E-commerce et points de vente ont longtemps vécu dans des mondes parallèles au sein des entreprises. Aujourd’hui, tout pousse à ce qu’ils s’allient pour mieux servir le client connecté. L’heure du «digitail» a sonné.

Pourquoi devrions-nous être en 2014 lorsque nous entrons dans le monde en ligne et en 1964 lorsque nous franchissons les portes d’un magasin réel ? » Citée dans le numéro du 5 mars dernier de MarketingWeek, l’interpellation de Luke Vinogradov, directeur du Mobile Experience de l’enseigne britannique Tesco, illustre l’immense fossé que la vie numérique a creusé dans le commerce. En rebattant les cartes, en mettant la concurrence à la portée d’un clic, le e-commerce, associé à la généralisation du smartphone et au développement des applications, a affranchi le consommateur des choix qui lui étaient imposés par les distributeurs. Pour ne pas avoir pris la mesure de ce changement fondamental, Virgin, Game, Surcouf et Phone House ont rejoint le cimetière des marques.


Le cross-canal révolutionne les pratiques


« Pendant 15 ans, le commerce a vécu dans deux mondes parallèles, le « brick & mortar » et les pure-players, le physique et le virtuel. Durant ces 15 ans, on a probablement oublié que quels que soient les outils, les fondamentaux du commerce restaient les mêmes. Il s’agit désormais pour ces deux modes de se rapprocher, de ne plus se regarder en ennemis mais en alliés », avance Jean-Marc Megnin, directeur général de ShopperMind (Altavia). D’autant que, comme le souligne Nathalie Cachet, présidente de Score DDB, le smarthphone, outil ultime de la relation client, ouvre de nouvelles perspectives aux magasins. « Certains secteurs ont encore peur de perdre leur périmètre, mais c’est bien le digital qui drive le commerce, en apportant partout du contenu, en renvoyant des sites aux magasins ou au contraire des magasins vers les sites. La digitalisation de McDonald’s est caractéristique des mutations en cours. »

 

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Reste que ce rapprochement exige au préalable de profondes modifications structurelles et opérationnelles. Au-delà des énormes investissements nécessaires à la digitalisation des points de vente, le cross-canal pose un certain nombre de questions aux entreprises. « Quid de l’organisation en silo, de la répartition du chiffre d’affaires, de la place et du rôle de la DSI, de la mise à niveau des bases de données, de la formation des vendeurs ? Toutes ces questions, et bien d’autres, compliquent le basculement du commerce traditionnel vers le cross-canal », estime Édouard de Pouzilhac, cofondateur de l’agence digitale 5e Gauche.
Un avis partagé par Ludovic Delaherche, cofondateur de l’agence Human Inside : « En France, les structures internes aux entreprises ne sont pas favorables au développement du cross-canal, alors même que le retail dispose de sérieux atouts, à commencer par la proximité. »

 

On l’aura compris, la digitalisation du commerce n’en est qu’à ses balbutiements. « La quête du Graal du client unique va forcer le changement », déclare Valérie Piotte, directrice générale de Publicis Shopper. Si les sites e-commerce des enseignes brick & mortar ont été un premier élément de réponse à la digitalisation du client, il aura fallu attendre la création du drive pour que celles-ci démontrent leurs capacités à répondre efficacement à cette révolution. Si cette technique leur a permis d’apporter un service utile à leurs clients en les dispensant de pousser un chariot et d’attendre en caisse, elle présente cependant un inconvénient majeur. « Le drive laisse peu de place à l’achat d’impulsion et à l’innovation. Lié aux shoppings lists automatisées, il tend à réduire la marge des distributeurs et à rendre moins visible l’innovation des industriels », estime Babette Leforestier, ex-directrice des études documentaires de TNS Sofres et auteur du blog « Chroniques d’une marketeuse repentie ». Un avis confirmé par les résultats de la première étude paneuropéenne sur la dématérialisation du commerce, menée en 2013 par Ipsos pour le compte du groupe HighCo. On y apprend notamment que 66 % des cyber-acheteurs déclarent ne jamais réaliser d’achat impulsif sur Internet. Dommage.

 

 

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Fort heureusement, l’expertise des consommateurs en matière de nouvelles technologies (je compare et je trie en ligne, j’écoute les avis de mes amis et je partage les miens), ainsi que leur volonté de nouer une relation simple et efficace avec les enseignes (j’achète en magasin parce que rien ne remplace l’humain) a conduit certaines entreprises à transformer l’audience du Net et des réseaux sociaux en achats off-line. Des stratégies web-to-store se développent en s’appuyant notamment sur leur partie la plus visible, le click & collect, une technique qui permet au shopper de faire ses courses sur le site marchand du commerçant et de les récupérer dans l’un de ses magasins physiques.


Business additionnel


« La généralisation du click & collect a sans doute permis à la Fnac de conserver sa place dans le paysage commercial », estime Valérie Piotte. Selon les résultats financiers du distributeur au premier trimestre 2014, les ventes Internet France liées aux magasins ont poursuivi leur progression, pour représenter plus de 32 % des ventes totales de Fnac.com en mars, en hausse de 5 points par rapport à mars 2013. En se servant du digital pour créer du trafic sur le point de vente, les commerçants ajoutent de la valeur au parcours d’achat. Les Galeries Lafayette l’ont parfaitement compris. « En dédiant au service click & collect un espace réservé, en le dotant d’un bureau d’accueil et de services, comme les cabines d’essayage, les écrans tactiles pour imprimer les étiquettes de retour, le conseil personnalisé, le distributeur a généré un business additionnel », poursuit la directrice générale de Publicis Shopper. Au-delà de la mise en œuvre de stratégies cross-canal, les principes des géants du Net inspirent certains commerçants physiques et leur permettent de résister aux mastodontes de la distribution. « En partant du principe de gratuité des services, un magasin de bricolage suédois a développé Tool Pool. Une application qui propose via Facebook un service gratuit de prêt de matériel de bricolage à venir chercher dans son point de vente en centre-ville. Et comme lorsque l’on bricole, on a aussi besoin de clous, de peinture, de colle, les visiteurs ont réalisé ces achats additionnels qui ont boosté le chiffre d’affaires de l’enseigne », raconte Hélène Sagné, fondatrice de l’agence Bug.


Dans un autre registre, une boulangerie a inventé à Londres le four qui twitte. Le boulanger a installé près de son four un boîtier Internet, le « Baker Tweet » qui permet lorsque les viennoiseries sortent du four de prévenir les followers via Twitter. Ça pourrait être un gadget, mais c’est quelque chose de très utile pour les acheteurs qui attendent leurs croissants chauds. « Penser que le retail et le digital, le digitail, ne peuvent s’exprimer qu’à travers des dispositifs très compliqués et sophistiqués est une erreur. Cela crée le buzz mais généralement, quelques années plus tard, le soufflet retombe. Il suffit pour s’en convaincre de visiter le flagship digital de Burberry à Londres. Il ne s’y passe plus rien », avance Ludovic Delaherche.


Si les pratiques et les usages nés du Web participent à la réconciliation d’Internet et des retailers physiques, d’autres en revanche constituent de vraies menaces à leurs yeux. À commencer par le showrooming. Révélatrice de l’extrême sensibilité des consommateurs aux prix des produits et à leurs variations d’un circuit à un autre, d’une enseigne à l’autre, la technique qui consiste pour le consommateur à s’informer en magasin pour acheter ensuite en ligne serait en net développement. Selon la dernière édition de l’observatoire Ropo de Fullsix Retail, elle toucherait 21 % des acheteurs de la catégorie téléphonie, 10 % de celle des cosmétiques et des parfums et 8 % des acheteurs de maisons, d’électroménager et de hi-fi. Pour répondre à ce phénomène, les distributeurs multiplient les parades.


Lutter contre le showrooming


Aux États-Unis, l’enseigne Target a ainsi demandé à ses fournisseurs de développer des gammes de produits destinées uniquement à la distribution physique. Plus près de nous, Sephora a imaginé une application, qui au travers d’une série de services, entend lutter contre le showrooming, en permettant notamment à ses clients d’avoir accès à leur historique d’achats en ligne et dans les magasins. « Les technologies de localisation off et instore, comme le iBeacon, développé par Apple, ou encore la reconnaissance faciale offrent aux enseignes une réponse au phénomène de showrooming en permettant la personnalisation en temps réel du message d’incitation à l’achat », s’enthousiasme Hélène Sagné.  « La digitalisation de l’acte d’achat aura eu l’énorme avantage de conduire les distributeurs à retrouver une posture servicielle, à redevenir des commerçants. Ce changement doit nous rendre optimistes et nous enthousiasmer », conclut Bernard Buono, directeur général de BETC Shopper. Une opinion qui reste à confirmer par les shoppers.

 

ZOOM

Quand le bouton sert la relation

Les Apple Store, modèle absolu du cross canal et du shopper marketing, ont leur Genius Bar. Depuis septembre dernier, les acheteurs du Kindle d’Amazon ont leur bouton « May Day ». Une interface qui établit, sur le mode de la visioconférence, une communication avec le support technique. Depuis quelques jours, les clients de Darty se voient proposer le Bouton Darty, un petit carré pour entrer en contact avec le SAV de l’enseigne. « Le bouton est le premier objet connecté qui, en France, incarne le service. C’est la nouvelle brique du système relationnel de Darty, le contrat de confiance 2.0. Il va permettre à l’enseigne d’acquérir une plus grande connaissance de ses clients », explique Catherine Michaud, présidente de l’agence Integer (TBWA). Sujet de travail lourd pour l’enseigne et ses 120 magasins, son développement a été réalisé en moins d’un an. « Outre l’aspect technologique, il a fallu s’assurer avant son lancement de la capacité de l’enseigne à garantir la proposition de valeur, notamment en retravaillant l’historisation des contacts », poursuit-elle. Quid de son modèle économique ? Il reste à définir. Sera-t-il gratuit pour les clients premium, payant pour les autres ? La période de test, qui précède le lancement à la rentrée prochaine, doit permettre d’affiner les propositions..

 

FOCUS

Auchan invente le centre commercial virtuel

L’intérêt du groupe Auchan pour l’e-commerce ne se dément pas. Depuis des années, sa foncière Immochan travaille à la création d’un centre commercial virtuel en 3D. En juin 2013, le projet « Aushopping » a été abandonné mais l’idée de capitaliser sur l’audience des 80 centres commerciaux est restée intacte. En avril, le président d’Immochan présentait à un parterre de commerçants son nouveau e-centre commercial. Sous un même toit virtuel, les internautes auront accès à l’intégralité de l’offre des 80 centres commerciaux Immochan France, soit 400 enseignes, et à toutes leurs promotions et animations. E2C, c’est le nom de code du projet dont l’ouverture est programmée fin 2014, proposera à ses clients de réaliser leur shopping en ligne dans les boutiques du réseau – la moitié d’entre elles n’a pas de site de vente en ligne – puis de venir au choix retirer leurs emplettes en magasin ou dans un point retrait du centre commercial. La livraison à domicile est payante. Pour Immochan, il s’agit donc de valoriser auprès des commerçants implantés sur ses sites l’audience de ses centres commerciaux – 300 millions de visiteurs annuels, de doper le trafic et de générer un C.A. additionnel. En échange de ce service, les enseignes référencées verseront en fonction des ventes une redevance à Immochan. « Auchan reprend et réinterprète le concept BtoB des places de marché qui consiste pour des retailers, qui ont ou non développé leur présence sur le Net, à s’associer à un site marchand, comme Amazon ou eBay, et à utiliser leur expertise logistique pour développer leurs ventes », explique Valérie Piotte de Publicis Shopper. Une pratique qui n’est plus réservée aux pure-players : Fnac.com l’a inclus dans sa stratégie omnicanal

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