Le repli des agences généralistes tranche avec le dynamisme des indépendantes reconnues au plan national et dans le digital.

A Lille, la crise n'aura épargné ni les filiales des grands groupes publicitaires ni les structures indépendantes. Depuis 2011, dépôts de bilan (Polen, Meura…) et réductions de voilure se multiplient. Mais la baisse drastique des budgets n'explique pas tout. A la vulnérabilité financière des plus petits des indépendants s'ajoute le manque d'agilité des agences généralistes pour passer à l'ère numérique.

«La crise se fait sentir ici plus qu'ailleurs compte tenu de la forte représentation des distributeurs qui ont non seulement baissé leurs investissements, mais les ont réorientés sur le digital et Paris», confirme Hubert van Robais, président de Publicis Activ Lille. De fait, l'ex-major lilloise a perdu de sa splendeur. En quatre ans, ses effectifs ont réduit de moitié (55 collaborateurs) et sa marge brute a fondu, de 8,7 à 6,5 millions d'euros. Les derniers contrats Alinéa et Balzamik ne suffiront pas pour inverser la tendance. Publicis Activ, qui n'a pas encore fait d'acquisition stratégique dans le digital, ne retirera aucun bénéfice du rachat d'ETO, piloté directement par Publicis Dialog. Quant au silence d'Havas 360 ou de Score DDB, il n'est pas bon signe.

Seule à s'en sortir: Altavia. Depuis son arrivée à sa tête début 2012, Matthieu Wallaert a repensé son «business model». «Nous avions soixante clients très hétérogènes, nous n'en avons gardé que vingt, majoritairement distributeurs, car nous préférons investir nos compétences pour des enseignes reconnues ou à fort potentiel», assure-t-il. L'agence (60 collaborateurs) a vu sa marge brute progresser de 35% depuis 2011, à 6 millions d'euros, pour un résultat de 500 000 euros, et vise 10 millions en 2015. Elle devrait rapidement conclure une acquisition signifiante dans le digital.

Le local et au-delà

La place lilloise se caractérise aussi et surtout par le dynamisme d'indépendants qui continuent de se développer malgré la crise de la vente à distance. «On trouve ici un terreau riche d'agences portées par la puissance du retail, avec une offre pointue dans le digital – Altima, Rouge interactif, Péo Léo – et la réussite des indépendants les mieux structurés, DPS Monébak en tête», confirme François Fouasson, directeur associé du cabinet en choix d'agences VT Scan.

Créée en 1977, DPS Monébak vient de racheter Vive la pub (5 collaborateurs, 780 000 euros de marge brute), dont l'orientation déco (Gémo, Heytens…) complète ses activités d'origine (automobile, immobilier, banque et retail). Avec 113 collaborateurs à Lille, Neuilly et Milan, et 9 millions d'euros de marge brute, DPS Monébak s'impose comme la première agence multimétier et multisupport de la métropole lilloise. «L'implication de toute la chaîne de nos compétences et le très faible turn-over de nos clients confortent notre réussite», explique Bertrand Verspieren, président associé. DPS Monébak, qui réalise 80% de son activité au plan national, a su se remettre en cause, investissant dès 1997 dans le digital (20% de sa marge brute actuelle). En 2009, le groupe n'a pas hésité à s'installer à Milan, en Italie, pour accompagner Nexity, ce qui lui a ouvert d'autres portes, notamment celles de Leroy Merlin Italie, précieux sésame pour gagner le marché  de stratégie digitale de Leroy Merlin France devant Fullsix.

Autre référence locale: Netco Group. Suite à son rachat en 2010 par Christophe Levyfve, la structure a réussi ce passage de témoins. Elle compte désormais douze sociétés (70 collaborateurs pour une marge brute de 7 millions d'euros) et même bientôt treize avec l'intégration en cours de RP carrées (12 salariés), agence de relations presse.

«Nous réalisons 70% de notre activité en dehors de la région et nous enregistrons une croissance annuelle de 20%», précise Christophe Levyfve. Netco Group, qui a séduit la très discrète chaîne de vêtements Promod et décroché Gedex (magasins Gedimat et Gedibois) en 2013, se caractérise aussi par la fidélité de ses principaux clients, en moyenne cinq ans.

Après un repli en 2011 suite à la perte de budgets d'achat d'espace, Nikita (24 personnes et 2,82 millions d'euros de marge brute en 2012) poursuit sa mutation tout en préservant sa rentabilité, avec un résultat net de 239 000 euros. «Nous nous sommes notamment dotés d'un pôle digital et avons renforcé notre expertise dans le “social business”», précise Valérie Doussinault, directrice générale. Le distributeur belge Colruyt l'a choisie pour accompagner son déploiement en France, de même que Texdecor et le centre commercial Euralille. En sachant que des clients comme Ab Inbev ou Zodio lui restent fidèles dans la durée.

Le dynamisme se remarque aussi chez les jeunes agences, comme en témoigne la percée de Be Seen, créée par Vianney Bourgois en 2008. Très flexible et orientée Internet, elle compte dix collaborateurs et enregistre une progression de 20% en 2013 (750 000 euros de chiffre d'affaires). «Nous sommes enfin repérés et de plus en plus consultés», se réjouit Vianney Bourgois. Ainsi, même si elle a perdu la compétition pour le Losc, le club de football lillois, en 2013, Be Seen a décroché Chauss Expo et Autosphere.fr, complétant son expertise dans le retail et l'automobile. Elle veut désormais conquérir des marchés en dehors de la région.

Deux acteurs historiques

Outre les nombreuses start-up en pointe dans le «social commerce» et le “store connected» (Nice to meet you, Hobbynote, On prend un café…), la métropole lilloise abrite deux acteurs historiques du digital: Rouge interactif (filiale de Pictime Groupe) et Altima. La première (3,8 millions d'euros en 2012 et 50 salariés) connaît un léger tassement de son activité après la forte croissance de ces cinq dernières années. «Le marché est plus tendu et morcelé. On assiste aussi à une internalisation des compétences dans les entreprises», analyse Matthieu Rémy, directeur général de Rouge interactif. Mais, la société tire tout de même profit de son implantation à Paris en 2010, avec de nouveaux clients, comme Maggi et Dalloyau, qui renforcent et élargissent ses références dans le retail (Okaïdi, Kiabi…).

De son côté, Altima poursuit son aventure. Créée en 1997 par Arnaud Monnier, la société compte aujourd'hui six agences réparties en France, Chine et Russie. Celle de Roubaix reste la plus importante avec 145 collaborateurs sur les 240 que compte le groupe tout en sachant qu'il réalise plus de 60% de son chiffre d'affaires en dehors du Nord-Pas-de-Calais (19 millions d'euros escomptés en 2013, en hausse de 5,5%). Spécialiste de tous les métiers du digital, Altima s'est imposé aussi bien dans le retail que dans les services. «Les agences de pub traditionnelles n'ont pas pu bien négocier le virage du digital car c'est un métier nécessitant des compétences complexes très éloignées de leur savoir-faire historique. Le terrain où nous rencontrons certains acteurs traditionnels est celui de la digitalisation du point de vente, ce sujet “cross-canal” va profondément rebattre les cartes de nos métiers dans les deux ans à venir», analyse Arnaud Monnier.

La société, qui vient notamment de signer Camaïeu, Banque Accord, Saint Maclou et Décathlon, ainsi que Sergent Major en Chine et Nintendo en Russie, enregistre en 2013 une croissance de plus d'un million d'euros. En 2014, elle prévoit une accélération et 70 recrutements annoncés en France et à l'étranger. Comme quoi le digital ouvre bien des portes.

 

(encadré)

La Fabrica version ch'ti

Ïd Group (Okaïdi, Obaïbi, Jacadi, etc.) mène depuis 2009 une expérience originale avec son agence intégrée Ïdnovant. Dirigée par Geneviève Aerts et placée sous la direction artistique de Pierre-André Descamps (ancien cofondateur de Publicis Hourra), elle s'affirme comme la plate-forme marketing et communication transversale du groupe, à la manière de Fabrica pour le groupe Benetton. Rassemblant tous les métiers, elle veille à la cohérence des prises de parole de ses six marques, tout en sachant que chacune d'entre elles dispose de sa propre équipe. «Aucune agence ne peut avoir une vision globale et cohérente de notre groupe, c'est pourquoi nous avons créée Ïdnovant, qui permet de faire travailler en bonne intelligence l'ensemble des compétences internes comme externes», souligne Jean Duforest, PDG d'Ïd Group. Comptant plusieurs anciens créatifs de Publicis Activ Lille, la structure emploie vingt collaborateurs renforcés parfois par des free-lances.

 

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