Chine
Alibaba, Tencent, Xiaomi, Baidu… La Chine, premier marché mondial du mobile, a vu naître ces dernières années des géants innovants et ambitieux. Déjà maîtres chez eux, ils partent maintenant à la conquête du monde.

Le 19 septembre 2014, le groupe chinois Alibaba a réalisé l'introduction en bourse la plus importante de l'histoire de Wall Street, levant près de 25 milliards de dollars, et devenant ainsi la troisième entreprise internet au monde, derrière Google et Facebook. Le succès d'Alibaba est à l'image du miracle digital chinois. Comment des entreprises encore inconnues il y a dix ans ont pu ainsi devenir des géants du web ? « La Chine traverse une période formidable, s'enthousiasme Frédéric Raillard, le cofondateur de Fred & Farid qui dirige depuis Shanghai l'expansion du groupe en Asie. Le pays a cinq, voire dix ans d'avance sur le reste du monde ».

Le succès formidable d’Alibaba ne doit pas masquer d’autres réussites comme celle de Tencent, qui a lancé Weixin. Cette application, appelée WeChat hors de Chine, est LE succès de ces trois dernières années. « Avec cette offre, Tencent est désormais au digital mobile ce que Microsoft était à l’ordinateur. WeChat est plus qu’une application, c’est le mobile lui-même », analyse Frédéric Raillard. Ce petit logiciel, uniquement conçu pour les téléphones portables, permet en effet de recevoir des messages écrits, vidéo ou vocaux, de parler en visioconférence en direct, de consulter les pages de ses amis et, depuis peu, de faire ses courses et de régler directement via l’application. Un tout-en-un annonçant l’avenir du digital en Chine si l’on en croit Frédéric Raillard, qui suit de près les évolutions du web dans le pays. Alibaba ne fait pas autre chose en proposant une plateforme de paiement en ligne (Alipay), un site de commerce B to B, B to C et une plateforme de VOD. Le groupe vient en outre d’obtenir une licence du pays pour créer la première banque privée en ligne de Chine.

« Première banque du monde »

Alibaba, Tencent : le match promet d'être serré dans ce pays qui compte près de 800 millions d'utilisateurs de mobiles et 650 millions d'internautes. 70% d'entre eux achètent déjà via leur téléphone, et l'ordinateur tend à disparaître, confiné au seul secteur de l'entreprise. « Devenir numéro un sur ce secteur, c'est être à la tête de la première banque du monde », affirme le patron de Fred & Farid. « C'est évident que l'internet chinois est très en pointe, confirme Laure de Carayon, la fondatrice de China Connect et spécialiste du web chinois. Il y a un effet de masse car le territoire est immense, un effet de mode car les Chinois sont friands de technologie. Ils ont une faculté à adopter très vite les nouvelles technologies. Ils ne se posent pas de questions. Si ça marche, si c'est pratique, alors ils l'adoptent. » Les habitudes des internautes y sont très différentes de celles des Occidentaux. Ils sont beaucoup moins passifs et voyeurs que nous. Ils sont au contraire très actifs et partagent volontiers leurs photos et leurs expériences sur les réseaux sociaux. « Ils donnent facilement leur avis sur un produit, une marque ou certains événements, note Yuan Zu, directrice de Digital Jungle à Pékin. Ils aiment beaucoup publier leurs commentaires parce que, pour la première fois de leur histoire, ils ont un moyen pour s'exprimer ». Et pour cela, ils préfèrent passer par leur smartphone. Pour la plupart des entreprises étrangères, il est donc indispensable de se faire une place sur ce réseau. « La présence d'une entreprise sur les réseaux sociaux en Chine permet de toucher une partie de la population que l'on ne pourrait pas atteindre par le biais des médias traditionnels, constate Damien Talvard, ancien directeur commercial d'Air France-KLM à Pékin et directeur d'une entreprise de conseil dans le domaine de l'internet. Les Chinois se connectent pour faire leurs achats, pour discuter, pour comparer les prix et sont beaucoup plus actifs qu'en Europe ou aux Etats-Unis. »

Le développement à l'international est également devenu un enjeu majeur pour les groupes chinois. L'introduction d'Alibaba à New York plutôt qu'à la bourse de Hong Kong est un symbole de cette volonté des entreprises de partir à la conquête du monde. « Les groupes comme Tencent ont une approche pragmatique, explique Alexis Bonhomme, le seul Français à avoir travaillé pour le numéro un chinois et aujourd'hui partenaire d'une entreprise de conseil en communication digitale à Pékin. Tencent a d'abord misé sur l'Asie puis sur l'Europe. » Il suit en cela les déplacements des touristes chinois. L'Italie est déjà le premier marché de WeChat en Europe, et le groupe vient de lancer une application en français. « WeChat est déjà le premier vecteur de communication en Chine, il est en passe de devenir l'un des principaux acteurs dans le monde », assure Alexis Bonhomme. D'ici quatre ans à peine, on estime à 400 millions le nombre de Chinois qui voyageront à l'étranger chaque année. Autant de clients potentiels pour WeChat et les autres. L'application propose déjà toute une série de services : commander et régler un taxi en ligne, des publicités ciblées avec géolocalisation, des pages officielles pour les grandes marques et les annonceurs. Autant de développements directement pensés pour le smartphone, sans même un équivalent pour les ordinateurs. Alibaba lui embraye le pas en offrant peu ou prou les mêmes services. « Avec des perspectives de 60 millions de smartphones vendus en 2014 et 100 millions en 2015, de nouveaux acteurs émergent », souligne Alexis Bonhomme.

Quant aux fabricants de téléphones, ils ne sont pas en reste. Xiaomi et son président Lin Bin font ainsi office de « nouvelle star » du web chinois. Cette société, composée à 60% de développeurs, fonctionne sur l'absence de magasins physiques et un système de distribution basé uniquement sur des ventes « flash » sur internet. Xiaomi, qui vient de lancer il y a quelques mois une TV Box, est l'exemple parfait de cette Chine qui innove, taillant des croupières aux acteurs traditionnels du secteur comme Apple, Samsung, HTC ou Lenovo. En outre, Xiaomi s'est rapidement tourné vers une croissance en dehors des frontières et se révèle déjà très présent en Indonésie, en Malaisie et en Inde. L'entreprise bénéficie en plus d'une image très cool, qui en fait une sorte d'Apple chinois.

Entre la pieuvre Alibaba, l'application star WeChat, et le mobile à tout faire de Xiaomi, d'autres acteurs sont encore en train d'émerger. Tel Wanda : plus connu pour acheter des cinémas à tour de bras en Chine, et surtout aux Etats-Unis, et pour investir dans des complexes immobiliers, des hôtels et des centres commerciaux, le groupe vient de signer un partenariat avec Baidu, le « Google chinois », qui concentre 80% des recherches sur internet en Chine. Wanda, Baidu et Tencent se sont ainsi alliés pour développer des systèmes de connexion spécifiques pour les hôtels et les magasins en combinant un système de ventes VIP, du big data et du paiement en ligne. Wanda y croit beaucoup en prenant 70% de la structure, et compte l'imposer dans ses milliers d'hôtels et de cinémas en Chine et à l'étranger. Une pierre dans le jardin d'Alibaba, longtemps seul maître du e-commerce.

87 % de Chinois mobinautes

« Depuis 2012, la Chine est le premier marché mondial pour les smartphones, insiste Olivier Vérot, consultant à Shanghai et spécialiste du marketing digital. La raison principale, c'est l'engouement de la classe moyenne pour le téléphone portable et ses applications. » Prenez l'Iphone : en 2007, le modèle star d'Apple ne représentait que 2% des ventes en Chine. Il accapare aujourd'hui 20% du marché. 87% de la population se connecte sur internet via un mobile. Une véritable manne qui laisse Microsoft et les acteurs traditionnels à la traîne. Les développeurs chinois sont particulièrement ingénieux. Les applications les plus originales sont ainsi lancées sur ce marché. « Le principal enjeu maintenant concerne la monétisation, conclut Frédéric Raillard. Comment gagner de l'argent avec cette population hyper connectée, jeune et habituée à tout faire via un smartphone ? » Une étude publiée cette année par China Mobile confirme ainsi le formidable élan du mobile en Chine. Alors qu'en 2010, le m-commerce générait 0% des revenus, le premier opérateur du marché table sur 44,8% en 2014 et 46% entre 2015 et 2017.

Sébastien Le Belzic, à Pékin

Chiffres clés du marché chinois en 2013 (Source : iResearch)
1,24 milliard. Nombre d’utilisateurs de mobiles (sur 1,4 milliard d’habitants).
850 millions. Nombre d’utilisateurs de smartphones.
618 millions. Nombre d’utilisateurs d’internet.
81 %. Pourcentage d’utilisateurs qui se connectent à Internet via leur téléphone portable.
1,85 milliard. Nombre d’utilisateurs de transactions online.
390 millions. Nombre d’utilisateurs d’internet banking.

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