Production
Les sociétés de production publicitaire doivent relever un triple défi: la demande de contenus explose avec la multiplication des écrans, les budgets se réduisent comme peau de chagrin, et de plus en plus d'agences se mettent à produire en interne.

L'augmentation du nombre de contenus filmés, corollaire à celle du nombre d'écrans, ne signifie pas pour autant que tout va pour le mieux dans le monde de la production publicitaire. Sous l'angle de la création, le constat est plutôt mitigé. «Lorsqu'on se compare à nos partenaires internationaux, on remarque qu'il y a de moins en moins de bons films produits en France. En Grande-Bretagne, ils produisent des films ultra créatifs pour des produits aussi basiques que du lait ou du beurre. Les films américains ou britanniques sont aussi mieux “craftés”, avec plus de décors, plus de stylisme aussi», déclare Arno Moria, vice-président du Syndicat des producteurs de films publicitaires et producteur chez Les Télécréateurs.

 

Dossier : production et post-production

 

 

Cette baisse de créativité et de qualité est notamment due à la réduction des budgets. Selon les estimations du syndicat, le budget moyen consacré à la production d'un film publicitaire était de 350 000 euros il y a cinq ans, il est de 290 000 euros aujourd'hui. Très loin du 1,5 million de dollars (1,2 millions d'euros) investi aux Etats-Unis. Si elle participe à une diminution de la qualité, cette baisse des budgets se répercute bien évidemment sur l'état de santé des maisons de production. «Celles qui ont une écurie de réalisateurs à forte notoriété s'en sortent bien car elles s'accaparent les meilleurs films et les budgets les plus importants, développe Julien Pasquier, président du syndicat professionnel et producteur chez Standard. Les autres ont du mal à s'en sortir. Cette tendance est de plus en plus prégnante aujourd'hui.»

 

Productions intégrées

 

Les sociétés qui n'ont pas développé de lignes éditoriales claires subissent de plein fouet la concurrence des productions intégrées au sein des agences de publicité. «Lorsqu'un annonceur fait appel à une société de production, c'est pour son identité artistique et sa qualité de fabrication. S'il veut rationnaliser les coûts, quitte à avoir un contenu plus standardisé et classique, il se dirigera alors vers les productions d'agences», explique Elsa Rakotoson, fondatrice et productrice de Frenzy. «Au contraire des sociétés de production, dont la valeur ajoutée réside dans le talent de ses réalisateurs qui apportent une émotion distincte, les productions d'agences s'attaquent à des productions normées et stéréotypées», lance Jérôme Denis, producteur exécutif et associé chez Wanda. Ces productions internes, à l'instar de Prodigious/Publicis, Rita/BETC, Else/TBWA, Hercule/Les Gaulois ou, tout récemment, Killdeath chez Fred & Farid, seraient surtout responsables d'un sérieux manque à gagner pour les sociétés de production. «Le problème est que les agences utilisent leur proximité relationnelle avec leurs clients pour ne leur proposer que la solution de produire elles-mêmes les films publicitaires, au prétexte que ce sera plus simple et moins cher que de travailler avec une maison de production», regrette Arno Moria.

 

Les productions intégrées se défendent bien sûr d'ôter du travail aux maisons de production indépendantes. «Chez Prodigious, nous produisons environ 80 films par an, ce qui correspond à 15 millions d'euros de notre chiffre d'affaires 2014 tandis que 80 millions sont issus de notre activité de TV producteur [production déléguée à une société indépendante]», indique Pierre Marcus, PDG de Prodigious France. «Alors que TBWA envoie en production environ 120 films par an, Else n'en produit qu'une cinquantaine, dont une vingtaine de spots TV classiques, et notamment les films à petits budgets, à moins de 10 000 euros», corrobore Maxime Boiron, président d'Else.

 

Haro sur la convention collective

 

Qu'elles soient indépendantes ou filiales d'agences, les sociétés de production doivent ajouter de nouvelles contraintes, imposées par la convention collective signée l'an dernier qui régit les métiers de la production. «Cette convention a entraîné jusqu'à 100% d'augmentation des salaires à la journée, rendant inattractive la France, explique Arno Moria. Au final, on doit maintenant tourner l'essentiel des films publicitaire dans des pays comme l'Espagne, la Belgique ou la Slovénie. Avant, on tournait à l'étranger pour des raisons météorologiques. Aujourd'hui, c'est pour des questions budgétaires.» Ainsi, chez Les Télécréateurs, plus de 50% des spots étaient tournés en France jusqu'en 2012. Aujourd'hui, c'est moins de 10%. «Nous dénonçons ce texte, établi entre producteurs de cinéma, qui n'a pas pris en compte la spécificité de la production publicitaire», ajoute Arno Moria.

 

Mais d'autres raisons incitent à tourner dans des contrées plus lointaines et exotiques. «Tourner en Argentine permet plus de possibilités qu'en France. Cela peut être une bonne option pour palier à des budgets de plus en plus réduits. Ce pays pourrait bien redevenir l'eldorado de la production qu'elle était au début des années 2000: depuis plus d'un an, le peso argentin connait à nouveau une forte dévaluation, ce qui permet au pays d'être plus compétitif par rapport à d'autres destinations de tournage comme l'Afrique du Sud», explique Ahlem Roubine, productrice et fondatrice de la branche française d'Argentina Cine.

 

Le brand content à l'honneur

 

Malgré ce tableau peu avenant et des contraintes de plus en plus nombreuses, les sociétés de production indépendantes ne baissent pas les bras et rivalisent d'imagination pour innover et trouver de nouveaux concepts. Ainsi, si elles restent dépendantes des agences de communication pour les films publicitaires («Seules les marques du luxe, comme Guerlain, Chanel ou Dior, qui gèrent leur communication en interne, s'adressent directement à nous pour leurs publicités», selon Arno Moria), le brand content leur a permis de développer des relations directes avec les annonceurs. «Nous sommes de plus en plus souvent contactés en direct par des annonceurs qui ont besoin de contenus de marque pour un salon, leurs vitrines ou leurs magasins phares», indique Arno Moria.

 

Chez Les Télécréateurs, 35% de l'activité est lié au brand content. Pour Frenzy, le brand content représentait 10% de l'activité en 2013. «Si c'est un axe prometteur, c'est encore un marché en développement qui demande des efforts budgétaires. Notre objectif est de consacrer plus de 25% de notre activé au brand content en 2015», explique Elsa Rakotoson, sa fondatrice. «A Standard, ce pourcentage est compris entre 25 et 30% de l'activité, mais concerne moins de 20% de notre chiffre d'affaires. Ça représente du temps, mais pas forcément de l'argent», note Julien Pasquier. En effet, si le budget des films publicitaires tourne aux alentours de 300 000 euros, celui des films non publicitaires est davantage de l'ordre de 80 000 euros…

 

Mais preuve que le brand content a le vent en poupe, Kabo Family vient de relancer Studio Kabo, son entité pour le contenu de marque, avec la récente nomination de Stéphanie Collet, jusqu'alors directrice du Club des annonceurs.

Bonne nouvelle aussi, le marché de la production en France séduit toujours. Pour preuve, la société argentine Argentina Cine vient de s'implanter à Paris, avant même l'ouverture d'une antenne en Espagne. «Si beaucoup de pays ont une longueur d'avance en termes de créativité publicitaire, il n'en reste pas moins que la France progresse», conclut Ahlem Roubine, qui rappelle qu'une nouvelle génération de réalisateurs français «très talentueux» se taille une place de choix, à l'instar de Romain Gavras, du duo We are from LA ou de Yoann Lemoine, alias Woodkid.

 


FOCUS. Le Syndicat des producteurs de films publicitaires

Fondée en 1981, l'Association des producteurs de films publicitaires (APFP) est devenue en 2007 le Syndicat des producteurs de films publicitaires. Présidé par Julien Pasquier depuis 2011, il a pour objet «l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels des producteurs de films publicitaires et des sociétés de production». Il «veille à la considération, la prospérité et au développement de celles-ci».


FOCUS. Paris, capitale du luxe publicitaire

«Sur le registre de l'humour et de la comédie, le style [français] est souvent très lourd et pas très efficace. [Les Français] excellent davantage dans des publicités beauté et luxe», assure Ahlem Roubine (Argentina Cine). La singularité hexagonale résiderait-elle dans le secteur du luxe? C'est ce que semble penser aussi Dimitri Chamblas, producteur associé de Same Production: «Paris a la singularité de produire le plus grand nombre et les plus beaux films du luxe. Aux Etats-Unis se font des campagnes beauté, mais pas du luxe. Les vraies campagnes de ce secteur sont françaises. Vivant entre Los Angeles et Paris, je ressens fortement que dans le monde entier, les images qui viennent lorsqu'on parle de la France sont les campagnes Dior, Chanel, etc. Les réalisateurs du monde entier veulent tourner des films pour ces marques françaises qui sont le raffinement et la classe.» Pour garder leur notoriété, ces marques de haute-couture, de parfumerie, de joaillerie et d'horlogerie n'hésitent pas à débourser des sommes importantes pour la production de leurs campagnes. S'il est difficile de connaître ces budgets, qui «peuvent atteindre des sommets, même en temps de crise», selon Dimitri Chamblas, on peut noter par exemple que Christian Dior Parfums était le 48e investisseur en 2013 en France (86,3 millions d'euros bruts) et Chanel Parfums le 71e (69,8 millions d'euros bruts), selon Kantar Media.

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