numérique
Un mouvement prônant la déconnexion se fait jour et les annonceurs utilisent de plus en plus le sujet dans leur communication. Ce «marché» est-il vraiment porteur?

Article initialement publié en avril 2014

 

Stéphane Hessel encourageait les individus à s'indigner. Rémy Oudghiri, directeur du département Tendances & Insights d'Ipsos Public Affairs, les invite à se déconnecter. Dans son livre Déconnectez-vous, paru en 2013 (éditions Arléa), il dresse un constat sans appel: «Le dos voûté, les individus déambulent dans les rues le nez collé aux petites machines qui les connectent au monde entier. Foule anonyme mais connectée. Foule solitaire mais connectée. C'est la silhouette la plus familière de notre époque: passants penchés à l'écoute, mais de quoi?»

 

La technologie a envahi nos vie et la peur de manquer quelque chose, qui semble être le mal du siècle et qui pousse les individus à constamment vérifier leurs smarpthones, possède même son acronyme: FOMO, pour «Fear of missing out» («l'angoisse de rater quelque chose»). Sous perfusion numérique constante, même nos moments les plus intimes sont désormais vécus à travers le prisme techno. Au restaurant, ultime endroit qui invite à déconnecter, le smartphone est devenu aussi nécessaire que la fourchette. Outil essentiel pour effectuer des «check-in» informant la terre entière de l'endroit où nous nous situons, pour prendre en photo ce que l'on mange ou pour consulter ses mails, au cas où.

 

La connexion permanente a redéfini les frontières de l'intimité. Tant et si bien que des rebelles s'élèvent contre le diktat de la FOMO, revendiquant la JOMO, soit «Joy of missing out». «Un retour à l'authenticité, à des valeurs plus simples», selon Jérémie Abric, directeur de la stratégie digitale chez Dagobert et coauteur de la présentation Slideshare «Digital Detox», qui n'est pas dénué de militantisme. En France, un projet mené par les syndicats CFDT et CFE-CGC a même fait grand bruit récemment en proposant le principe d'une «obligation de déconnexion des outils de communication à distance» pour les cadres.

 

Un vrai questionnement

 

Et si l'ultraconnexion est la cause pour certains d'un appauvrissement du lien social, la déconnexion, elle, est devenue une arme de communication massive et génère même de nouveaux business. A l'instar des cures de désintoxication digitale, qui se vendent comme n'importe quelle croisière par des agences proposant camps et autres séjours durant lesquels téléphones, tablettes et ordinateurs sont bannis. Des centres de cure, comme Re-Start, et des départements hospitaliers voient même le jour pour traiter cette nouvelle addiction, pour désintoxiquer les junkies technophiles et les aider à se défaire d'habitudes profondément ancrées, bien que récemment acquises. Ainsi, selon un sondage Havas Media réalisé en 2012, 62,9% des personnes interrogées avaient le sentiment d'utiliser «beaucoup ou trop» les nouvelles technologies et 63,3% exprimaient l'«envie de se déconnecter».

 

«De plus en plus de personnes sont en phase de déconnexion, qu'elle soit partielle ou totale. Déconnexion du travail, des médias sociaux, de son téléphone…, confirme Jérémie Abric. C'est une vraie tendance, un véritable questionnement du point de vue du consommateur auquel les marques commencent à faire écho.» Comme n'importe quelle tendance sociétale, la déconnexion est d'ores et déjà devenue un argument marketing. Le secteur agroalimentaire en tête, le terreau le plus fertile pour les valeurs de convivialité prônées par la déconnexion.

 

Coca-Cola publiait ainsi au mois de mars une vidéo satirique, vue près de sept millions de fois, qui présentait le Social Media Guard, une collerette rouge comparable à celle que l'on fait porter aux chiens, comme parade de choc à nos réflexes d'intoxiqués digitaux. Des marques de bières, comme Guinness, Amstel et Forte, se sont également emparées du sujet pour inciter les consommateurs à laisser leurs téléphones de côté pour véritablement apprécier leur breuvage et échanger avec leurs amis. Avec Amstel Safe, la marque offrait ainsi une bière gratuite aux personnes laissant leurs appareils numériques dans des casiers à l'entrée des bars partenaires. Ce qui a un double intérêt pour ce type de marques: «Communiquer sur la déconnexion est pertinent lorsque la marque porte les valeurs de partage. Dans le cas d'une marque de bière, cela a aussi une répercussion sur l'activité, car si les gens se rencontrent moins, cela a un impact direct sur les ventes», remarque Jérémy Coxet, directeur associé de l'agence Vanksen.

 

Au fil des mois, les exemples se multiplient. Burger King a ouvert le bal dès 2009 en proposant aux internautes de sacrifier dix de leurs amis Facebook en échange d'un Whooper gratuit. Kit-Kat a créé une No Wifi Zone, un espace de détente bloquant les signaux Internet cinq mètres autour de l'individu. Plus récemment, Durex a diffusé une vidéo sur… le Web qui incite les consommateurs à «turn-off to turn-on», soit se déconnecter pour mieux se connecter. L'Unicef, qui met au point chaque année une campagne de sensibilisation à l'eau potable, appelée Tap project, a aussi misé sur la déconnexion pour récolter des fonds.

Cette année, l'organisme public international incitait à laisser son smartphone de côté en échange d'accès à l'eau potable subventionnés par les entreprises partenaires. Chaque tranche de 10 minutes sans toucher son téléphone finançait une journée d'eau potable aux populations défavorisées.

 

Une légitimité qui apporte au consommateur

 

Mais si la déconnexion semble être un ressort de communication de poids, tous les annonceurs n'ont pas la légitimité d'y avoir recours. «Il y a différentes approches, remarque Jérémy Coxet. Certaines sont sous-tendues par une véritable volonté de “buzz”, d'autres par une analyse marketing judicieuse. Si la plate-forme de la marque gravite autour de l'idée de convivialité, cela a du sens, comme Kit-Kat qui invite à faire une pause depuis des années et qui ne fait que traduire sa promesse dans la vraie vie. Mais il faut faire attention à toute démarche opportuniste avec la volonté de générer du buzz en se disant anticonformiste et en se positionnant à contre-courant.»

 

Autre point à ne pas négliger, «ce n'est pas forcément dans l'intérêt des marques qui renforcent leur investissement dans le digital de vanter les mérites de la déconnexion», conclut le directeur associé de Vanksen.

Et si il y a encore des places à prendre sur le sujet avant qu'il ne devienne trop «mainstream», Jérémie Abric, de Dagobert, invite les marques à penser à une alter-connexion. Car «au-delà de surfer sur la tendance, les annonceurs doivent penser à une nouvelle manière de se connecter à leurs consommateurs, pour éviter qu'il y ait déconnexion entre la marque et le consommateur». Ce qui implique donc de repenser sa manière de communiquer, «que la marque parle un peu moins d'elle et apporte un peu plus au consommateur, argumente-t-il. Les marques trop égocentrées sont perçues comme intrusives, à la manière d'un ami Facebook qui raconterait toutes les soirées auxquelles il se rend et qu'on finit par bloquer par lassitude.»

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