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Industriels, médias, agences... Plus une entreprise ne semble pouvoir se passer des start-up. Les fonds d'investissement corporate, les incubateurs et les partenariats en tout genre se multiplient. Le point sur cette déferlante.

Cela a fait grand bruit à l'automne ! Xavier Niel, le patron de Free, annonçait l'ouverture en 2016 du « plus grand incubateur du monde » au sein duquel pas moins de mille start-up seront accueillies à la Halle Freyssinet, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Au même moment, il lançait l'opération « 101 start-up », avec ses compères Marc Simonicini (le fondateur de Meetic) et Jacques-Antoine Granjeon (le patron de venteprivée.com). Objectif : sélectionner 101 jeunes entrepreneurs de moins de 25 ans et attribuer à chacun 25 000 euros sous forme d'une prise de participation dans leur capital. Si ces initiatives ne surprennent pas de la part d'ex-dirigeants de start-up désireux de passer le relais aux jeunes générations, elles sont loin d'être isolées… pas une entreprise aujourd'hui ne s'affiche sans sa (ses) start-up ! Même Facebook, pour rester dans la course, les chasse à prix d'or. Il vient de s'offrir la messagerie instantannée WhatsApp pour 19 milliards de dollars.

« Le syndrome "Not invented here" semble avoir fait long feu. Il y a encore dix ans, les grands groupes refusaient toute technologie ou produit venant de l'extérieur - quitte à redévelopper exactement le même en interne ! Désormais, on serait plutôt sur le mode "Proudly invented elsewhere" », plaisante Paul-Joël Derian, le directeur adjoint en charge de l'innovation de Suez Environnement. Très actif sur le front de l'open-innovation, l'industriel finance, depuis 2010, via son fonds d'investissement Blue Orange, des jeunes pousses sélectionnées avec soin : « On ne prend que des start-up dont les métiers sont connexes aux nôtres », précise le responsable. Au total, 50 millions d'euros seront investis en dix ans et six start-up ont déjà bénéficié de cette manne.

 

« Aujourd'hui, pas un secteur économique ne peut se dire à l'abri de la vague digitale, commente Philippe Collombel, associé chez Partech Ventures. Même les plus traditionnels sont obligés d'y penser. Les taxis sont concurrencés par les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), qui utilisent géolocalisation et réservations sur smartphone, l'industrie hôtelière réalise 40% de son chiffre d'affaires via des plates-formes type booking.com... » Résultat : à l'image de Blue Orange, une vingtaine de fonds d'investissement corporate se disputent désormais les projets les plus prometteurs - souvent en collaboration avec de vrais business angels. Schneider Electric, Alstom et Rhodia ont créé avec Aster Capital un fonds dédié aux Cleantech. SNCF, Total et Orange ont lancé Ecomobilité ventures. Publicis et Orange (encore) ont créé avec Iris Capital trois fonds dans l'économie numérique... Dernier en date, le groupe Lagardère a injecté 11 millions d'euros en décembre 2013 dans le fonds de capital-risque Idinvest.

 

« Les business angels ont longtemps été considérés comme des professions un peu à la marge... Mais depuis deux ans, nous recevons énormément de sollicitations de la part des grandes entreprises », confirme Philippe Collombel, qui compte parmi ses partenaires Casino, EdenRed, BNP Paribas et le belge Econocom. Si les motivations financières et l'espoir d'un retour sur investissement sont bien là, financer des start-up est avant tout un moyen pour ces entreprises d'être en prise directe avec l'innovation. « On prend systématiquement un siège au conseil d'administration des start-up qu'on finance et on essaie de bâtir avec elles un projet de développement cohérent - soit en suggérant des modifications ou des améliorations de leurs produits, soit en leur proposant d'autres marchés, explique Paul-Joël Derian. Nous adoptons aussi certaines de leurs solutions. C'est le cas des capteurs intelligents de Sigrenea que nous intégrons désormais aux points de collecte volontaire (verre, cartons..) afin de savoir quand ils sont pleins. »

 

Plus compliqués à mettre en place - il faut des locaux, de la logistique, un savoir-faire... -, les incubateurs et autres accélérateurs corporate viennent depuis peu s'ajouter à la longue liste des incubateurs publics ou privés existants. Microsoft a lancé en juin dernier Spark, un accélérateur de start-up hébergé au sein même de ses locaux, à Issy-les-Moulineaux. Le principe : quinze équipes « pré start-up » intègrent le programme et sont coachées intensivement durant trois mois pour parvenir à lever des fonds à hauteur de 500 000 à 1 million d'euros chacune. Elles sont accompagnées par des experts Microsoft du Cloud, de l'Internet mobile, des objets connectés ou du big data, et bénéficient de l'aide d'un mentor sur les aspects business et stratégie. « Une initiative citoyenne » pour Microsoft, qui se réserve la possibilité de monter au capital des start-up présentant une vraie synergie avec ses produits. Et un bon moyen de fidéliser les entreprises de demain aux technologies Microsoft...

 

Lancé fin 2013, Canal Start, l'incubateur de Canal+, ambitionne, lui, d'intégrer trois à cinq sociétés par an et de les aider à développer des produits dans l'univers de la chaîne. « Par manque de place, elles ne seront pas dans nos locaux, mais elles auront accès aux talents du groupe et pourront tester leurs produits en direct sur notre base d'abonnés », indiquait Fabienne Fourquet, la directrice des nouveaux contenus du groupe, lors du salon LeWeb. « Avec l'arrivée imminente de Netflix en France et en Allemagne (la plate-forme de VOD qui a révolutionné les modes de consommation audiovisuelle aux États-Unis), Canal+ met des sacs de sable contre le tsunami », ironise un professionnel de l'audiovisuel.

 

Les agences ne sont pas en reste, avec des initiatives comme Full Booster, l'accélérateur de start-up du groupe Fullsix, créé il y a trois ans déjà, ou le Ogilvy Lab. Sans oublier des opérations plus ponctuelles telles le « Start-up project », organisé depuis deux ans par l'Association des agences conseil en communication (AACC) et Cap digital, le pôle de compétitivité du numérique en région parisienne (lire pages suivantes).

 

La dernière tendance ? Monter un pôle spécial entreprises au sein d'incubateurs déjà existants. Paris Incubateurs, le réseau financé par la région Île-de-France et la Ville de Paris, soutient désormais quatre de ces initiatives : Renault et son incubateur « mobilité connectée », accueillant près d'une dizaine de jeunes pousses ; JCDecaux et ses « services urbains connectés » ; la SNCF et ses « voyageurs connectés » et, dernier en date, Alcatel One touch, la branche téléphonie du groupe chinois TCL. « Nous proposons aux start-up qui rejoignent ces clusters notre formule d'accompagnement classique sur deux ou trois ans, et elles bénéficient en plus du mentoring de l'entreprise sponsor, qui peut déboucher sur de véritables partenariats commerciaux », décrit Nicolas Bellego, le responsable de l'incubation corporate de Paris Incubateurs. Une véritable opportunité pour ces jeunes sociétés… même si, pour elles, le plus dur consiste encore à devenir de vraies entreprises à dimension nationale et, pourquoi pas, internationale. À quand un Google français ?

 

Entretien avec Philippe Collombel :


«Les algorithmes envahissent la pub»

 

Associé chez Partech Ventures, Philippe Collombel décrypte les tendances du marché publicitaire.


Vous financez des start-up dans les médias et le marketing. Quelles sont les technos les plus tendance du moment ?

Philippe Collombel. L'Internet des objets devient incontournable et la France compte quelques pépites comme Withings ou encore SigFox, qui propose, par exemple, d'installer des capteurs sur les panneaux publicitaires numériques, pour vérifier à tout moment leur fonctionnement. Dans la vidéo, on peut citer une jeune pousse comme Evergig, qui permet de produire des films de concert avec les séquences captées par les spectateurs... Autre axe fort, l'optimisation de l'utilisation des réseaux sociaux pour les marques et le big data, bien entendu, qui impacte très fortement le monde de la publicité.


Qu'est-ce qui va révolutionner la publicité demain ?

P. C. La publicité devient un métier de mathématiciens. Elle se fait littéralement envahir par les algorithmes ! Grâce à ces nouvelles technologies, elle va cibler en one-to-one chaque consommateur, rendant le support publicitaire presque secondaire. C'est sans conteste le secteur où l'on trouve le plus de nouvelles start-up ! On peut, bien sûr, citer Criteo, LE spécialiste du retargeting publicitaire, mais aussi AlephD - une entreprise qui permet aux publishers en ligne d'adapter leurs tarifs publicitaires à la milliseconde. Citons, enfin, Teads, qui propose aux sites de journaux des vidéos publicitaires moins intrusives.


Entretien : Laure Cailloce

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