Dossier Réseaux sociaux
79% des internautes sont inscrits au moins à un média social. Caisse de résonance et nid de consommateurs, les médias sociaux sont aujourd'hui au cœur des stratégies des marques qui essaient de tirer leur épingle du jeu grâce au marketing en temps réel.

«Votre réseau social est contrôlé par les annonceurs. Tous les messages que vous partagez, chaque ami que vous vous y faites et tous les liens sur lesquels vous cliquez sont surveillés, enregistrés et convertis en données. [...] Vous n'êtes pas un produit.» C'est par ce manifeste qu'Ello, nouveau réseau social qui se positionne comme l'anti-Facebook, accueille ses futurs membres. Pour s'inscrire, il faut choisir: «Voulez-vous être un produit? Oui - Non.»

Un storytelling bien rôdé pour ce réseau qui a banni la publicité jusque dans ses statuts, déposés il y a peu, et qui font d'Ello une «public benefit corporation», une entreprise à but lucratif dont l'objectif est d'avoir un impact positif significatif sur la société. Comptant 90 utilisateurs au mois d'août, le réseau social a explosé ces dernières semaines. Et si les serveurs ne supportent pas les hordes de nouveaux inscrits séduits par la proposition (3 millions de personnes seraient sur liste d'attente, selon le fondateur Paul Budnitz), Ello a agité le microcosme des médias et de la publicité qui y a vu,comme le dit Sabri Mezghiche, directeur-conseil social media chez Human to Human, «le signe révélateur que le modèle actuel des réseaux sociaux ne convient plus trop aux internautes».

Et ce n'est pas l'étude Ipsos sur «les Français et Facebook» qui le démentira: on y apprend que la publicité (40%) est ce qui plait le moins aux 62% de Français inscrits, derrière le manque de transparence (44%). Ce qui n'empêche pas 52% des socionautes de suivre l'actualité d'une marque tous réseaux confondus, selon l'étude Social Life 2014 de l'institut Harris Interactive. Qui sont également plus d'un tiers à déclarer suivre, liker ou échanger régulièrement avec une marque, un produit ou une entreprise sur les médias sociaux. Donc, avoir le sentiment d'être considéré par la marque, oui; celui de n'être qu'une vache à cliquer, non.

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«L'essence du community management est de passer d'une relation purement utilitariste d'un client avec une entreprise à une relation dans la durée entretenue grâce à des contenus, rappelle Guilhem Fouetillou, directeur stratégies et innovation chez Linkfluence. Il faut construire du “top of mind” [présence à l'esprit] en dépassant la proposition produit et en faisant entrer le consommateur dans un univers, dans une histoire.»

Des consommateurs plus que jamais à portée de main. Selon une étude Ifop, 57% des utilisateurs actifs de Facebook déclarent se connecter plusieurs fois par jour au réseau social. Sans compter ceux qui ne s'en déconnectent jamais… Les réseaux sociaux sont donc l'outil idéal pour jouer le rôle de «fil rouge complémentaire aux gros coups de communication des marques, qui permet de s'inscrire dans le quotidien des individus, note Sandrine Plassereaud, directrice générale de We are social France. A condition que ce fil rouge soit engageant et apporte de la valeur aux consommateurs.»

Un écosystème nourri par tous les réseaux

La course effrénée aux likes et aux fans est bel et bien finie. A l'heure où tout s'achète au kilo en Europe de l'Est, au Moyen-Orient ou en Asie via des entreprises spécialisées qui ne s'en cachent plus, la quantité n'est plus un outil de mesure valable. Pourtant, «bizarrement, beaucoup d'annonceurs sont encore dans cette logique, regrette Solène Le Grignou, responsable social media d'Isobar. Il y a encore un vrai travail de pédagogie à faire sur le sujet: ce qui importe aujourd'hui, c'est la visibilité d'un contenu de marque, son engagement et la qualité des conversations générées.»

Un constat partagé par Guilhem Fouetillou, pour qui «la dimension qualitative a été trop longtemps oubliée. On a le suivi quantitatif, mais on aimerait savoir ce que la campagne social media change dans la perception des gens, quelles sont les critiques, les valeurs véhiculées».

 

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Désormais, «nous n'utilisons plus les médias sociaux de façon tactique», observe Sandrine Plasseraud. Les marques les plus matures sur le sujet sont celles qui pensent au «consumer journey», celles qui «essaient de comprendre le parcours du client pour activer les bons réseaux sociaux, avec des contenus ad hoc», ajoute-t-elle. «L'époque d'une vision “channel centric” est définitivement révolue», complète Sabri Mezghiche.

Il faut en conséquence intégrer le fait que chaque média social à un rôle propre. A l'instar d'Orangina Schweppes, qui a assigné une mission à chaque réseau et défini une ligne éditoriale pour chacune de ses marques. Oasis est à ce égard une cas d'école d'une stratégie social media bien ficelée: «Facebook permet de créer de l'engagement, témoigne Stanislas de Parcevaux, directeur marketing du groupe. Twitter nous sert à gagner la compétition de l'instant, YouTube nous permet de diffuser notre contenu tandis que la mission d'Instagram est d'être sur le quotidien de la marque. Ce qui est important, c'est que l'écosystème numérique se nourrisse d'un réseau social à l'autre.»

Les bénéfices de cette approche se font sentir. Dans la dernière édition de son étude Social Media Attitude, le Syndicat national de la communication directe (SNCD) affirme que 16% des socionautes sont devenus clients d'une marque grâce aux réseaux sociaux. Mais les plateformes sont en pleine mutation. D'un jour à l'autre, les règles peuvent évoluer. En un changement d'algorithme, Facebook ou Twitter peut faire baisser significativement la portée et le nombre d'impression d'un message (le «reach»).

Une force de frappe incomparable

Aujourd'hui, faire émerger ses communications est une bataille de tous les instants, surtout depuis que les usages mobiles ont explosé. «Cela demande aux agences médias de pousser les contenus, remarque Solène Le Grignou, d'Isobar. Et pour que le contenu de marque soit rendu visible, il faut le médiatiser en achetant de l'espace.» «Pour orchestrer sa présence sur les réseaux sociaux, une marque devait auparavant débourser environ 5 000 euros par mois pour la réflexion stratégique et la production de contenus. Aujourd'hui, cela varie de 20 000 à 50 000 euros», précise Sandrine Plasseraud.

Si la baisse du reach organique inquiète certains annonceurs, les agences, elles, voient leur travail valorisé. «Le fait que Facebook fasse payer engendre de la maturité chez les annonceurs, qui réfléchissent désormais davantage au contenu», se réjouit le directrice générale de We are social. Même son de cloche du côté d'Isobar: «C'est une bonne chose car ils sont désormais plus exigeants, et l'exigence du post est primordiale aujourd'hui. Pour moi, elle doit être similaire à celle que l'on pourrait voir pour une publicité print.» Chez Digitas, Patrick Dacquin, responsable de l'offre Brand Live, constate que «le coût contact a désormais une vraie valeur, même s'il est encore sans mesure avec les média traditionnels».

Mais c'est surtout la force de frappe qui est sans commune mesure avec les médias classiques. Facebook propose ainsi «une nouvelle offre dont le ticket d'entrée se situe à 100 000-150 000 euros, observe Raphaël Grandemange, directeur général de Starcom France, responsable du digital. Pour le prix d'une vague sur une chaîne TV, on va toucher pendant une journée l'ensemble des utilisateurs de Facebook. Or, on sait très bien que l'efficacité de la vidéo sur internet est plus forte qu'à la télévision. Nous réalisons un ROI [retour sur investissement] de 3 à 5 pour un euro investi dans la publicité Facebook quand nous sommes à 1,5-2 avec la télévision.»

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Au final, l'achat d'espace sur les réseaux sociaux représente aujourd'hui 5 à 10% du mix média global. Selon une étude Forrester, ces investissements en Europe vont atteindre 2,6 milliards d'euros en 2014 et 4,3 milliards en 2019, soit un rythme moyen de progression de 10,5% par an, et 20% pour le mobile. Les investissements ne cessent de grimper puisque les réseaux structurent leurs offres publicitaires, mais aussi parce que les annonceurs commencent à s'engager dans la bataille du «real time marketing» ou «reactive marketing», une bataille de l'instantané que remportent ceux qui arrivent à finement rebondir sur l'actualité en un temps record.

La bataille de l'instant

Cette situation nécessite une nouvelle organisation, que ce soit chez l'annonceur ou dans l'agence. Premièrement, il faut repenser le calendrier rédactionnel et savoir s'en détacher au bon moment. «C'est tellement spontané ce qui se passe sur les médias aujourd'hui que les règles sont ridicules, estime Patrick Daquin, de Digitas. Ce sont les outils et l'actualité qui définissent le rythme de ce qu'on doit poster.»

Selon Solène Le Grignou, une bonne stratégie social media repose aujourd'hui sur une équipe complète composée d'un créatif, un concepteur-rédacteur, un expert médias et un community manager. Certaines agences ont même créé des «newsrooms», des salles criblées d'écrans qui permettent de tout «monitorer» en temps réel, à l'instar de Publicis Modem pour PMU ou de Digitas pour Nissan. «La newsroom permet d'avoir un temps d'avance et de réagir à l'actualité en flux tendu», atteste Patrick Daquin. Pour présenter ce sur quoi il faut réagir au client, l'agence travaille avec un gabarit qui simplifie les choses: nom de la tendance, moment de surgissement, espérance de vie, pertinence avec la marque, expression de la tendance, territoire de marque à utiliser et premiers jets d'approche créative.

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«Aujourd'hui, si les agences de création s'adaptent à ces nouvelles stratégies de communication, ce sont les marques qui doivent se réinventer et repenser leur organisation, lance Stanislas de Parcevaux, d'Orangina Schweppes. Le partage d'informations doit se faire de manière quasiment instantanée et l'on doit créer une discussion interactive qui permet de cocréer. Le process, c'est “réactivité first”. Nous privilégions la réactivité et la bataille de l'instant par rapport à un processus très hiérarchisé. Résultat, nous validons souvent les propositions par SMS.» Une nouvelle organisation qui se concrétise également par la présence d'écrans de contrôle chez les annonceurs, comme chez Orangina Schweppes où «ils permettent de vivre l'écosystème digital à tous les niveaux de l'entreprise, témoigne le directeur marketing. Nous avons toute la data sur les partages, le nombre d'abonnés, le nombre de vues et cela sur l'ensemble des réseaux sociaux.»

Guilhem Fouetillou, de Linkfluence, voit dans ces écrans «une manière de faire bouger l'organisation et d'utiliser la donnée pour sensibiliser et faire prendre conscience que les réseaux sociaux participent à la transformation digitale de l'entreprise». D'autres annonceurs, pour qui la gestion de l'e-réputation est un enjeu majeur, ont même investi dans de véritables «war rooms». Ainsi Nestlé, dont la «digital acceleration team» sonde le web 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, selon le groupe, au dernier étage de son siège social en Suisse. Parmi les secteurs les plus friands de ces «social rooms» qui permettent de désamorcer les bombes conversationnelles, les compagnies aériennes, pour qui les crises sont à chaque coin de ciel.

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