Musique et marques
Les agences de marketing musical se multiplient, portées par une profonde mutation du marché de la musique offrant de nouvelles opportunités aux marques.

Justin Bieber aime les chips. Les Takis, plus précisément. Et il les aime tellement qu'il le dit dans son dernier clip. Un concept marketing qui dépasse le simple placement de produit. Au bout de deux minutes, la musique s'arrête. Une jeune fille achète un paquet de la marque. Pour la séduire, l'ado le plus connu des Etats-Unis lâche, à moitié gêné, « I love Takis ». Au total : 82 millions de vue sur You Tube. Trente secondes de publicité, sans débourser un centime de production pour la marque. Aucun achat média: la notoriété de l'artiste suffit... L'opération a été organisée par My Love Affair, l'agence de marketing musical fondée par Cathy Guetta et Raphael Aflalo. «Nous avons modifié le scénario du clip», raconte le fondateur.

 

>> Lire le dossier : La musique, l'arme fatale des marques

 

Un exemple qui témoigne du dynamisme d'un secteur en plein essor. My Love Affair est ainsi passé de 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013 à 8 millions pour les seuls six premiers mois de cette année. «Nous sommes au creux de la vague. A l'aube de la révolution musicale!», estime de son côté Pierre Berville, ancien patron de l'agence Callegari Berville, passé par le millieu de la musique, et qui a fondé en février dernier son agence Music Bridge.

Une révolution? Pas seulement en termes de création sonore mais aussi au niveau des liens avec les artistes sous quelque forme que ce soit. La moisson de Lions du chanteur Pharrel Williams aux Cannes Lions 2014 en témoigne: «la musique devient un centre d'intérêt pour tous les professionnels du marketing», affirme Pierre Berville.

Un des médias les moins chers

Ces derniers années des structures consacrées à cet univers n'ont cessé d'apparaître. The Hours et Les Gaulois (ex-agence H) en 2012; Universal Music & Brands, né de la fusion de trois départements Universal, en juin 2013; l'agence Exprimer en juillet 2013 avec Ëmossion; Pink Pepper fin 2013, fondée par Aurélie Sohier, qui a travaillé douze ans en marketing et partenariat chez SFR; ou encore Music Bridge début 2014, et tout dernièrement Platforms Paris Hongkong, montée par quatre associés, Lionel Massias (ex-Research studio), Olivier Pluquet (ex-Havas), Fabrice Terrier et Denis Legat, tous deux anciens de La Lune rousse.

Autant de créations qui sont venues s'ajouter en peu de temps aux quelques agences pionnières. A commencer par The Matching Room, fondée en 2006, et bien sûr BETC Music, lancée en 2009. La plupart ont été lancées par des anciens de la publicité, passionnés de musique.

Cet engouement répond aussi et avant tout à un besoin chez les annonceurs. «Les marques et les publics se démultiplient à l'infini», explique Pierre Berville. «Les annonceurs cherchent donc à diversifier leurs points de contact», complète Fabrice Brovelli, directeur de BETC Music. Face à la prolifération des messages et des canaux médiatiques, un artiste, avec son identité, est un moyen pour la marque d'émerger et de livrer un message mieux ciblé.

Sans compter que l'artiste est «un des médias les moins chers», note Aymeric Beckmann, directeur des partenariats stratégiques chez Universal Music & Brands. «Pour le concert privé de Robin Thicke organisé par la marque HP, les retombées médias ont été de 1,5 million d'euros», en touchant 700 personnes lors de la représentation et 3 millions via le live sur Internet. Et ce, pour le prix d'un concert... «Par rapport au sport où le ticket d'entrée est considérable, la musique est un cheval de Troie marketing bien plus accessible», conclut Aymeric Beckmann.

Endorsement, placement de produit, contenu digital, streaming... Les agences indépendantes et spécialisées dans une de ces formes de partenariat ne manquaient pas. Mais désormais la nouveauté réside dans l'émergence d'une offre globale offerte par ces nouvelles structures qui placent la marque au cœur de la réflexion.

Une transformation rendue possible par le nouveau modèle économique de la musique. Avec seulement un tiers des ventes réalisées par la vente physique et la baisse des subventions publiques pour les festivals, «les partenariats apportent les revenus que le disque n'apporte pas», constate Raphael Aflalo.

La data vue comme béquille

Mais tout cela est possible car aujourd'hui les artistes sont plus enclins à travailler avec les marques que par le passé. «On se souvient du procès des Doors et de Cadillac», raconte Fabrice Brovelli. Une époque où fricoter avec les marques relevait du pacte avec le diable.

Devant ce nouveau champ des possibles, les annonceurs sont pourtant encore timorés ou tout simplement peu informés. Et puis le choix d'un artiste paraît compliqué. «Si la musique devient essentielle, les marques devront trouver les artistes adaptés», prévient Pierre Berville. D'où la nécessité pour les agences de développer des offres et des outils idoines. Et là encore, la data peut être précieuse en aidant agences et annonceurs à mieux connaître leurs cibles et ainsi prendre de meilleures décisions, notamment en matière de marketing musical.

Toutes ont leurs méthodes. Comme Universal Music & Brands et son outil Global Insight. «Nous l'avons récupéré lors du rachat d'EMI, raconte Aymeric Beckmann. Il servait à mieux connaître le public de tel ou tel artiste. Désormais, le panel de près de 8000 personnes est aussi interrogé sur les marques ce qui permet de rassurer avant un choix.» Au total, en quatre ans, 2500 artistes et 700 marques ont été analysés pour aider les services marketing dans leur décision.

Une démarche que ne revendique pas Fabrice Brovelli, pour qui «aucun algorithme ne remplacera jamais vingt ans d'expérience». Pour le vice-président de BETC, «la data sert avant tout à rassurer ceux qui n'arrivent pas à se fier à leurs émotions». Il dénonce d'ailleurs le manque de cohérence de certaines marques qui ne cherchent «qu'à tirer leur coup» avec un artiste. Et déplore que «les annonceurs soient encore très opportunistes et n'établissent que trop rarement des partenariats sur le long terme». A bon entendeur...

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.