Ces concours de conception, en 48 heures, de prototypes d’application ou de services digitaux se multiplient dans les entreprises. Un modèle inédit d’innovation, alors que les sociétés doivent réussir leur transformation digitale.

Des agences bancaires connectées par Beacons, un casque de réalité virtuelle pour former des conseillers, des alertes boursières sur montre connectée… Au total, ce sont 40 projets innovants qui ont été présentés en moins d’une heure, au tout début du hackathon de la Société Générale, organisé début octobre sur le thème des objets connectés. Dans les locaux de l’Ecole 42, fondée par Xavier Niel, 200 développeurs, designers et porteurs d’idées ont concouru pour coder en deux jours 30 prototypes d’application. Au final, un jury composé de grands pontes de la Société Générale a remis aux cinq lauréats des chèques d’une valeur de 1 000 à 5 000 euros. Le premier prix, « My SG Adviser », qui verra le jour, est un clavier antifraude de retrait d’argent via Google Glass et smartphone.

Innovation rime désormais avec hackathon dans les entreprises. Contraction de « hack » et de « marathon », ce mot-valise désigne un événement de programmation informatique collaborative, où des talents divers s’affrontent en équipe pour concevoir sur un thème choisi et le temps d’un week-end, des prototypes d’applications ou de services en ligne. Le concept est né aux États-Unis à la fin des années 1990, dans la communauté du logiciel libre. « Les sociétés informatiques s’en sont emparées les premières pour promouvoir leurs technologies auprès des développeurs, rappelle John Karp, cofondateur de BeMyApp, une société spécialisée dans l’organisation de ce type d’événement. Depuis quelques années, les entreprises traditionnelles l’ont aussi adopté comme outil d’innovation. » L’agilité et la liberté de ces hackathons font souffler un vent nouveau sur des groupes plus habitués à des cycles d’innovation longs et complexes. « Les grands groupes ont vu des secteurs entiers bouleversés en quelques années par des start-up comme Airbnb ou Uber. Ils réalisent qu’ils doivent aller chercher l’innovation digitale hors les murs », décrypte Emmanuel Vivier, cofondateur du think tank digital Hub Institute.

Preuve de leur succès, la liste des entreprises adeptes s’allonge : Orange, RATP, Casino, Axa, Crédit Agricole ou encore Pernod Ricard qui a choisi, en janvier 2014, de faire plancher les développeurs sur le bar de demain… « Le hackathon nous a apporté l’éclairage original des professionnels du digital, qui sont aussi nos clients », explique Antonia Mccahon, directrice du marketing digital de Pernod Ricard. Le groupe démarchera bientôt les débits de boisson avec une solution de gestion en ligne des happy hours, conçue à cette occasion. Plusieurs innovations sont ainsi sorties de ces séances de brainstorming. L’application Tranquilien, qui permet aux usagers de choisir le train ou la voiture la moins bondée, est née d’un hackathon sur l’open data organisé par la SNCF en 2012. Idem pour Nomoney du Crédit Agricole qui offre aux clients la possibilité d’échanger de l’argent entre proches par mobile. Ou encore pour « Hello ma ville », une application testée par Vinci Autoroutes qui mesure l’impact de nos déplacements sur l’environnement. Même les médias s’y mettent. Les rédactions du New York Times, du Guardian ou de El País se sont lancées dans l’aventure, encouragées par le Global Editors Network, une association internationale cherchant à développer l’innovation dans le traitement de l’information. En mars dernier, c’est l’espace de coworking et d’expérimentation Numa qui a lancé avec le journal L’Equipe le hackathon « data + foot ». « L’objectif était de créer de nouvelles formes de sujets très interactifs pendant le Mondial », explique Claudio Vandi, responsable de l’open innovation au Numa. Et de citer les trouvailles qui ont émergé : un site internet pour revivre les matchs légendaires de l’histoire de la Coupe du monde ou l’utilisation de données chiffrées pour éclairer quelques questions et idées reçues des supporters, du type « L’Italie, la meilleure défense ? », « L’Allemagne, reine du money time ? », « Zidane, le plus nerveux ? »…

Outil de changement, le hackathon est aussi très utile pour diffuser la culture numérique au sein d’organisations sommées d’orchestrer leur transformation digitale. Celui de la Société Générale associait ainsi une trentaine de collaborateurs volontaires. Issus de tous les métiers de la banque – informatique, marketing, communication –, ils tenaient le rôle de mentors auprès des équipes engagées. Offrant un lifting à leur bonne vieille boîte à idées, certaines entreprises optent même pour des formules réservées aux salariés ou mélangeant, le temps d’un séminaire, leurs top managers et des développeurs externes. Un choc des cultures qui insuffle un esprit start-up aux grands groupes, notamment lors de l’incubation des projets. « Deux mondes se confrontent alors : l’un très souple, l’autre plus structuré et complexe », témoigne Arnaud-Louis Chevallier, responsable Innovation banque de détail de la Société Générale.

Le hackathon s’avère aussi un dispositif de recrutement efficace pour des profils aussi précieux que difficiles à séduire.
Comment attirer les meilleurs ? Avec des récompenses attribuées aux gagnants – jusqu’à 1 million de dollars pour l’éditeur de logiciels Salesforce – ou la promesse de se former aux dernières technologies, comme les objets connectés. « Il n’y a qu’en les côtoyant que les entreprises pourront comprendre les développeurs », assure Emmanuel Vivier. Le chemin est encore long. A l’occasion de son hackathon, Axa a essuyé le refus de l’un d’entre eux. Ce jeune diplômé venait tout juste d’être recruté à un salaire confortable par Facebook, séduit par ses publications sur la plateforme de partage de codes GitHub. L’assureur, sur les bases de ses grilles de carrière habituelles, ne lui proposait qu’un stage…
Enfin, le hackathon est un outil de communication pour les entreprises. « Celui que nous avons organisé début 2014 nous a permis de faire connaître notre jeune store d’application aux développeurs », révèle Mustapha Cherifi, responsable marketing du Crédit Agricole Store. « Pour nous, c’est l’occasion de démontrer notre ouverture tout en rappelant que nous sommes une banque de référence sur le digital », explique pour sa part Arnaud-Louis Chevallier.
Malgré ces avantages, les entreprises hésitent parfois à se prêter au jeu, par peur des critiques. Claudio Vandi regrette ainsi « la distance prise avec la philosophie des premiers temps, faite d’esprit collaboratif et d’exploration de nouveaux horizons, comme l’open data ». Pour d’autres, il s’agit ni plus ni moins de profiter d’une main-d’œuvre gratuite. John Karp s’en défend : « Ce n’est pas du travail non rémunéré. L’entreprise ne soumet pas de cahier des charges aux développeurs, qui participent librement, par passion ou pour se former. » Certaines entreprises redoutent aussi de partager des informations stratégiques. « Cela fait partie du jeu », reconnaît Olivier Alamo, directeur marketing de Vinci Autoroutes. Le concessionnaire a tout de même fait signer aux participants un contrat avant de leur remettre un clé USB chargée de centaines de mégaoctets de données sur ses autoroutes. Les sociétés peuvent enfin craindre le vol d’idées par des prestataires. « Cela n’est jamais arrivé sur nos événements, assure John Karp. De toute façon, une idée n’a aucune valeur sans sa réalisation. »

Mais le principal défi réside dans l’après-hackathon. Comment transformer de simples esquisses en produits finis et commercialisables ? Avec une problématique importante en termes de propriété intellectuelle : les codes et les prototypes appartiennent aux participants et non pas à l’organisateur. Pour relever ce défi, les sociétés misent sur l’accompagnement et l’incubation. Ainsi, chez Vinci Autoroutes, un coach dialogue chaque jour avec les trois lauréats. « Nous les aidons à définir leur service, leur business model, leur cible ou à intégrer des aspects juridiques », précise Olivier Alamo. Dans ce contexte, les grands groupes appéhendent de nouvelles formes de relations commerciales. « Elles apprennent à être les partenaires de start-up plutôt que leurs concurrents », remarque Emmanuel Vivier. Illustration avec L’Oréal, qui organisait au printemps dernier, pour ses marques professionnelles Kérastase et Redken, son premier hackathon sur le thème de la beauté. L’un de ses lauréats, Matthieu Le Vavasseur, a formé une équipe pour développer l’application Zap on Hair proposant des quiz pour gamifier la formation des coiffeurs. Depuis, cette équipe a créé la jeune pousse Sparted et rejoint l’incubateur cogéré par BeMyApp et L’Oréal. En louant sa solution, Kérastase sera son premier client, avec un déploiement en janvier 2015 en France et aux Etats-Unis. « Elle aura le privilège d’être la première marque professionnelle à adopter cet outil de communication », se réjouit Matthieu Le Vavasseur. Effet waouh garanti ! Un contrat inespéré pour une jeune entreprise à fort potentiel qui volera bientôt de ses propres ailes : elle compte louer à d’autres clients sa solution de gamification sous marque blanche. 

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