En Chine, les marques de luxe ont aujourd’hui bien du mal à attirer les foules dans leurs boutiques. Pour faire face à cette situation, plusieurs stratégies sont envisagées dont la création de boutiques « outlets ».

Trois cent cinquante milliards de dollars, c’est le montant qu’ont dépensé les Chinois en 2013 pour acquérir des produits de luxe, selon le cabinet Bain & Company. Soit 50 milliards de plus qu’un an plus tôt ! L’appétit des Chinois pour la griffe ne se dément pas. Pour le satisfaire, les marques de luxe occidentales ont ouvert des boutiques : 62 pour Burberry, 58 pour Gucci, 42 pour Louis Vuitton, 18 pour Prada. Mais après des années de forte croissance, ces dernières cherchent un second souffle. De nombreux points de vente sont en effet désertés alors que les loyers des emplacements « premium » sont de plus en plus élevés. Sans parler de l’e-commerce particulièrement prisé avec des acteurs aux dents longues.


Des prix inférieurs de 40 %


Plusieurs stratégies sont envisagées. Une offensive vers les villes moins importantes du centre de la Chine, comme Chengdu, Zhengzhou ou Nanjing, dont la population s’enrichit rapidement et traverse ce que Pékin et Shanghai ont connu il y a cinq ans. Ou un développement de l’e-commerce avec la possibilité d’acheter en ligne et l’ouverture de magasins d’usine. Ou encore le déstockage qui offre, outre des rabais intéressants, la garantie de ne pas acheter de contrefaçons.

 

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Gucci a déjà ouvert deux magasins d’usine en Chine en 2012. L’un à Tianjin, près de Pékin, et l’autre dans la ville de Canton, plus au sud. L’allemand Hugo Boss a saisi la balle au bond et inauguré dix boutiques « outlets » dans tout le pays. Après l’ouverture de points de vente en propre, les marques s’allient désormais à des professionnels du secteur. Le britannique Value Retail prévoit d’investir 450 millions de dollars dans l’implantation de sites proposant des sacs et des vêtements de designers. Coup d’envoi avec l’ouverture cette année de Suzhou Village dans le quartier très couru du lac Yangcheng, au sud de Shanghai.


Des reproductions de centres-villes italiens, des colonnes romaines et de fausses tours Eiffel font ainsi leur apparition dans les banlieues de grandes villes. De nouveaux quartiers consacrés au shopping sortent de terre, des magasins y proposent des collections de l’année passée à des prix inférieurs de 40 % à ceux pratiqués en boutique. Value Retail prévoit d’ouvrir cinq centres commerciaux en Chine d’ici cinq ans.


 « Les acheteurs chinois les plus fortunés sont au faîte des dernières tendances et sont toujours à la recherche des meilleures affaires, constate Kenny Sim, responsable des grands comptes pour TIAA Henderson. Les centres commerciaux doivent faire venir des clients qui ne sont pas normalement familiers des boutiques installées en Chine mais plutôt du shopping à l’étranger. Ils doivent être compétitifs au niveau des prix mais aussi des collections proposées. »


Cette stratégie discount ne risque-t-elle pas de ternir l’image du luxe en Chine ? « Il est important que ces magasins d’usine soient installés à l’écart des villes, comme ils le sont en Europe et aux États-Unis, assure Avery Booker, consultant dans le domaine du luxe en Chine. Dans les centres-villes, il faut conserver les boutiques traditionnelles et l’image exclusive que véhicule le luxe. »


Autre risque : diminuer les marges et accélérer la compétition entre les marques. D’autant qu’après les années dorées, le luxe traverse une passe difficile en Chine, accentuée par la vaste campagne contre la corruption lancée récemment par le gouvernement. Ainsi, il est désormais interdit aux dignitaires de se voir offrir des cadeaux griffés, comme c’était traditionnellement le cas autrefois. Parallèlement, la publicité pour les produits de luxe est interdite à la télévision d’État.


Après une croissance de l’ordre de 20 % par an ces dix dernières années, le rythme de la consommation commence à reculer, autour de 7 % prévus cette année, 2 % dans les cinq ans à venir, selon les prévisions les plus pessimistes. Mais ces chiffres pointent une autre réalité : les Chinois voyagent de plus en plus et sles deux-tiers des produits sont achetés à l’étranger et ne sont donc pas toujours comptabilisés.


« Les consommateurs chinois sont de plus en plus avisés, explique Jasmine Sun, du cabinet Smith Street Solutions à Shanghai. Ils savent qu’en achetant en Chine ils vont payer plus cher leurs produits de marques étrangères en raison des fortes taxes sur les importations. C’est pour ça qu’ils achètent de plus en plus aux États-Unis, en Europe ou à Hong Kong et Macao. » Hong Kong, où il n’existe pas de TVA, Dubaï et la France, grâce au système de la détaxe, sont des destinations privilégiées pour les riches consommateurs chinois. Les grandes marques, Gucci, Louis Vuitton ou Prada, qui ont bataillé dur pour se faire une place dans l’empire du Milieu, cherchent donc par tous les moyens à retenir leurs consommateurs chinois.  Ces mesures d’austérité du gouvernement ont provoqué une baisse marquée des ventes pour les produits de luxe à plein prix », confirme Joe Zhou, responsable de la recherche pour la Chine chez Jones Lang LaSalle.
Autre clientèle visée par ces magasins d’usine : les habitués des marchés parallèles, très nombreux en Chine. « Ces acheteurs étaient habitués au marché noir entre Hong Kong et la Chine, assure Joe Zhou. Beaucoup d’acheteurs Chinois à l’étranger revendaient également directement leurs achats. La différence de prix entre l’Europe et la Chine suffisait à leur offrir des marges confortables. » Et de conclure : « Le développement de ces centres commerciaux “outlet” est le signe que le marché chinois gagne en maturité et tend à se rapprocher de ce que l’on connaît en Europe et aux États-Unis. »

 

ZOOM

L'e-commerce en plein boom

Lancé en 1999, Alibaba devait à l’origine simplement permettre à des PME de vendre leurs produits ou trouver des fournisseurs en Chine. Un site austère mais pratique qui a grandi à la vitesse de l’économie chinoise et qui s’est peu à peu imposé à toutes les activités de sourcing. Alibaba a ensuite donné naissance à son petit frère, Taobao, un site de ventes entre particuliers. En 10 ans, Taobao s’est hissé au rang d’Amazon, avec plus de 800 millions de produits et 500 millions d’utilisateurs. Taobao (« chasse aux trésors » en mandarin) s’est imposé dans tous les foyers chinois. Dix des seize millions de colis livrés chaque jour en Chine sont ainsi des commandes passées sur Taobao.


À la conquête du monde


Alibaba n’est pas seul à faire vibrer le monde de l’Internet chinois. Tencent, Baidu, Sina, sont également de la partie. Ces quatre géants comptent parmi les plus grosses capitalisations boursières de la planète. Quatre groupes pour conquérir les 720 millions d’internautes de l’empire du Milieu.  Tous les groupes de l’Internet chinois cherchent à se diversifier dans le commerce en ligne, explique John Kwan, analyste à Hong Kong. Le marché national chinois est pour eux une priorité absolue mais de plus en plus ils regardent vers l’étranger. »
Après avoir envahi le marché chinois, l’application WeChat, propriété du groupe Tencent, part ainsi à la conquête du reste du monde, et notamment du marché français. « Ce réseau nous permet de cibler les touristes chinois et asiatiques, gros consommateurs à l’étranger », explique Alexis Bonhomme qui travaille dans une régie publicitaire chinoise. Le site vient ainsi tout juste de développer son propre système de paiement en ligne, concurrent direct de celui de Taobao. L’enjeu n’est pas seulement marketing, il est également financier : 70 % des Chinois achètent sur Internet via leur smartphone, contre 22 % aux États-Unis et seulement 13 % en France.

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