Sous l’effet de campagnes et de clichés décalés venus du secteur de la mode, l’image des aînés évolue. Mais à l’heure de la très tendance chirurgie esthétique, un travail considérable reste à faire pour modifier notre vision de la vieillesse.

Dans notre société du paraître, peu de gens acceptent de se voir vieillir. Les seniors nous renvoient le miroir de notre propre déclin. Or nous vivons une véritable transition démographique. Il est temps de redonner une place légitime aux personnes âgées, lance Jérôme Pigniez, fondateur de Silvereco.fr, portail d’information de la silver économie. Une grande campagne nationale est-elle nécessaire ? Il l’appelle de ses vœux. Mais le sujet est particulièrement difficile à traiter.
Ainsi, en 2006, celle signée par l’agence Ogilvy a complètement raté sa cible. « Elle montrait des gens âgés jouant aux jeux vidéo mieux que leurs petits-enfants, se souvient Frédéric Serrière, patron de Senior Strategic, cabinet de conseils en stratégie et marketing du marché des seniors. C’était louable de jouer la carte de l’intergénérationnel, mais il fallait également montrer les atouts et les apports des aînés à l’ensemble de la société à partir de leurs qualités réelles. » C’est ce qu’ont fait l’Australie, le Royaume-Uni ou les pays scandinaves pour lutter contre les préjugés, à l’instar, dans les années 2000, d’une campagne finlandaise pour l’emploi des seniors, intitulée « L’expérience est une richesse nationale ».
En attendant, Jérôme Pigniez a pris les devants. Cofondateur de la Nuit du grand âge et du bien vieilllir, il a lancé, avec Silvereco, une publicité maison. Baptisée « Tous silver ! », elle invitait le grand public et, en premier lieu, les acteurs de la silver économie à partager sur Twitter deux photos de leurs visages : l’une actuelle, l’autre les imaginant 40 ans plus tard grâce au vieillissement artificiel proposé par de nombreuses applications sur smartphone. Un message qui se voulait intergénérationnel, pour « assumer son propre vieillissement et préparer un bien-vieillir commun ». Problème : même parmi les acteurs de la silver économie, censés donner l’exemple, peu ont accepté de jouer le jeu. Un comble !
C’est pourtant de la publicité que souffle le vent du changement. Pour sortir du lot, s’offrir une image décalée voire s’inscrire dans une démarche sociétale, les marques étrangères n’hésitent plus à mettre en scène des seniors. Ainsi, la nonagénaire Iris Apfel est l’égérie des cosmétiques M.A.C. L’actrice Jessica Lange, 64 ans, celle de Marc Jacobs. à 68 ans, l’icône Charlotte Rampling est le nouveau mannequin fétiche des produits Nars et Jacky O’Shaughnessy, une inconnue de 62 ans, se fait porte-étendard de la marque de lingerie American Apparel.

 

Les peaux ridées sont branchées
La mode joue la carte du vieillissement jusqu’en Chine. Liu Xianping, un grand-père de 72 ans, y est devenu égérie de la beauté et star du web. Depuis que ce papy travesti enfile petites robes flashy et hauts sexy, les ventes de vêtements pour adolescentes pour lesquels il pose ont été multipliées par quatre. Enfin, les peaux ridées deviennent belles, branchées et furieusement tendance. Elles s’exposent sur l’affiche de l’exposition d’Hedi Slimane, programmée jusqu’en janvier 2015 à la Fondation Pierre Bergé. Ou encore sur le blog Advanced Style, d’Ari Seth Cohen. Ce photographe de mode autoproclamé « expert en vieilles dames » publie depuis 2008 des clichés de femmes âgées superbement lookées qu’il a pour la plupart croisées dans la rue. Un travail que l’a amené à écrire le documentaire Advanced Style, en 2014. Ou les portraits intimistes et colorés de femmes âgées de 62 à 95 ans défiant les idées reçues sur la beauté et l’obsessionnelle culture de la jeunesse. Un créneau qui est aussi un credo pour Ari Seth Cohen, qui souhaite ainsi changer notre perception sur le troisième âge.
Chez les marques françaises, l’idée commence aussi à faire son chemin. Lanvin a choisi l’ancienne danseuse Jacqueline Murdoch, 82 ans, pour sa collection automne-hiver 2012-2013. Lucienne Moreau, 81 ans, a participé à la dernière campagne du site Adopte un mec, après avoir été la mascotte du Petit Journal de Canal +. Tandis que Daphne Selfe, 85 ans, défilait en janvier dernier pour Stéphane Rolland au milieu des jeunes mannequins. « Quand la mode se permet de prendre un coup de vieux, c’est bon signe pour le changement de regard sur les seniors », observe Martine Ghnassia, directrice de InCapsule by Ifop, le nouveau cabinet de tendances de l’institut d’études éponyme.


Un rapport ambigu à l’image du vieux
Signe des temps, M, le magazine du Monde, est allé jusqu’à réaliser un spécial beauté avec des femmes âgées en novembre dernier. Le numéro affiche en une le superbe visage fripé et maquillé de Françoise de Stael, mannequin senior bien connu des publicitaires. Histoire de « prouver que la beauté ne se résume pas à un matelas dermique lisse et sans défaut », précise le magazine. Reste que le même numéro consacre une enquête à la chirurgie esthétique, très tendance à New York. Rajeunir son visage au bistouri ou au Botox se démocratise dans tous les pays. Les selfies, ces autoportraits en vogue, seraient même à l’origine d’une hausse du nombre d’opérations en médecine esthétique, selon l’Académie américaine de chirurgie plastique et reconstructive faciale (AAFPRS) ! Nous ne sommes donc pas mûrs pour assumer totalement les signes de l’âge. Le sociologue Serge Guérin parle de « schizophrénie » dans notre rapport à l’image du « vieux ».« Nous aimons nos parents et nos grands-parents, mais dès que nous sortons de la cellule familiale, les représentations de la vieillesse deviennent très négatives », explique-t-il.

Retard du marketing et du politique
Et les professionnels du marketing, sont-ils prêts ? « Les consommateurs seniors le sont, ce serait bien qu’ils le comprennent », relève Martine Ghnassia. Malgré les évolutions démographiques, Médiamétrie, principal outil de mesure de l’audience des médias audiovisuels, reste « bloqué » sur la ménagère de moins de 50 ans. Ce qui influence forcément le secteur de la communication. « Les publicitaires sont souvent insensibles à la question de l’âge, reconnaît Martine Corbusié, planneur stratégique chez DDB. En agence, l’âge moyen n’est que de 27 ans. L’association à la jeunesse y est extrêmement forte, avec la volonté de mettre en avant des idées novatrices, modernes, que les seniors n’incarnent pas. »
Le système politique a aussi sa part de responsabilité. Certes, il n’est pas évident pour un élu d’associer personnes âgées et avenir. Mais rarement un projet de loi n’a été aussi peu médiatisé que celui voté en 2013 à l’Assemblée nationale sur l’adaptation de la société au vieillissement. Pourtant, c’est l’une des rares lois sociales du quinquennat, qui va toucher 20 millions de nos concitoyens en 2020. Bien plus que le mariage gay… « Les politiques n’ont pas compris que les seniors ont radicalement changé », conclut Jérôme Pigniez.

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