Réseaux sociaux
Le réseau social visuel suscite autant, voire plus, d’engagement que Facebook, et de nombreuses études l’estiment plus puissant que Twitter et Instagram. Pourtant, en France, les marques et les agences l’utilisent peu. A tort?

«Le futur colosse publicitaire qui pourrait prochainement détrôner Facebook et Twitter.» C'est ainsi que Jeff Bercovici, journaliste à Forbes, décrit Pinterest dans le magazine daté du 3 novembre. Ben Silbermann et Evan Sharp, les fondateurs du réseau social lancé en 2010, s'offrent même la une avec ce titre sans équivoque «Pousse-toi de là Zuck». Le ton est donné: désormais, au cas où certains en douteraient encore, il faudra compter avec le réseau social aux 64 millions d'utilisateurs dans le monde, dont la valorisation est estimée à 5 milliards de dollars, voire 10 milliards en décembre prochain.
Le dernier rapport de Shareaholic d'octobre va dans ce sens. Pinterest est le deuxième réseau social pourvoyeur d'audience, représentant 18,5% du trafic référent issu des réseaux sociaux et 5,5% du trafic référent global, avec une hausse de 50% par rapport à septembre 2013. Facebook, roi pour le moment indétrônable, représente quant à lui 75,5% de ce trafic issu des réseaux sociaux et 22,3% du trafic global, quand Twitter peine à atteindre 1%. Dans cette étude, Facebook et Pinterest sont dotés d'un impact similaire en termes de puissance. En effet, si le réseau de Mark Zuckerberg génère quatre fois plus de trafic, il compte également quatre fois plus de visiteurs uniques (132 millions vs 30 millions pour Pinterest, selon Comscore).

«On épingle ce qu'on aime»

Pinterest? «Un outil d'inspiration et de planification» selon Stéphanie Tramicheck, country manager du réseau pour la France. Décoration, cuisine, «do it yourself», voyage et mode sont les domaines les plus suivis. Ainsi que l'art pour l'Hexagone. Rien d'étonnant à cela puisque l'audience est à 80% féminine. Des femmes peuvent y flâner des heures durant pour trouver l'inspiration. La plateforme «remplace la lecture de la pile de magazines féminins et de décoration du week-end et dont on corne les pages» estime Céline Orjubin, cofondatrice de My Little Paris. Sachant que 85% des décisions d'achats sont réalisées par des femmes, le réseau a de quoi séduire les marques.

Portrait : Stéphanie Tramicheck, d'Etsy à Pinterest

C'est d'ailleurs là que réside la vraie force de Pinterest: «On épingle uniquement ce qu'on aime, donc ce que l'on veut potentiellement. Cela répond à un besoin latent ou exprimé, que la personne pourrait vouloir satisfaire dans le futur», poursuit Stéphanie Tramicheck. Une différence de taille avec Facebook et Instagram, qui s'inscrivent davantage dans le passé et le présent, et Twitter, qui se vit uniquement dans l'instantanéité.

L'image, idéale pour le branding 

Vogue fait partie des pionniers en France à avoir utilisé Pinterest. Sur son compte suivi par quelque 150 000 personnes, on trouve les couvertures du magazine, des tableaux d'inspiration et le suivi d'événements en live. Sarah Herz, directrice générale des activités digitales de Condé Nast, note que «la communauté de Pinterest est fidèle, loyale et engagée». A tel point que le trafic de Vogue issu du réseau est identique à celui issu de Twitter, avec dix fois moins de followers.  Si les médias profitent de Pinterest pour donner plus de visibilité à leur contenu, en France, son usage se limite essentiellement au branding. A l'image de Coca-Cola Light, qui a initié une campagne pour moderniser la «pause Coca-Cola Light» avec l'aide de My Little Studio, l'agence de création de contenu en marque blanche de My Little Paris. «Quand on passe des heures sur Pinterest et qu'on relève la tête, on est inspiré, mais rien n'a changé autour du nous. L'idée a donc été de transformer ces inspirations en réalité via l'opération “Ma pause entre copines» détaille Elisa Rummelhard, responsable de My Little Studio. Les participantes ont créé des tableaux présentant leur pause idéale et Coca-Cola Light en a réalisé trois. «Nous avons généré du contenu autour de la marque par les internautes tout en faisant de Coca-Cola Light une baguette magique» souligne Céline Orjubin. Quelque 9 000 internautes se sont abonnés au tableau d'images de My Little Paris et 8 400 «épingles» ont été créées. L'opération a déclenché 4 millions de points de contacts via les différents relais de My Little Paris.

Des contenus à longue durée de vie

Tanguy Moillard, responsable des médias sociaux de Bouygues Telecom, se dit quant à lui satisfait de l'opération «Mon été en 4G» lancée fin juillet et qui avait pour but de faire vivre le hashtag officiel de la marque, #4GBouygues, pendant une période d'actualité commerciale plus calme. Avec l'agence We are social, l'opérateur a imaginé une carte interactive rassemblant les images géolocalisées d'internautes afin de montrer la couverture du réseau en France. Bouygues, pour qui une présence sur Pinterest n'est pas évidente en raison de la nature du produit vendu, couple toujours ses opérations avec un autre réseau social et joue la carte du collaboratif en se servant de ses clients pour créer de beaux visuels et faire vivre la marque. L'opération a déclenché un millier de participations. Dérisoire? Pas pour Tanguy Moillard: «Les tableaux Pinterest restent et nous permettent d'avoir un impact image fort. Même ceux qui n'ont pas participé à l'opération peuvent découvrir ce tableau longtemps après.» Une épingle vit en effet 1 600 fois plus longtemps qu'un post Facebook, selon une étude RJ Metrics de mai. Sa durée de vie moyenne est de 3 mois et demi (50% du trafic sur l'épingle se fait après cette période), contre 90 minutes pour un post Facebook et 24 minutes pour un tweet.

Lire : Pinterest ,réseau social ou plateforme de e-commerce?

Mais ces initiatives restent marginales et relèvent souvent d'une stratégie au coup par coup. Les agences de marketing sur les réseaux sociaux sont unanimes: «Ce que les clients cherchent avant tout, c'est le ROI [retour sur investissement]. Or, Pinterest n'a pas encore l'audience et la maturité nécessaires pour atteindre ces objectifs, résume Nadia Tiourtite, directrice de la stratégie de We are social. Si un choix doit être fait entre plusieurs réseaux, Pinterest ne sera pas retenu en priorité.» Ce que confirme Nicolas d'Audiffret, cofondateur de la plateforme française de créateurs A Little Market, rachetée par le géant américain Etsy en juin 2014, qui aurait pourtant tout intérêt à être présente sur Pinterest: «Nous avons un compte, mais nous ne l'animons que très peu, par manque de temps. Nous devons faire des choix, et nos priorités sont d'abord Facebook et Twitter. En revanche, toutes nos pages sont équipées du bouton “Pin It”.» Quand on sait que 98% des épingles sont des relais et non des téléchargements d'image par l'utilisateur, c'est un bon début.

Inconnu de 63,4% des Français

Arthur Kannas, cofondateur d'Heaven, agence qui conseille notamment Disney, Samsung et Ferrero pour leur communication digitale, confie ne plus travailler sur Pinterest après des essais peu concluants, et ce pour quatre raisons: «Il n'y a pas assez d'audience et pas d'outils ouverts aux annonceurs pour booster la performance. Pinterest est davantage dans l'e-commerce que dans l'éditorial, et les marques ont encore trop souvent une approche “canal centric”, alors qu'encore plus sur Pinterest qu'ailleurs, il faut partir du contenu et jouer la carte “audience centric”.» Il reconnaît ainsi «travailler sur Facebook, Twitter, You Tube et Instagram, et s'amuser sur Snapchat et Pinterest».

Dossier: Réseaux sociaux, les marques à l'heure du real time marketing

Il est vrai que l'audience de Pinterest est encore très modérée. Selon les derniers chiffres Médiamétrie Net Ratings confié en exclusité à Stratégies, Pinterest totalise 1,85 million de visiteurs uniques (VU) en août 2014 sur ordinateur en France, soit 4% des internautes, quand Facebook compte 25,5 millions de VU (55%), Twitter 5,1 millions (11,2%), et Instagram 2,3 millions (5%). Selon une étude réalisée par l'Ifop en août, 63,4% des internautes français ne connaissent pas Pinterest, et 28,6% le connaissent de nom, mais ne l'ont jamais utilisé.

Pas de publicité

Quid du modèle économique? Si Pinterest teste actuellement aux Etats-Unis des épingles sponsorisées avec douze marques triées sur le volet, qui n'ont pas hésité à débourser 1 à 2 millions de dollars, comme Expedia.com, Gap ou Unilever, en France, l'introduction de la publicité n'est pas à l'ordre du jour. «L'objectif actuel est uniquement de développer notre audience. Nous sommes encore jeunes, nous avons à peine un an», rappelle Stéphanie Tramicheck, qui se félicite du lancement cet été des analytics mis à disposition des marques. Avec son équipe composée de trois personnes, l'essentiel de son travail consiste à accompagner les marques et les agences en les aidant à optimiser la plateforme afin d'en tirer profit pour développer le reach, le trafic et le retail.
La Redoute s'est lancée sur Pinterest France en 2011. «Toutes nos fiches produits ont un bouton Pin It et nous avons développé quelques jeux-concours sur notre compte, mais le retour est encore faible et peu quantifiable avec les statistiques disponibles. Nous allons donc travailler sur l'intégration d'outils. Accroître notre recrutement et notre trafic sur Pinterest sera la priorité de 2015», précise Audrey Barras, social media et innovation manager de La Redoute. Céline Orjubin, de My Little Paris, estime qu'une marque présente dès le départ sur Pinterest donne un signal fort à ses clientes: «Je t'ai comprise, je sais où tu es, ce que tu aimes et donc je suis présente.»

 

Pinterest en chiffres
64 millions d'utilisateurs sur ordinateur (mais 75% du trafic se fait via mobile).
40 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis.
750 millions de «boards» (tableaux) et 30 milliards de «pins».
54 millions de nouvelles épingles chaque jour.
160 dollars, le panier moyen  d'un utilisateur de Pinterest.

En France (chiffres Médiamétrie Net Ratings)
1,85 million de visiteurs uniques (VU) en août 2014 en France, soit 4% des internautes.
339 000 VU sur mobile (application et site).
605 000 VU sur tablette au 2e trimestre 2014, soit plus de 201 000 VU mensuellement.

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