La tendance commerciale actuelle prend la forme d'un nouveau néologisme : la phygitalisation... Car l'e-commerce n'a pas tué le commerce, c'est la distinction entre les deux canaux de vente qui a vécu.

Au fil des années, les notions de «social commerce», «m-commerce» et autres «connected commerce» ont été portées aux nues comme une révolution du commerce. Mais aujourd'hui, alors que les smartphones sont partout et que la connexion est permanente, plus rien ne justifie que l'on fasse une distinction entre les canaux.

C'est ce qui ressort de la 8e édition des «IBM 5 in 5», un rapport publié au début de l'année dans lequel le géant américain de l'informatique présente les cinq innovations susceptibles de transformer notre société dans les cinq prochaines années. Parmi ces changements, celui du magasin de proximité: il sera plus fort que le magasin virtuel. «Dans cinq ans, de nouvelles technologies ranimeront l'engouement pour les magasins de proximitéen associant le contact tactile et immédiat du magasin physique. Avec la richesse et la personnalisation de l'e-commerce, les commerces traditionnels risquent bien de démoder leurs homologues virtuels», prévoit IBM.

Sentant le vent venir, la majorité des commerces ont déjà entamé leur processus de «phygitalisation», mêlant ainsi le meilleur du physique et du digital.

Pendant trop longtemps, les commerçants ont surveillé les chiffres du ROPO («Research Online Purchase Offline», et sa variante inversée «Research Offline Purchase Online») comme le lait sur le feu, tentant d'évaluer les risques encourus face au «showrooming», c'est-à-dire le fait de tester un produit en magasin avant de l'acheter sur Internet, bien souvent moins cher. Mais si cette pratique est bien réelle – 49% des consommateurs français déclaraient en 2013 qu'une différence de prix de 5% les feraient quitter le magasin où ils se trouvent (étude «Connected commerce: a snapshot of the modern shopper» de Digitas LBI) –, les commerces ont aujourd'hui toutes les armes pour ne plus regarder du coin de l'œil cet autre canal de vente.

D'autant qu'en 2013, 70% des derniers achats des Européens ont été réalisés dans un magasin physique, selon les les résultats de l'Observatoire de la consommation 2014 piloté par Cetelem et le cabinet d'études et de conseil BIPE.

Centre commercial entièrement connecté

Loin d'être un concurrent, même si en France il pesait tout de même 45 milliards d'euros en 2012, l'e-commerce a surtout eu un effet d'aiguillon qui a réveillé le commerce traditionnel, poussant les magasins à revoir leur offre de services. Mais si le digital pénètre dans les échoppes par toutes les portes, le magasin de demain ne doit pas se réduire à une simple coquille ultraconnectée. «Il ne faut pas appréhender le sujet par l'aspect technologique des choses, analyse Delphine Beer-Gabel, directrice brand developpement Europe du groupe d'immobilier commercial Klépierre. Dans l'innovation, tout le monde part de la technologie et teste ce qui fonctionne ou pas, mais c'est lorsque l'on part des besoins des consommateurs que l'on ne se trompe jamais.»

L'observatoire Cetelem a ainsi établi un classement des cinq applications pour smartphones les plus attendues en magasin. Pour 73% des répondants, la plus utile est l'outil de «comparaison des prix des produits avec ceux des autres magasins». Viennent ensuite les solutions pour «scanner les codes-barres afin d'accéder à des informations» (60%), «payer avec son smartphone sans passer à la caisse» (53%), «prendre l'avis des réseaux sociaux sur certains articles» (49%) et «se photographier avec des modèles et demander l'avis de ses amis en temps réel» (44%).

Le consommateur a donc clairement besoin d'information et de recommandation, et surtout de gagner du temps. Le parcours d'achat doit être facilité et la fluidité que le consommateur expérimente en ligne doit se retrouver de la même manière dans les enseignes qu'il fréquente. C'est en partant de ces besoins que les technologies installées dans les magasins éviteront l'écueil trop répandu du gadget inutile.

Les centres commerciaux, qui ont perdu de leur attractivité, ont saisi le problème à bras-le-corps. Le nouveau centre Beaugrenelle de Paris (XVe), par exemple, a été le premier à adopter Com In, une nouvelle solution de marketing multicanal développée par Novacom Associés. Elle permet aux commerçants de piloter leurs actions commerciales et d'établir une connexion permanente avec les visiteurs munis de l'application mobile idoine. Celle-ci géolocalise les visiteurs et leur envoie en «push» les offres correspondants à leurs centres d'intérêt. Un exemple parfait de l'application d'un des «plus gros avantages de l'e-commerce [qui] est la personnalisation, et savoir qui est la personne à partir du moment où elle arrive sur le site», remarque Vincent Druguet, directeur associé de Digitas France.

Dans ce même centre Beaugrenelle, le flagship Darty a mis en place un service de «click and collect» et met à la disposition des clients des bornes interactives permettant d'accéder au catalogue en ligne. Equipés de tablettes, les vendeurs ont accès à toute l'offre Darty ainsi qu'au panier ou à l'historique d'achat des consommateurs qui les sollicitent.

Mais c'est le centre commercial Qwartz, installé à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), qui a le plus fait parler de lui récemment. Inauguré au mois d'avril, il se présente comme le premier centre commercial de la région parisienne entièrement connecté. Equipé d'un «social wall» (un mur sur lequel sont affichés les commentaires des clients), d'un parcours numérique interactif et ludique, d'un programme de géolocalisation depuis un mobile ainsi que de bornes pour vérifier les stocks des boutiques et les offres disponibles, ce centre a également misé sur une «cité» de l'e-commerce, à savoir un ensemble de bornes qui permettent d'accéder aux offres de différentes boutiques digitales.«Ce qui a fait bouger les lignes, c'est le rachat du site Rue du commerce par Altarea Cogedim», observe Vincent Druguet. Avec ce nouveau centre, le groupe foncier commercial se lance donc dans le multicanal et met à l'épreuve la vision de la convergence du digital et du physique qu'il a eue en 2012 en rachetant l'un des leaders de l'e-commerce en France.

Expérience d'achat plus personnalisée et ludique

«Les centres commerciaux ont deux enjeux: proposer des solutions pour enrichir le shopping physique des consommateurs et maintenir un niveau de trafic satisfaisant pour tous les retailers qui payent un loyer», rappelle le directeur associé de Digitas France. Partant de ce constat, la cellule Connected Commerce de Digitas LBI, a mis au point l'Inspiration Corridor, une cabine qui utilise le meilleur de l'e-commerce au service du centre commercial dans lequel elle sera installée. Mise à l'essai en novembre 2013 dans le centre commercial Belle Epine de Thiais (Val-de-Marne), cette cabine est équipée d'une caméra infrarouge Kinect qui identifie dès son entrée, le sexe, l'âge et le style vestimentaire du visiteur. Une analyse qui permet de proposer une sélection personnalisée de produits disponibles dans les boutiques du centre commercial. En scannant le code-barres d'un vêtement, le client peut également découvrir une sélection de produits à lui associer (chaussures, sacs, etc.). Il peut ainsi sélectionner ceux qui l'intéressent et avoir en temps réel l'état des stocks ainsi que la géolocalisation des boutiques les proposant. Un outil précieux pour pallier l'abondance de magasins et la méconnaissance de l'offre proposée qui en résulte.

Particulièrement novatrice, l'idée de l'«inspiration corridor» et le déploiement de technologies qu'elle suppose ouvre les portes d'une nouvelle ère du shopping, où la recommandation n'est pas dévolue qu'à son groupe d'amis et où l'expérience d'achat devient plus personnalisée et plus ludique.

Il va donc falloir se préparer à pouvoir commander des articles depuis les vitrines connectées des magasins, même si ceux-ci sont fermés, et à se faire conseiller par un miroir intelligent qui évaluera la pertinence de notre tenue en fonction de notre humeur.

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