Souvent accusées de gabegie, les collectivités locales ne cessent de professionnaliser leur communication avec, pour dernier leitmotiv, la création de marques territoriales. Une tendance de fond soumise toutefois à de fortes contraintes budgétaires.

A six mois des élections municipales qui se tiendront les 20 et 30 mars prochain, les collectivités locales sont, côté communication, au régime sec. Depuis la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, il est en effet interdit de mener des campagnes de promotion des réalisations d'une collectivité six mois avant une échéance électorale. Depuis le 1er septembre, tous les services de communication territoriaux limitent donc au minimum leur prise de parole.

Mais cette parenthèse toute française ne doit pas faire oublier les mutations que connaissent depuis quelques années les collectivités. Nullement épargnées par la révolution numérique, elles doivent par ailleurs faire face à une concurrence accrue sur le terrain du marketing territorial alors même que les restrictions budgétaires auxquelles elles ont soumises n'épargnent pas la communication.

De fait, ces trois dernières années, Cap'Com, le réseau de la communication publique et territoriale, a enregistré une baisse continue des budgets. "Depuis 2010, le budget communication de la région Auvergne a baissé de 25% pour s'établir cette année à 1,5 million d'euros", confirme François Kuss, directeur de la communication de la région.

Plus fortes au sein des départements où l'on note des économies allant jusqu'à -20%, ces coupes sont toutefois bien moindre au sein des intercommunalités et notamment des communautés de communes, nouvel échelon local créé en 1992 et qui connaît un énorme succès, avec à ce jour plus de 2 200 entités constituées. "Nous avons tout de même enregistré une baisse de notre budget de l'ordre de 2 à 3% par an depuis 2010", note Marc Thébault, directeur de la communication de la communauté d'agglomération Caen La Mer dont le budget s'élève à 600 000 euros. 

Si la rigueur n'épargne personne aujourd'hui, la quasi totalité des communes et communautés d'agglomérations de plus de 5 000 habitants, des départements et des régions disposent d'un service de communication. Cap'Com répertorie plus de 20 000 communicants en France, soit 1% de la fonction publique et estime à 1,5 milliard d'euros les investissments de communication des collectivités, soit 1% de leur budget de fonctionnement.

Bien loin des estimations avancées par René Dosière, député de l'Aisne et grand pourfendeur de la "gabegie" publique, qui évalue entre 6 et 10 milliards d'euros, les sommes consacrées par les collectivités territoriales à la communication.

"Il est très difficile de donner un chiffre précis, cela varie selon ce que telle collectivité intègre ou non à son budget de communication. Certaines y incluent les frais de protocole ou l'accueil, d'autres ne comptabilisent pas la promotion du territoire géré par l'agence de développement local", commente Bernard Deljarrie, délégué général de Cap'Com qui souligne que la somme consacrée par les collectivités à la communication est inférieure au budget cumulé des cinq premiers annonceurs français. Soit une quinzaine d'euros par an et par habitant. 

Ces dépenses, somme toute modestes, sont pourtant souvent sujettes à polémique, tant la communication publique est suspectée de servir avant tout à la réélection des équipes en place. Régulièrement, le Parlement sort de son chapeau une proposition de loi tendant à limiter les dépenses de communication des collectivités territoriales, comme ce texte déposé en février 2008 par le député de la Lozère, Pierre Morel-A-L'Huissier, qui visait à les limiter à 0,3% de leur budget global. Des textes tout aussi régulièrement rejetés par des députés, bien souvent également élus locaux, au nom de "l'obligation de rendre compte de la politique publique".

Calcul fourre-tout

Ces tentatives de restriction sont souvent aiguillonnées par les médias. Fin décembre 2012 puis début janvier 2013, deux articles "Les folies de nos élus locaux" du Figaro et "Combien votre ville dépense-t-elle pour sa com' et ses élus locaux ?" de Rue 89 ont pointé du doigt des budgets communication des collectivités "en hausse, malgré la crise". A la base de leur enquête, une étude de l'agence de notation Public evaluation system (PES) aussitôt contestée par les collectivités mettant en cause un calcul fourre-tout comprenant entre autres cérémonies, foires, expositions et autres catalogues ne relevant pas de la communication publique.

Au-delà de ce débat d'experts en comptabilité publique, la superposition des administrations locales (communes, communautés de communes, départements et régions sans parler des organismes de promotion touristique ou économique) n'arrange rien à l'affaire. "Entre communes et intercommunalités notamment, il y a encore des marges d'optimisation. Des doublons subsistent par exemple sur les services vidéo et les prestations d'impression", reconnaît Bernard Deljarrie. Ceci dit, tous le communicants publics constatent que leurs missions ne cessent d'augmenter: 83% d'entre eux ont en tout cas ce sentiment, selon une enquête menée en 2011 par Cap'Com.

Or, en termes d'efficacité, leur marge de progression est encore grande si l'on en croit le tout dernier baromètre Epiceum et Harris interactive de la communication locale réalisé en partenariat avec La Poste, Cap'Com et Acteurs publics et présenté en septembre dernier. Les Français estiment en effet disposer d'une information insuffisante sur la vie économique locale, le budget de leur collectivité, le fonctionnement et la répartition des rôles entre les
collectivités territoriales et le prix des services publics (voir tableau ci-contre)

Partagés entre la nécessité de «rendre compte des politiques publiques menées par l'exécutif» et l'obligation de «délivrer les informations pratiques sur les services publics», les communicants des collectivités ont dans les faits des attributions étendues: communication éditoriale (97%), relations presse et publics (89%), événementiel (85%), communication des élus (50%) et marketing territorial (47%), pour ne citer que les principales. 

Communication plus ciblée

Autant de missions bousculées par l'essor du Web. Le baromètre Epiceum et Harris interactive révèle ainsi que la consultation des sites Internet des collectivités a bondi de 18% par rapport à 2011, passant de 44% à 62% d'utilisation. Seul autre média en hausse: l'affichage (+8%, à 72%). Concernant les autres vecteurs de communication directement maîtrisés par la collectivité, les échanges directs avec les élus (44%) et les réunions publiques (35%) sont eux en chute libre: -12% pour les premiers et -10% pour les secondes. La baromètre note au passage qu'en moyenne, un habitant utilise 8 supports pour s'informer sur la vie locale, dont 2 à 3 sont émis par la collectivité.

L'étude souligne toutefois que "les supports digitaux sont davantage considérés comme un
service (accès à l'information, services administratifs en ligne...) que comme un moyen d'échange (relation direct avec les élus, échanges entre habitants...)"
.

Pourtant, le numérique est de plus en plus présent dans les collectivités. "Les réductions budgétaires nous ont incité à privilégier une communication plus ciblée et du coup à réorienter nos investissements du print vers le Web qui est finalement plus efficace car mesurable", explique François Kuss de la région Auvergne.

Le magazine papier "L'Auvergne en grand", dont la pagination a été revue à la baisse, est ainsi passé de 380 000 à 90 000 exemplaires avec une distribution plus ciblée dans des points de dépôts. Parallèlement, la région a développé sa présence sur les réseaux sociaux. Elle comptait plus de 44 000 fans sur Facebook en août dernier (1re région la plus active selon le classement de l'institut Edgar Quinet) et plus de 8 500 followers sur Twitter pour une population totale d'environ 1,3 million de personnes.

"La grande difficulté est d'expliquer aux élus que la communication se voit et est efficace même s'il n'y a pas de grandes affiches, de pages de publicité dans la presse ou de belles plaquettes", tempère François Kuss.

Nouveau graal des collectivités

Mais pour Marc Thébault, le mouvement est inéluctable: "L'investissement sur les réseaux sociaux coûte surtout en temps passé, mais cela reste moins cher que l'édition ou l'achat d'espaces", lance le dircom de la communauté d'agglomération de Caen la Mer dont le budget communication Web n'excède pas 50 000 euros. "Les réseaux sociaux instaurent un mode de relation différente car immédiate et interactive avec les habitants, ajoute-t-il. Cela nous permet de toucher une cible que les collectivités ne touchaient pas avant, à savoir les moins de 50 ans, les jeunes cadres et les étudiants. On peut ainsi prendre le pouls d'une partie de l'opinion en temps réel."

Les vertus du Web en font aussi un outil privilégié par le marketing territorial. Ce nouveau Graal des collectivités, qui s'est imposé ces dernières années avec l'émergence notamment d'agences de promotion territoriales, n'est pas le dernier en effet à recourir au Net. Comme en témoigne la création récemment par la région Rhône-Alpes d'une plateforme digitale consacrée à la découverte et à la promotion d'un térritoire par l'image: Rhône-­Alpes Images, hébergeant Rhône-­Alpes TV, un bouquet de onze chaînes thématiques.

De son côté, la région Auvergne propose le "comparateur de vie" sur le site "Auvergne Life", présentant, chiffres à l'appui, les avantages de la vie d'un Auvergnat par rapport à celle d'un Parisien. "Ce nouveau marketing territorial, axé sur la promotion touristique, économique et identitaire, a créé de nouvelles obligations de communiquer. Dans un contexte de restrictions bugétaires, le web, bien plus accessible, est du coup largement sollicité", confirme Bernard Deljarrie.

Parmi les précurseurs, Reims avec Invest in Reims qui, au-delà de son site lancé en 2003, est omniprésent sur la Toile, de Facebook à Twitter en passant par Pinterest, Linkedin, Viadeo, Google +, You Tube et autres Dailymotion. De même, Lyon et sa nouvelle marque Only Lyon, lancée en 2007, ont largement joué la carte digitale avec entre autres Only Lyon Buzz, un concours de vidéos virales ou Only Lyon Academy, sessions de formation au Net des partenaires de la collectivité. Autres collectivités à l'avant-garde du digital: la pionnière Issy-les-Moulineaux mais aussi Rennes, la Communauté urbaine de Bordeaux ou Besançon.

Après les précurseurs, comme l'Auvergne donc ("Auvergne Nouveau Monde"), mais aussi la Bretagne, le Nord-Pas-de-Calais ("Créateurs d'horizons") ou l'Alsace ("Imaginalsace"), la plupart des régions, comme l'Ile-de-France, peaufinent aussi leur marque territoriale. Et les autres collectivités, de Montpellier Unlimited à Paris Val-de-Marne en passant par Lille's ou Sud Ouest France, ne sont pas en reste dans cette bataille d'image qui se joue à l'échelle nationale mais aussi internationale.

"Attention toutefois à ce que cette démarche ne se résume pas à un simple logo. Il faut élaborer une stratégie de marque, avec des actions concrètes et pérennes", prévient Marc Thébault. Les cas d'Invest in Reims avec son agence de développement économique pilote affichant des objectifs d'emplois précis ou Rennes via La Novosphère, tout à la fois think-tank, label et promoteur de projets innovants, sont en ce sens exemplaires.

Au final, le marché de la communication publique est bien en ébullition donc et ne cesse de se professionnaliser. Mais ses spécificités (échéances politiques, cadre légal, multiplicité des échelons décisionnels...) limitent la comparaison avec le monde de l'entreprise. 

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