cette valeur se déplace de plus en plus vers le médiaplanning et le planning stratégique, autrement dit la stratégie des moyens.

Les médias, eux, ont commencé à subir de plein fouet la crise dès 2012 et leurs régies s'entendent à dire que les difficultés à venir arrivent plutôt en prolongement des mauvais résultats du 2e semestre. Lagardère Publicité, qui a des intérêts dans quatre médias (presse magazine, radio, télévision et Internet), est bien placé pour jouer les sismographes de la conjoncture ambiante. En 2012, la régie s'attend à un recul de 3 ou 4% de son chiffre d'affaires net, dont une baisse de 5% pour la presse. «On baisse, on baisse, mais il n'y a pas encore de mort, explique sa présidente Constance Benqué. S'il y a pression sur les prix? Oui, mais je maintiens une stratégie de valeur. Avec les longues vacances de Noël, le début d'année semble se reporter à février ou mars. Et si ce n'est pas le cas, c'est très calme… On sent une grande prudence et on se demande si l'année va débuter.» Seul rayon de soleil, pâle: la radio qui sera stable, voire positive en janvier. Mais le média, qui génère du trafic dans les magasins et permet de déstocker des produits en promotion, a toujours été un révélateur de crise…

La régie constate qu'il y a de moins en moins d'annonceurs qui veulent s'engager. La solution? «Etre à l'écoute, répond Constance Benqué. Essayer de répondre à la demande des clients et être créatif à travers les opérations spéciales, en allant main dans la main avec la rédaction.»

A IP, la régie de RTL, son directeur général évoque aussi un moins de janvier «équivalent». Les atouts de la radio se retrouvent dans un ticket d'entrée bas, des leviers d'efficacité à travers des écrans puissants et un positionnement de média tactique qui n'intègre pas la réflexion stratégique des marques: «On peut aller voir un client pour lui demander s'il n'aurait pas quelques euros», schématise Guillaume Astruc. Lui aussi affirme arriver à tenir ses prix: «C'est notre responsabilité de régie leader, mais je reste pragmatique et je ne veux pas donner de leçons alors que nous avons la crainte d'une pression encore plus forte.»

… et pessimisme

Mais c'est en presse quotidienne nationale que la situation se révèle particulièrement tendue, comme l'illustre la baisse de 9,4% des investissements bruts observée par Kantar Media pour cette famille de presse en 2012. «Les prévisions sont très pessimistes pour l'ensemble de l'année, prévient Pierre Conte, président de Figaro Media. Le marché s'est tendu en septembre-octobre et cela peut tourner assez vite à la panique. On ne peut pas faire n'importe quoi au niveau des prix.» Le groupe a déjà annoncé un plan de 70 à 90 départs volontaires, sur  un effectif de 880 personnes. Sans compter les ruptures volontaires, qui lui ont permis d'éviter un plan social à la régie.

Alors que la différence entre le brut et le net se serait encore accrue dans ce média (autour de 5 points, selon certaines sources), Pierre Conte table sur ses activités digitales et les revenus tiré de l'ad-exchange La Place Media. «Ce sont des périodes de négociation très dures, du type “à prendre ou à laisser”, souligne-t-il. Mais je vois se profiler un marché de choix. Un annonceur peut réduire son budget de 10%, mais faire des choix dans les médias en contrepartie d'une collaboration plus globale, avec de la data, du publishing ou du brand content.»

A la télévision, la dégradation des prix est aussi réelle pour les grandes chaînes sur les trois premiers trimestres de 2012. Selon nos informations, la différence entre les prix bruts et nets s'est accrue en l'an dernier: elle était de 57,2% pour TF1 et de 55,5% pour M6 en 2012, contre respectivement 52,7% et 53,3% en 2011. Pour 100 euros investis au tarif brut recensé par Kantar sur la Une, 42,8 euros sont réellement payés.

En annonçant un plan d'économies de 85 millions d'euros d'ici à 2014, le groupe TF1 a reconnu «une pression accrue sur les prix au cours de l'été». La concurrence de M6, qui a décidé à ce moment-là d'entrer dans une stratégie de conquête de parts de marché, n'y est sans doute pas étrangère.

Selon Martine Hollinger, président de TF1 Publicité, la chaîne a segmenté son offre en proposant des GRP garantis nets en échange d'une programmation internalisée des écrans. Sur le day time, notamment le matin et la nuit, elle se montre plus souple alors que sur le peak time, en première partie de soirée, elle tâche de garder ses prix avec ses écrans first au tarif majoré, qui garantissent de la puissance (grandes séries, sport, grands films).

La régie a beau démontrer son efficacité sur les ventes via Kantar Mediaway, commercialiser sa catch-up TV et des opérations spéciales utilisant le deuxième écran (tablette, ordinateur…), elle ne parvient pas retrouver ses recettes, même quand l'audience de TF1 se stabilise.

Une pression normale vu le contexte

De quoi s'interroger à nouveau sur les compétions d'agence médias où le taux devient un élément de conquête du budget et donne lieu à rémunération sous forme d'incentive: «Est-ce licite au regard de la loi Sapin? Le taux appartient à l'annonceur, pas à l'agence. Quand une agence s'engage sur un taux, un coût GRP, elle le fait sur notre dos (...). J'ai parfois l'impression qu'on nous traite comme une chaîne de la TNT», lance Martine Hollinger.

A M6, on s'attend à une nouvelle baisse sur le marché. «La pression est normale dans ce contexte. La chaîne est portée par le développement de ses audiences et un déficit d'investissement, dit Robin Leproux, vice-président du groupe. Nous sommes en conquête: dès lors qu'il y a un gain de part de marché en notre faveur, nous sommes prêts à le rémunérer.» La régie table aussi sur le brand content, la télévision enrichie avec Orange et une application M6 qui est la plus téléchargée sur l'App Store et sera bientôt sur Android. «La consommation passe de plus en plus par le deuxième écran, avec lequel on veut interagir», ajoute-t-il.

Pour le reste, Robin Leproux pense que si la pléthore d'offres redonne l'avantage à la demande, elle favorise aussi les grandes chaînes: «Plus nous sommes dans une fragmentation, plus cela fait ressortir la singularité de TF1 et M6, qui peuvent apporter des GRP considérables.»

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