LVMH en quête d'incarnation positive via les "Journées Particulières" ( les 15 et juin) dans ses maisons de luxe, PPR rebaptisé Kering, Procter & Gamble, ombrelle jouant le rôle de caution, France Télécom prenant le nom de sa marque Orange: l'actualité de ces entreprises révèle l'enjeu de la valorisation de la marque corporate dans une nouvelle interaction avec ses marques commerciales.

«Dans les coulisses du rêve.» La signature publicitaire de la deuxième édition des «journées particulières» de LVMH, qui ouvre les portes de ses «Maisons» les 15 et 16 juin, ne laisse aucun doute sur l'enjeu de cette opération de séduction. Destiné au grand public, cet événement joue sur l'imaginaire du luxe dont la vocation est de «vendre du rêve».

«Plus de quarante lieux ouvrent leur porte pour vous faire découvrir les savoir-faire et les métiers des 100 000 hommes et femmes de notre groupe, explique le président de LVMH, Bernard Arnault, sur le site Internet de l'opération. Et (vous faire) partager la passion de ces artisans unis par un même goût de l'excellence.» Tirant sur cette corde glamour, une vidéo met en scène le témoignage «lyrique» de visiteurs (une petite fille, une jeune femme et un retraité) de 2011, exprimant leur souvenir avec force émotion.

On est évidemment là dans une opération de «storytelling». Orchestrée par Havas Paris, elle vise à nourrir l'image corporate de LVMH et l'imaginaire de l'opinion, en préemptant les thèmes du patrimoine et des savoir-faire ancestraux qui sont le socle commun des marques (Dior, Louis Vuitton, Chaumet, Moët & Chandon, Hennessy…) composant le groupe, mais pas des items qui lui sont attribués. Et pour cause: LVMH est une holding financière. «Le groupe LVMH communiquait beaucoup sur ses performances financières, mais pas assez sur son savoir-faire et son histoire», expliquait Antoine Arnault, directeur général de Berluti, en 2011 pour justifier ce projet de portes ouvertes.

LVMH, qui n'est pas un «pure player» du luxe (comme le sont Hermès ou Chanel), n'avait jamais cherché à s'incarner dans ses «Maisons» et à profiter de leur image positive auprès de l'opinion. Aujourd'hui, cette incarnation semble nécessaire à la fois pour corriger une mauvaise image qui perdure et, plus globalement, pour donner de la proximité à la holding et lui assurer une visibilité positive auprès de l'opinion, en l'engageant dans une visite privée et une expérience personnelle et émotionnelle avec ses marques. Gilles Lipovetsky et Jean Serro évoquent dans leur ouvrage "L'esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artiste" (Gallimard mars 2013) comment l'esthétique est devenue une stratégie du capitalisme.

«La valeur de la marque mère est dans la valeur des filles», estime Robert Zarader, président de l'agence corporate Equancy & Co. «Si LVMH peut exister par ses “Maisons”, souligne le directeur de la communication du groupe, Bruno-Roland Bernard, notre obsession reste de ne pas empiéter sur le territoire des marques qui sont indépendantes et maîtresses de leur perception.» Attention, le luxe est unique, pas de caution!

Travailler la réputation...

Corriger, gommer une mauvaise image… Régulièrement traité de «prédateur» dans les médias depuis sa prise de contrôle de Boussac en 1984, Bernard Arnault et LVMH ont à nouveau été montrés du doigt lors de la montée surprise, en 2010, dans le capital d'Hermès, défendue par la presse comme «l'artisan créatif», «la pépite» à sauver de l'ambition de l'homme d'affaires. Et alors que cette opération boursière continue de défrayer la chronique (procès d'Hermès, demande de l'Autorité des marchés financiers le 31 mai d'une sanction de 10 millions d'euros pour préméditation et non tranparence...), Bernard Arnault a encore nourri le «bad buzz» avec sa demande de nationalité belge en septembre 2012, perçue comme une volonté d'exil fiscal du plus mauvais effet . Au point que le milliardaire (qui a porté plainte contre Libération pour injures publiques à la suite de sa une, "casse toi riche con ") a dû faire son mea culpa et annoncer y renoncer dans une interview au Monde en avril dernier. «J'ai sous-estimé l'impact de cette démarche, dont on m'avait assuré qu'elle se ferait dans la plus grande discrétion», reconnaît-il, indiquant avoir, en vain, expliqué qu'il resterait résident en France et continuerait d'y payer ses impôts. Et d'ajouter: «LVMH est un groupe leader, qui crée des emplois d'artisans en France – 3 000 embauches au total en 2012 –, où il fabrique l'essentiel de ses produits. C'est ce combat que je veux mener. Je ne veux plus être associé à une situation où l'on peut soupçonner que je souhaite l'exil fiscal. Et comme le groupe LVMH et toutes ses marques représentent la France dans le monde entier, cette polémique pouvait avoir une incidence sur l'image qu'il représente. Il y avait une incompatibilité entre cette polémique et les valeurs de notre maison».

On ne sera pas surpris que le directeur de la communication de LVMH ne soit pas enclin à commenter cette question de réputation malmenée. Mais Bruno-Roland Bernard convient que «l'enjeu est de reprendre la main pour faire connaître LVMH, afin que le groupe soit compris et apprécié pour ce qu'il est, et moins sujet à une distorsion de son image». C'est bien le rôle de ces portes ouvertes, sorte de "prise en otage glamour" d'une opinion consentante et comblée. «Toutes les audiences qu'on veut cibler – étudiants, décideurs économiques, analystes financiers – se retrouvent dans le grand public, poursuit le directeur de la communication. Les médias sociaux qui rendent compte de cette opération sont une caisse de résonance de l'opinion générale positive.»

A cet égard, Hélène Freyss, directrice déléguée d'Havas en France, qui conseille LVMH, souligne que «cette édition, qui continue à préempter le territoire du patrimoine (communiquer c'est répéter, dit-elle), s'est enrichie en mettant l'accent sur les métiers, l'emploi et la transmission des savoir-faire dans chacune des “Maisons”». Se donner une âme et rappeler que le groupe créé des emplois... «Les gens ne connaissent pas précisément LVMH et l'effet de révélation est, ici, un levier positif», poursuit-elle. 

En effet, il y a deux ans, l'événement a été un vrai succès populaire (et une source de fierté en interne, précise-t-on dans le groupe), à en juger par quelque 100 000 visiteurs, les retombées presse et les blogs, le 1,5 million de pages vues sur le site, les 45 000 fans sur Facebook et les remerciements dithyrambiques dans les livres d'or.

«Créer un événement pour redevenir maître de l'agenda médiatique»

«L'exposition forte et accrue des holdings dans la presse économique et financière en fait des objets d'attention médiatique, terreau des crises d'image, décrypte Jean-Christophe Alquier, président d'Alquier Communication. Pour en sortir, il faut des initiatives de communication qui travaillent la réputation. C'est ce que fait LVMH, qui est un acronyme inconnu du grand public, en donnant du sens à sa raison sociale à travers la visite de ses “Maisons”, seul moyen pour créer de la proximité avec l'opinion. De même, pour ne plus être un objet médiatique, mais redevenir sujet, il faut créer un événement qui permette d'être à nouveau maître de l'agenda médiatique.» Sur ce point, les «Journées particulières» sont stratégiquement remarquables car, en ciblant le grand public, elles permettent de sortir du champ de la presse financière et de toucher les journalistes des pages culture, sorties, art de vivre qui, par leur production éditoriale – issue de contenus divers en phase avec l'attente d'un public avide d'accéder aux coulisses et fournis par LVMH et son agence de RP, DGM Conseil – contribue à donner consistance à cette image patrimoniale du groupe… en creux. Pour laisser la primauté aux “Maisons” répète le groupe, il n'y a pas eu de conférence de presse de LVMH et de discours globalisant.Lequel aurait-il pu être d'ailleurs? «Si cette opération permet de faire connaître le groupe dans sa richesse et sa diversité, observe Jean Christophe Alquier, on peut tout de même s'interroger sur l'événement lui même, et sur ce qu'il y a de généreux à proposer au grand public de pousser les portes du patrimoine du propriétaire de LVMH.»

«Donner de la valeur à la marque corporate»

LVMH aura à peine refermé les portes de ses sanctuaires que son concurrent PPR (Gucci, Yves Saint Laurent…) changera officiellement d'identité le 18 juin. «Nous ne sommes plus le conglomérat opérationnel et financier d'il y a quelques années, mais bien un groupe qui a choisi de se développer autour du luxe, du sport et du “lifestyle”», justifiait son président, François-Henri Pinault, lors de l'annonce de ce changement de nom.

«En donnant du sens à sa stratégie et à son positionnement, la holding montre qu'elle devient une marque entreprise, c'est-à-dire un corps social avec des responsabilités, des engagements», confirme Elisabeth Coutureau, vice-présidente de TBWA Corporate, en charge de la campagne mondiale de ce changement de nom. Un nom trouvé par Havas Lifestyle et Dragon rouge. «Ker» (foyer en breton) est une allusion aux origines de la famille Pinault et «Ing» renvoie à la dimension internationale du groupe qui, en 2013, réalisera en France seulement 5% de son chiffre d'affaires. Kering, «la maison de marques», s'entend aussi comme «caring» en anglais qui veut dire «prendre soin de ses marques, de ses collaborateurs, de ses partenaires et de l'environnement, qui caractérise le groupe», précise un communiqué de ce dernier. Ajoutons que l'équivalent en chinois de Kering, "Kai Yun", est synonyme de "ciel qui s'ouvre" et de bonne fortune. Une chouette, "animal de la sagesse et symbolisant la vision à long terme" porte le logo. Enfin, à partir de la plate-forme de marque, «Empowering Imagination», définie par Dragon rouge, la campagne de TBWA Corporate à cherché à dire que «Kering prend soin de l'imagination pour qu'elle devienne réalité». A surveiller! Pour Elisabeth Coutureau, par ailleurs présidente de l'AACC Corporate, «les communications de LVMH et Kering répondent à des circonstances différentes, mais ont le même enjeu de donner de la valeur à leur marque corporate. Il s'agit de répondre au besoin de savoir qui est “derrière” les marques que nous connaissons tous. Et répondre à cette question, c'est faire valoir l'utilité propre de l'entreprise. Ce faisant, elles constituent le socle d'une confiance, et même d'une préférence, pour leurs clients, partenaires, collaborateurs, leaders d'opinion et les marchés financiers».

Ce commentaire vaut pour Procter & Gamble (P&G), qui mène actuellement et jusqu'à fin août, dans les magasins, en France et dans le monde, une opération promotionnelle multimarques avec pour slogan «Essayez les… P&G l'innovation à votre service». A la clé: des coupons de réduction sur tous les produits du groupe de grande consommation (Ariel, Pampers, Oral B, Gillette, etc.).

Entre réassurance et caution

Jamais, dans son histoire, P&G n'avait joué cette logique de marque ombrelle et mené une communication corporate grand public. «Jusque-là, on communiquait sur les produits et la force de nos marques sans faire le lien avec le groupe, explique Ségolène Moreau, responsable de la communication corporate de P&G France. Mais dans un monde plus ouvert, les consommateurs veulent de la transparence et savoir qui sont les entreprises derrière les marques.» Il aura fallu attendre 175 ans et les Jeux olympiques de Londres en 2012 pour que P&G, partenaire du Comité international olympique (CIO) pour dix ans, se lance avec la campagne corporate «Merci maman».

«Avec 500 millions de dollars de ventes incrémentales, soit une hausse estimée de 5 à 20%, l'effet de halo recherché a été atteint, poursuit Ségolène Moreau. Nous croyons au bénéfice “business” d'une campagne corporate multimarque qui incite les consommateurs à essayer nos produits quand ils savent qu'ils viennent de la même entreprise. C'est lié à la force de la réputation de nos marques et à la performance de nos produits.» Du coup, les copies publicitaires des marques vont toutes arborer d'ici cet été un tag P&G à la fin des spots.

«Dans un environnement fortement concurrentiel, cette démarche de Procter & Gamble répond à une logique de rationalisation et d'économies d'échelle, observe Robert Zarader, d'Equancy & Co. En portant ses marques, P&G exprime la puissance d'un groupe qui joue ce rôle de caution de qualité en donnant de la réassurance. Cette posture signifie aussi que P&G va devoir nourrir sa marque corporate».

Une logique de simplification et d'harmonisation

«Procter prend acte que, désormais, le consommateur n'achète pas simplement une lessive, mais une référence à un groupe, des valeurs, un engagement…», ajoute Marc Saint-Ouen, directeur général de Meanings. «La crise, le besoin de rationalisation et la mondialisation ont conduit Procter & Gamble à faire cette révolution culturelle de la marque produit à la marque corporate multiproduit, confirme Georges Lewi, spécialiste des marques. Historiquement, l'agroalimentaire, avec Nestlé et Danone, a été le premier secteur à comprendre l'atout de faire de la marque corporate une caution – donnant d'ailleurs le nom de la marque commerciale au groupe – afin, notamment, de faire des économies à chaque lancement de produits.»

C'est aujourd'hui au groupe France Télecom de prendre le nom de sa marque commerciale, Orange, à compter du 1er juillet, soulignant la fin d'un service public national de télécommunications à l'heure de la concurrence mondiale. «Avec Orange, il s'agit de créer une marque mondiale dans une logique de simplification et d'harmonisation vis-à-vis de ses produits commerciaux et de ses trente et une filiales, qui portent déjà ce nom dans le monde», indique Jean-Bernard Orsini, directeur du service de presse.

Autant de signes qui, pour Elisabeth Coutureau, de TBWA Corporate, «font la preuve de la sensibilité à la marque entreprise qui a de plus en plus d'impact dans le processus de préférence des publics, et donc de création de “business”».

Cathy Leitus 

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