Face à des annonceurs fragilisés par la crise depuis 2009, les agences d'Alsace-Lorraine ont misé sur l'attachement régional pour maintenir le niveau d'activité. Et précipité leurs réflexions sur le numérique.

Ne leur parlez pas de l'Allemagne, le puissant marché voisin dont l'économie (3,9% de chômage dans le Bade-Wurtemberg) se porte pourtant à merveille. Les agences alsaciennes n'aiment pas s'aventurer au-delà du Rhin. «On n'est pas dans la même culture de communication. De toute façon, je ne suis même pas bilingue», rigole Daniel Reyt, qui dirige à Strasbourg l'agence Citeasen, spécialisée dans la création de magazines institutionnels pour les collectivités territoriales.

«Au niveau régional, il est impossible d'aller travailler en Allemagne. Il y a une différence de culture, cela n'a jamais marché, confirme Viviane Beoletto, directrice associée de Publicis Activ Strasbourg. Traverser le Rhin, cela restera toujours un vieux rêve.»

Bloquées à l'est par la frontière allemande, les agences alsaciennes n'ont eu d'autre choix que de renforcer, localement, leurs liens établis avec des annonceurs réputés fidèles. «En Alsace, beaucoup de marchés restent locaux», reconnaît Viviane Beoletto, qui vient d'être réélue pour un second mandat de deux ans à la présidence de l'Union des conseils en communication Alsace (UCCA). A Strasbourg, plus que d'autres villes ou régions, les agences se serrent les coudes pour empêcher les «Parisiens» de venir piétiner leur plate-bande.

Et ça marche, avec l'appui des collectivités territoriales, annonceurs fidèles. «Citeasen a gagné cinq appels d'offres successifs sur le magazine du conseil régional d'Alsace, sous trois présidents de collectivité différents», raconte Daniel Reyt, qui a maintenu ses effectifs (dix salariés) malgré la crise. «Je ne pense pas que tout le monde vive bien, tempère Viviane Beoletto. La conjoncture est extrêmement difficile. Les annonceurs relancent des consultations à tout va, pour des budgets de plus en plus fragmentés. On consulte cinq ou six agences pour 20 000 euros!»

Un marché du digital à prendre

Les petites structures pullulent depuis 2009. En 2014, dix ans après sa création, l'UCCA va procéder à un premier recensement exhaustif de toutes les entreprises spécialisées dans le conseil en communication. «On est tellement nombreux qu'on ne se connaît pas entre confrères, constate Marie-France Schmidlin, à la tête depuis 1988 d'un cabinet de relations presse à Strasbourg. Chaque année, je découvre dans les pages jaunes de l'annuaire téléphonique que de nouvelles agences ont été créées dans la région.»

A soixante-deux ans, Christian Ruppert, l'un des plus anciens conseils en communication dans la région, s'apprête à confier les rênes de son agence Grafiti à sa fille et à Henri Spack, le directeur général, un ancien de son équipe de 23 salariés. «Les écoles forment chaque année entre 300 et 400 jeunes dans nos métiers, sans compter les métiers d'art. Mais les compétences pointues dont nous avons besoin, dans la réalisation vidéo ou l'animation 3D, sont mal représentées», regrette-t-il, précisant qu'il entend intégrer un département digital avant de passer le relais.

Les nouveaux entrants, eux, se spécialisent pour la plupart dans le numérique. A Strasbourg, les groupements d'indépendants se multiplient au sein de La Plage, un lieu de création soutenu par la mairie, ou dans le cadre informel de colocations de bureaux. Avec parfois, aussi, une bonne dose de culot: Patrick Rein, qui vient de lancer Beam Pulse à Mulhouse, propose de doper le commerce en ligne des annonceurs en utilisant des techniques de «hacker». Associé à l'université de Haute-Alsace, propriétaire d'une licence sur un tout nouveau logiciel d'analyse comportementale, Beam Pulse vise 600 000 euros de chiffre d'affaires en 2015.

Advisa, à Strasbourg, s'est elle aussi spécialisée dans le commerce digital. « Il faut reconnaître que la majorité des annonceurs n'a pas encore opéré la migration vers le numérique, observe Olivier Kubler, dirigeant-fondateur de cette agence 100% digitale d'une trentaine de salariés (1,4 million d'euros de marge brute). On propose du design adaptatif. On développe aussi nos prestations en marketing, pour créer du trafic et de l'influence.» Avec succès, apparemment, puisque des clients nationaux (Dassault Aviation, Puma) font aussi appel à ses services.

Et l'Allemagne? C'est «Nein», encore une fois. «Répondre à un dossier en Allemagne, ce sont 70 pages à rédiger. Cela supposerait une maîtrise parfaite de la langue», observe Olivier Kubler, qui prépare cet été l'installation de son équipe dans 250 m² du nouvel ensemble immobilier strasbourgeois des Docks, au milieu de l'écosystème digital qui comprend déjà La Plage ou l'antenne locale de Rue 89.

Du savoir-faire et une région attirante

Le modèle digital intégré, dont rêvent les agences locales de conseil en communication, a bien failli couler Novembre, la plus grande d'entre elles. «Nous avons été parmi les plus touchés par la crise», reconnaît Emmanuel Knafou, son président et cofondateur. Novembre comptait 80 salariés en 2009, quand la crise a démarré, et celle-ci a réduit son chiffre d'affaires de 30%. Placée en procédure de sauvegarde en 2010, l'agence a changé de modèle économique, intégrant les médias numériques dans un pôle. Trois années successives de croissance à deux chiffres (5 millions d'euros de marge brute en 2013), dans un marché atone, ont couronné cette nouvelle stratégie.

Remarquée en 2013 pour la campagne «The Quest» de l'équipementier sportif Puma, pour laquelle elle a organisé un concours de «street dance» et produit à la chaîne 70 courts-métrages vidéos, Novembre a également conforté ses racines strasbourgeoises en remportant le budget pour l'animation de la marque territoriale du conseil régional d'Alsace. Porté par Philippe Richert (UMP) dès son élection à la présidence de la région en 2010, ce vaste chantier est entré dans sa phase créative un an plus tard, aboutissant, au terme de quelque 24 000 questionnaires, à une stratégie collective (budget: 350 000 euros) définie par le cabinet parisien spécialisé en marketing territorial et touristique Comanaging, à un nom, Imaginalsace, dont le troisième «a» du logo combine un bretzel et un cœur.

Mais l'entorse aux habituels partenariats du cru a déplu aux agences locales de conseil en communication. «Les agences alsaciennes ne savent même pas de quoi on parle», regrette Jean-Luc Kopp, le patron d'Eurostratège (20 salariés), qui préfère tabler sur ses clients fidèles dans l'industrie (Brasseries Meteor, eau minérale Wattwiller) et le tourisme (le music-hall Royal Palace) plutôt que de répondre aux appels d'offres, lassé par la mobilisation en moyens humains autour de ces candidatures. Des compétitions pourtant rémunérées depuis 2012, entre 500 et 2 000 euros, sous la pression de l'UCCA.

«Pourquoi n'a-t-on pas confié à une agence locale la démonstration de notre savoir-faire?», se demande aussi Christian Roos, dont l'agence Temps Fort vient d'ajouter le conseil et le print à ses compétences reconnues dans l'événementiel.

«Nous allons mettre en service une plate-forme d'information économique connectée avec les “clusters” de la région, dont le maître-mot sera l'innovation, annonce Emmanuel Knafou, de Novembre. Il s'agit de faire savoir que l'université de Strasbourg compte trois prix Nobel, que l'Alsace regorge de start-up innovantes.»

L'animation de la marque sera suivie d'un œil critique par le patronat local, demandeur d'une démarche susceptible de lui offrir une meilleure visibilité, sur le modèle de projets similaires déjà aboutis dans les régions allemandes, observées de près depuis l'Alsace, ou en Rhône-Alpes, autour de la marque Only Lyon.

 

(encadré)

Des spécialistes bien calés dans des marchés de niche

Reymann (90 salariés): grande distribution (développement international de Cora).

Menscom (6 permanents): concertation et débats publics EDF, GDF-Suez, RFF…

Via Storia (45 équivalents temps plein): prestations TV pour France Télévisions à Strasbourg et Lyon, Rallye de France, Cuisines Schmidt, Crédit mutuel…

Passe muraille (10 salariés): événementiel pour Kronenbourg, Lidl…

 

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