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Les consommateurs prennent le pouvoir via les plateformes de partage entre particuliers. Ces nouveaux modèles d'affaires, portés par des start-up, bousculent les marques et les circuits de distribution.

Partager une villa pour les vacances. Louer une voiture à un particulier pour rejoindre son lieu de villégiature. Echanger son appartement pendant ce temps-là... Le concept de partage est en plein boom! «C'est un mouvement de masse inéluctable», assure Clément Alteresco, fondateur de Bureaux à Partager. La fluidité des échanges sur Internet trouve aujourd'hui sa transposition dans l'économie réelle. Quasiment chaque semaine s'ouvre une plateforme d'échange, de partage ou de location. Après le succès planétaire d'Airbnb pour la location d'appartements entre particuliers et le décollage de Blabla Car (ex-covoiturage.com), on cherche aussi à partager son repas (Cookening ou Beyond Croissant), son bureau, ses habits, ses outils...

A vrai dire, toutes ne sont pas nouvelles. Mais Internet multiplie les possibilités et démocratise ces pratiques ou les remet au goût du jour. Ce faisant, le digital les monétise également, les motivations n'étant pas uniquement sociales mais aussi économiques. Ainsi, une place libre dans un bureau ou une voiture au garage peuvent être générateurs de revenus, pour une entreprise comme pour un particulier.

Ironiquement, le partage sur Internet connaît son vrai succès public depuis qu'il est payant. Assurances, communication, ergonomie, design et prix, ces nouvelles marques en ligne pratiquent le mix-marketing à merveille. Covoiturage/Blabla Car né il y a dix ans, a végété pendant longtemps, sous sa version gratuite, avant de passer payant il y a deux ans. Le site revendique aujourd'hui 3 millions d'utilisateurs et 900 000 trajets proposés.

Bulle d'optimisme dans une économie en crise, la consommation collaborative répond à la volonté des consommateurs de consommer mieux, en préservant leur pouvoir d'achat. La montée en puissance de ce marché alternatif se voit confirmée avec l'arrivée de géants du secteur classique qui cherchent, soit à contrer cette nouvelle concurrence en absorbant un opérateur, soit à développer de nouvelles synergies en partenariat. Ainsi, la SNCF vient de racheter le site de covoiturage 123envoiture.com, un brin schizophrène en tentant de ramener les covoitureurs vers le train, via des liens publicitaires contextuels... Plus positif, Condé Nast, éditeur américain des magazines Vanity Fair, Glamour ou Vogue vient de prendre des parts dans VestiaireCollective.com, vide-dressing haut de gamme comptant un million de membres.

Mais ce nouveau mode de consommation désarçonne nombre de marques dont les réseaux de distribution se voient ainsi court-circuités. Les chaînes hôtelières crient à la concurrence déloyale face à Air BnB, tout juste âgé de cinq ans, et qui revendique avoir rempli plus de chambres que tous les Hiltons réunis à la fin 2012... Les enseignes de distribution se voient plus directement concurrencer encore par les achats groupés (Groupon, La Ruche qui dit oui...).

Stéphane Riot, consultant de Nove Terra, observe: «Les marques réfléchissent à un modèle de partenariat pour se positionner écologiquement. Par exemple, le site Zilok (location d'objets entre particuliers) pourrait être une plateforme de recyclage d'objets en fin de vie.». Anne-Sophie Novel, auteur de La Vie Share (éditions Alternatives, 2013), cite le rapprochement de La Banque postale avec le site de «crowdfunding» Kiss Kiss Bank Bank. L'agence digitale X Prime de son côté aide ses clients à réfléchir à de nouveaux services : «La cosmétique pourrait partager des conseils, le tourisme s'inspirer des nouveaux modes de transport», suggère Maxime Garrigues, directeur associé. Pour les enseignes de bricolage, l'enjeu est de «passer de la promesse de possession à celle de cocréation, en louant des produits, en créant des ateliers...», estime Ganaël Bascoul, directeur scientifique de Soon Soon Soon, cabinet conseil en prospective et innovation.

Or, la plupart des start-up de la consommation collaborative n'ont pas encore de modèle économique solide. Elles cherchent donc à se rentabiliser en nouant des partenariats avec des marques. Cookening, par exemple, construit sa marque sur «l'art de recevoir, à l'exemple de Marmiton qui se présente comme la marque de la recette», explique Cédric Giorgi, son fondateur. Sa communauté d'hôtes et de convives pourrait intéresser les secteurs du voyage et de la gastronomie... Son concurrent, Beyond Croissant «rêve de faire du placement de produit» dans ses pages sans avoir pour l'instant la communauté suffisante pour monnayer cette visibilité.

Cependant, ces sites ont déjà une influence sur les pratiques de relation client, d'innovation, de prospective voire même de production. «L'économie collaborative redessine la relation entre le fournisseur de services et le consommateur», confirme Claire de Blic, consultante en stratégies digitales et collaboratives chez Publicis Consultants. «Le consommateur attend une posture plus transparente de la part des marques. Par exemple, un programme relationnel avec des influenceurs capable de se cocréer avec ces derniers.»

Même les agences de marketing les plus pointues peuvent désormais se faire doubler par les créatifs en herbe connectés à la plateforme de cocréation Eyeka. Ou bien en profiter... Les marques - ou leurs agences - y organisent des concours créatifs à peu de frais sur des campagnes ou même des concepts de produit pour Unilever, Heineken, Samsung ou Citroën. Sur ce même modèle de conception collaborative, Auchan a intégré à son site la plateforme Quirky (Quirky by Auchan), qui propose aux internautes de participer à la conception en ligne de produits, et de tirer des bénéfices de ceux qui seront commercialisés avec succès. Pour Ganaël Bascoul du cabinet de tendances Soon Soon Soon, les marques qui émergeront seront celles qui sauront créer des standards assez ouverts pour permettre la cocréation de produits et services par des particuliers et d'autres marques. L'émergence des Fab Labs, ces ateliers de mutualisation des outils de production pour tout un chacun semble lui donner raison.


(encadré)

 

Qui sont les consommateurs collaboratifs ?

 

Il n'y a pas de profil type mais les retraités sont sous-représentés, quelle que soit la pratique. Les ménages avec enfants sont majoritaires. Les pratiques les plus répandues sont la revente de biens (52%), l'achat groupé (23%), l'échange/troc (11%), le covoiturage (8%), la location de biens (6%) et l'adhésion à une Amap, Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (6%). Ce qui les motive à collaborer : la rencontre de nouvelles personnes, le souci de l'évolution de la société, la découverte de nouvelles expériences, la lutte contre l'obsolescence programmée et la maîtrise de leur consommation.

Source : Etude Ademe Ipsos sur 4500 personnes - avril 2013

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