Malgré quelques initiatives exemplaires, les plus âgés sont mal aimés dans l’entreprise. À eux de s’inventer une nouvelle activité, loin du salariat et des sentiers battus.

Exit Daniel Mermet, 71 ans, installé depuis 25 ans sur France Inter ; viré Ivan Levaï, 77 ans, figure de cette même station où il était entré en 1989 ; évincé Alain Veinstein, 71 ans, voix historique de France Culture. En 2014, Radio France a fait place aux jeunes. Concours de circonstances ou signe des temps ? Pour certains, ces journalistes ont connu, par chance, une carrière d’une exceptionnelle longévité. Pour d’autres, ils n’avaient qu’une tare : leur âge. Et il ne fait pas bon mûrir en entreprise. « Aujourd’hui, dans les grands groupes, on vieillit de plus en plus tôt. Dans certains, les salariés sont même considérés comme seniors après… 37 ans ! », souligne David Rudnianski, fondateur de la plateforme Louerunsenior. Depuis décembre 2013, ce site met en relation les entreprises avec une population grandissante de 45 ans et plus, experts dans leur domaine, mais ne parvenant pas à retrouver un emploi.
Car les seniors sont bien les premières victimes de la crise. Et de loin. Selon les derniers chiffres de Pôle emploi, le chômage ne cesse de grimper chez les plus de 50 ans : plus de 11 % entre septembre 2013 et septembre 2014 quand celui des moins de 25 ans baisse de 1,2 % sur la même période.
Malgré les mesures du gouvernement, tel le contrat de génération, rien ne semble pouvoir inverser la tendance. Certes, nombre de grandes entreprises communiquent sur des dispositifs en faveur de l’emploi des seniors. Essilor par exemple, dont 20 % de l’effectif a plus de 55 ans, propose, pour aménager les fins de carrière, divers arrangements : temps partiels à 50 % payés 65 %, maintien de la totalité des cotisations retraite ou indemnités de départ à la retraite converties en compte temps pour sortir plus tôt de l’entreprise. Même type de dispositif dans d’autres grands groupes comme Orange, Alstom ou Thales. Mais ces mesures, partant sûrement d’une bonne intention, ne font pas illusion : elles préparent davantage au départ des salariés âgés qu’à leur maintien dans l’emploi.

 

Une culture de la préretraite
La faute à des salaires forcément plus élevés, mais aussi à une culture de la préretraite. « Les politiques publiques de départs précoces ont été acceptées par tous, entreprises comme salariés, insufflant dans l’esprit de chacun l’idée qu’à partir d’un certain âge, on ne valait plus rien, analyse Fabienne Caser, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Au contraire, les seniors sont très performants si l’on sait adapter leur environnement professionnel. »
C’est ce que fait par exemple BMW dans ses usines allemandes de Dingolfing, Munich ou Leipzig, où des chaînes de montage prennent en compte les besoins des salariés âgés. Loupe et moniteur d’angle, fauteuils et tables réglables, plancher en bois pour réduire l’électricité statique… Tout est fait pour assouplir les contraintes physiques, des chaussures orthopédiques jusqu’aux plages de repos pour des séances d’étirement. Résultat : une productivité en hausse jusqu’à la retraite pour des coûts d’investissement minimes.
« Se priver des seniors, c’est se dépouiller de savoir-faire et de savoir-être fondamentaux, explique Marc Raynaud, fondateur de l’Observatoire du management intergénérationnel (Omig). Les seniors ont énormément à transmettre. » Pour ce consultant en management franco-canadien, connecter les générations est vital. « 70 % des entreprises françaises connaissent des conflits entre salariés jeunes et plus âgés. Cela finit par peser sur leur efficacité et leurs performances », souligne-t-il. Encore faut-il créer ensuite les conditions d’un travail commun et bénéficier du soutien de la direction et des managers dans cette démarche de transmission entre les générations.

 

Un avenir dans les PME ?
Ce sont surtout les PME qui font l’effort. Comme par exemple AGC Gascogne Adour, une société d’expertise-comptable et de conseil basée à Auch, dans le Gers, qui mise sur l’intergénérationnel. Développement du tutorat, binômes d’échanges organisés à l’intérieur de chaque service afin de favoriser la cohabitation et la coopération entre générations, entretien de deuxième partie de carrière après 50 ans… les seniors ont toute leur place. Une formation au rôle de référent a même été créée pour leur permettre de développer de nouvelles compétences et, le cas échéant, de se préparer à occuper des fonctions d’encadrement. Même politique fondée sur le tutorat chez Convers, une société niçoise spécialisée dans le télémarketing et la relation client. 35 % des 130 salariés ont plus de 50 ans et 10 % moins de 26 ans. Une quinzaine de tuteurs volontaires sont formés chaque année pour communiquer leurs compétences et leur « savoir-être ». « Pour les tutorés, c’est un outil de vie dans l’entreprise et pour les seniors, un outil de valorisation, indique Philippe de Gibon, PDG et cofondateur de l’entreprise. Les seniors ont des tas d’atouts, expérience, ponctualité, sens de la hiérarchie et, contrairement à ce que l’on pense, sont peu absents et malades. »
L’avenir des seniors est-il dans les PME ? Beaucoup veulent y croire. Notamment Denis Jacquet, fondateur de l’Accélérateur de croissance. Cette structure associe dans des projets entrepreneuriaux jeunes pousses et seniors en fin de carrière. Ils sont « mis à disposition » par des grands groupes qui prennent en charge leurs salaires. « Comme les seniors leur coûtent cher, les grandes entreprises préfèrent les recycler au plus vite plutôt que de leur faire un gros chèque », explique Denis Jacquet, qui espère en « reclasser » une centaine avant la fin de l’année. Et d’ajouter : « Ils ont des capacités d’adaptation à la mesure de leur désespérance, c’est-à-dire incroyables. »

 

Devenir consultant ou créer sa boîte
Quoi qu’il en soit, les seniors d’aujourd’hui doivent s’inventer une nouvelle activité, le plus souvent en dehors du salariat. Ils deviennent alors indépendants. De nouvelles offres et services accompagnent ce mouvement, comme les sites Louerunsenior, Bitwiin ou Cadreseniorconsulting. Le phénomène est aussi à l’œuvre dans le secteur de la publicité, où il est difficile de vieillir sans se faire consultant. Ou encore dans la radio : Daniel Mermet souhaite relancer en 2015 un  Là-bas si j’y suis sur internet en animant chaque matin un « 7-9 » digital. Certains fondent leur boîte  – sur les 26 000 entreprises créées en 2013, 538 100 l’ont été par des « tempes grises » – quand d’autres monétisent leurs passions. Comme chez Mamy Factory, un site de prêt-à-porter pour enfants où 50 grands-mères de 57 à 91 ans, tricotent en auto-entrepreneur des vêtements pour la marque. 5 000 « mamies » sont, à ce jour, sur liste d’attente ! Les aînés n’ont pas dit leur dernier mot.

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