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Nés sur le Web, certains acteurs du digital investissent aujourd’hui le monde réel. Ils multiplient les événements pour mieux toucher leurs publics et incarner leurs marques.

En 2011, ING Direct, numéro un français de la banque en ligne, créait l’événement en ouvrant l’ING Direct Café à Paris, puis à Lyon l’année suivante : un lieu bien réel, à mi-chemin entre une agence bancaire et un café, où les clients viennent effectuer leurs opérations courantes. Peu après, en septembre 2012, c’était au tour d’un autre pure player, Adopteunmec, d’ouvrir une boutique, éphémère cette fois, permettant aux femmes membres du site de trouver l’âme sœur. Si ce dernier exemple relève plus de l’opération de communication que le premier, la démarche n’en demeure pas moins commandée par une même motivation : incarner la marque auprès de ses clients. Elle est aujourd’hui à l’œuvre chez plusieurs acteurs de l’Internet.


Cours de Pilates et expositions

À commencer par Meetic. Le site a élargi son champ d’activité mais ne dévie pas de sa mission qui consiste toujours à favoriser les rencontres. S’il y a un peu plus d’un an, la marque limitait son action à la mise en relation virtuelle de ses membres, elle propose depuis quelques mois des ateliers de cuisine, des dégustations de vin, des cours de Pilates, des dîners à thème et même des visites d’expositions. En tout, Meetic organise près d’une centaine d’événements par mois, auxquels on peut ajouter les manifestations dont elle est partenaire, comme « Pop in the city », un raid urbain à effectuer en couple, organisé à Paris en juillet 2013. « C’est naturel pour nous. Le phénomène est la suite logique de la mutation que connaît le monde digital, explique Valentine Schnebelen, directrice marketing de Meetic. Aujourd’hui, tout est digitalisé, la frontière entre le on et le off n’existe plus ! Plus personne ne s’émeut de commencer sa recherche de job sur Internet avant de la finir en face à face pour valider et finaliser l’entretien. La rencontre, notamment amoureuse, est envisagée à l’aune de ces deux dimensions ».

 

La tendance ne se limite pas aux sites de rencontres. En 2013, You Tube organisait à la Halle Freyssinet, dans le 13e à Paris, la première édition française de son You Tube BrandCast avec l’agence We Love Art : un grand raout au cours duquel la plate-forme de partage vidéo a invité un millier de personnes à découvrir ses contenus et à rencontrer ceux qui les conçoivent des artistes aux You Tubers. Étaient présents des agences médias, des annonceurs, des leaders d’opinion, des journalistes, des publicitaires… « L’objectif était de célébrer les talents et les créations qui ont émergé sur la plate-forme mais aussi de renforcer les liens entre les partenaires et créateurs You Tube et l’univers des annonceurs et agences, pour encourager de nouvelles collaborations ambitieuses et innovantes », rappelle Hélène Barrot, responsable Communications & Public Affairs chez Google France.


Mais l’initiative de You Tube ne traduit pas que la volonté de la plate-forme de valoriser ses contenus. Elle illustre aussi la nouvelle donne du paysage médiatique, infiltré voire dominé par Internet. « Le You Tube BrandCast n’est rien d’autre que le grand show de rentrée qu’organisait TF1 pour ses partenaires il y a quinze ans ! You Tube est devenu un média leader qui concurrence TF1, tout comme Amazon concurrence la Fnac et Meetic, les agences matrimoniales. Les acteurs du digital font partie de la vraie vie », commente Frédéric Bedin, président du directoire du groupe Public Système Hopscotch.


Le digital ne peut pas tout

Comme nouvel entrant d’un marché, et plus encore lorsqu’il en devient le leader, le pure player doit rassurer les consommatweurs, en s’incarnant, bien sûr, mais aussi en adoptant un comportement adapté à son environnement. En réunissant physiquement ses publics et en décidant de ne pas retransmettre l’opération sur sa plate-forme, comme l’aurait fait la plupart des organisateurs à sa place, You Tube a envoyé deux signaux. Primo, la rencontre reste la valeur la plus sûre pour toucher un public. Secundo, cette dernière se suffit à elle-même et sa non retransmission lui confère une dimension exclusive.


Étonnamment, les pure players ne sont pas les seuls à prôner un retour au concret. Après avoir investi le Web à grands coups de fan pages et de contenus plus ou moins viraux, les marques du vieux monde réinjectent de la même manière une dose de réel dans leur communication publicitaire. Depuis quelques mois, plusieurs créations nous proposent de nous déconnecter pour mieux nous reconnecter. Prenons par exemple la campagne « Real friends » de Nescafé, primée aux derniers phénix de l’UDA, et dans laquelle un homme teste la sincérité de ses amis sur Facebook en allant à leur rencontre avec un café, alternant accueil chaleureux et râteaux mémorables.


Prenons encore la campagne du dernier carré de Milka où un autre homme, mais plus manipulateur, tente de soutirer à un enfant son dernier carré de chocolat. Ou celle du papier hygiénique Trèfle où un père de famille, un peu trop convaincu de l’omnipotence de sa tablette numérique, voit sa femme lui suggérer de s’essuyer avec… Toutes nous rappellent que si le digital et l’ultraconnexion permettent beaucoup de choses, ils ne peuvent pas tout non plus. « C’est la traduction d’un constat : on voit monter un ras-le-bol de l’hyperconnexion. Les gens se sentent trop dépendants de leur smartphone, remarque Sylvie Gassmann, directrice du département études qualitatives en communication d’Ipsos Marketing. Logiquement, les marques surfent sur cette tendance. D’autant que la bonne publicité, celle que les Français préfèrent comme Coca-Cola ou Evian, met en avant l’émotion, la vraie vie. » Voilà pourquoi, depuis quelques mois, les marques s’efforcent de faire cohabiter virtuel et réel dans leurs actions de communication.


Mais la piste la plus intéressante est celle qui dépasse ce paradigme, estime Sylvie Gassmann. « Opposer les deux mondes n’a pas de sens. Quand on interroge les jeunes générations, elles ne comprennent pas cette vision. Ce que les plus de 40 ans appellent "les nouvelles technologies" n’ont rien de nouveau à leurs yeux. Pour les digital natives, le digital est aussi virtuel que la radio ! », analyse-t-elle.


En publicité, son utilisation relève davantage du gadget opportuniste, le fameux ressort créatif, sur lequel s’appuient frénétiquement les marques avant qu’il ne soit trop visiblement perçu comme caricatural. En gros, opposer virtuel et réel est une idée de quadra (ou plus) qui n’a pas encore assimilé l’usage du digital. Ou d’un trentenaire (ou moins) qui n’est pas bien, mais alors vraiment pas bien parti ! « La bonne posture de marque est de ne pas entrer dans ce débat, reprend Sylvie Gassmann. Celles qui communiquent le mieux sont celles qui se contentent d’utiliser le digital pour ce qu’il est : une technologie permettant de toucher différents publics de différentes façons, sur différents médias, qu’ils soient classiques ou sociaux. »


Sincérité et crédibilité

Et l’on repense à Meetic qui, bien qu’ayant construit sa réussite sur la technologie Web, a jugé aussi naturel de glisser dans la vraie vie pour poursuivre l’aventure. Tout comme les marques du monde réel ont, elles aussi, entrepris de suivre le même itinéraire dans le sens inverse. Non contente d’organiser de vraies soirées avec des vrais gens, Meetic a en plus décidé de le montrer et de le dire dans ses pubs. Pas pour avoir l’air plus créatif, mais simplement parce que c’est la réalité et qu’elle reste encore la meilleure preuve de sincérité, d’honnêteté et de crédibilité auprès du public. Des valeurs plébiscitées aujourd’hui par le consommateur.

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