Alors que les monnaies virtuelles se multiplient, la plus célèbre, le bitcoin, a désormais pignon sur rue. Plusieurs entreprises la proposent à leurs clients. Révolutionnaire.

Showrooms, distributeurs automatiques, comptoirs d’achat… Inventé en 2009 par un dénommé Satoshi Nakamoto, le bitcoin s’implante aujourd’hui dans plusieurs pays. En France, la plus célèbre des monnaies virtuelles peut s’acheter à la Maison du Bitcoin, 35, rue du Caire, à Paris. Cofondée par Eric Larchevêque, ingénieur en informatique et serial entrepreneur, cet espace de 220 m2, inauguré en mai 2014, est un lieu d’échanges et de promotion, ouvert aux chefs d’entreprise et au grand public. Sur place, des formations sont dispensées pour expliquer le fonctionnement de ce moyen de paiement se présentant non sous forme de pièces, mais de code informatique, à stocker dans un porte-monnaie électronique.
« Le bitcoin représente une rupture technologique, une vraie révolution industrielle. C’est une alternative au système financier actuel, une manière concrète pour le citoyen de devenir sa propre banque en évitant tout intermédiaire. À terme, il pourrait sérieusement concurrencer les cartes type Visa et Mastercard, ainsi que les spécialistes des transferts de fonds, comme Western Union ou Moneygram », explique Eric Larchevêque.

Pour s’en procurer, rendez-vous sur place, au comptoir ou au distributeur automatique. Outre la Maison du Bitcoin, on en trouve aussi dans quelques boutiques informatiques, PcDuo à Bois-Colombes ou MineOnCloud à Toulouse. Le bitcoin s’acquiert également en ligne sur des plateformes mettant en relation acheteurs et vendeurs, telle la française Paymium. Enfin, le troc est possible, si l’acquéreur apporte, en échange, une puissance de calcul informatique : le bitcoin, à la fois devise et système de paiement, s’appuie en effet sur un réseau de pair à pair gérant les transactions de façon collective et automatique. Il fonctionne sans autorité centrale, sur de puissants algorithmes, via un logiciel libre et un protocole permettant à l’utilisateur de « miner », c’est-à-dire d’émettre des bitcoins. L’image de la mine n’est pas due au hasard : plus on creuse, plus l’or est difficile à trouver. Ici, plus le temps passe, plus l’obtention du bitcoin, basé sur la rareté, est longue et chère.
Quels sont ses avantages ? « Acheter, vendre et transmettre de l’argent pour un coût de transaction réduit et de manière sécurisée », résume Eric Larchevêque. La confidentialité des transactions, menacée à terme par la disparition du liquide, est mise en avant par ses promoteurs. Le bitcoin est en effet une monnaie anonyme et intraçable. De quoi échapper à l’État Big Brother, aux entreprises qui traquent nos données, voire à l’impôt. Enfin, même si son cours est très fluctuant – il est passé de 686 euros fin juin à 285 euros fin octobre 2014 –, les commerçants ou les consommateurs peuvent s’en prémunir en convertissant leurs bitcoins en euros ou en les dépensant immédiatement.

Mais pour acheter quoi ? Vêtements sur Showroomprive.com, alimentation sur Pizza.fr, bouteille sur Champagne.net… la liste des établissements acceptant la monnaie est listée sur Bitcoin.fr. Elle devrait s’allonger tant les expériences d’utilisation se multiplient côté entreprises. Ainsi, en août dernier, l’américain Dell, adepte de la cryptomonnaie, a enregistré une commande record de 50 000 dollars, payée en bitcoins et saluée dans un tweet par son PDG, Michael Dell. « Cela a dépassé toutes nos espérances. Si le succès se confirme, nous étendrons la possibilité de payer dans cette monnaie au monde entier », affirme Alexis Oger, directeur marketing de Dell France. D’autres entreprises ont franchi le pas : le service de paiement en ligne Paypal a signé en septembre dernier un partenariat avec trois places d’échange. Les vendeurs de biens dématérialisés (sonneries de téléphone, livres électroniques…) pourront, eux aussi, recourir au bitcoin. L’agence de voyage en ligne Expedia les accepte, quant à elle, pour les réservations d’hôtel.« A l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure d’annoncer l’extension de ce paiement à la France. Toutefois, nous surveillons le marché et explorons les systèmes de paiement alternatifs pour simplifier les transactions en toute sécurité », précise Fabrizio Giulio, son directeur général.
Quel intérêt pour les commerçants ? « Des risques de fraude moins élevés, mais aussi des frais revus à la baisse », poursuit Eric Larchevêque. En France par exemple, les banques prélèvent aux commerçants entre 0,4 % et 2 % des achats effectués par carte. Or Paymium ne s’octroie pas de commission mais propose un abonnement mensuel de 19,90 euros, plus avantageux. Comme pour les autres opérateurs, cette plateforme d’échange se rémunère sur la vente de bitcoins. Cette fois, c’est le consommateur qui est mis à contribution. Pour lui, les commissions sont encore dissuasives : 6 % pour des achats supérieurs à 10 000 euros et jusqu’à 10 % pour les commandes inférieures à 500 euros. Mais elles sont appelées à baisser à terme, car réparties sur un nombre croissant d’utilisateurs. En attendant, les commerçants encouragent son usage. Aux Etats-Unis, Dell consent une remise de 10 % aux clients achetant en bitcoins des ordinateurs de sa gamme Alienware.

La France s’y met timidement. Même si les utilisateurs lambda ne sont pas légion, certaines entreprises, soucieuses de se doter d’une image innovante, songent à l’adopter. D’autres construisent leur courbe d’apprentissage pour être prêtes quand le rapport du consommateur aux monnaies virtuelles aura évolué. Ainsi Patrick Oualid, directeur e-commerce de Monoprix, a-t-il annoncé, en avril dernier, que l’enseigne allait proposer d’ici à fin 2014 le paiement en bitcoins sur son site internet et dans ses magasins. Mais pas de nouvelles à l’heure où nous bouclons. Les entreprises s’adressant à une clientèle affaires sont plus avancées. PrivateFly, une plateforme française de location de jets privés, s’est mise au bitcoin en 2013 à la demande de sa clientèle. Elle réalise aujourd’hui 5 % de son chiffre d’affaires avec cette monnaie. Mehdi Dialmy, directeur des opérations, n’y voit que des avantages. « Nous sommes payés instantanément, alors qu’avec les cartes de crédit, cela peut prendre jusqu’à un mois. Le bitcoin améliore notre trésorerie et réduit le risque d’impayés découlant des fraudes aux cartes bancaires. » Les clients de PrivateFly y trouvent aussi leur compte. Une location de jet coûtant en moyenne 15 000 euros, il est difficile pour le détenteur d’une carte d’effectuer le paiement en dehors des heures d’ouverture de sa banque, ce montant dépassant généralement le plafond autorisé. En payant avec la monnaie cryptée, l’e-consommateur échappe à cette contrainte.

Le bitcoin est loin d’être la seule cryptomonnaie, dans un univers qui en compte près de 500. Ces monnaies émanent d’institutions, de groupes de militants, voire de concurrents (lire encadré page précédente). Il n’en demeure pas moins que ces acteurs pèsent au total moins de 5 % de ce marché. Bitcoin, en assurant une meilleure liquidité du fait d’un plus grand nombre d’usagers, écrase à ce jour la concurrence, même si cette prédominance ne lui épargne pas les critiques. Il est vrai qu’escrocs et hackers s’y intéressent de près. En octobre dernier, le Britannique Alex Green disparaissait dans la nature après avoir fermé brutalement MintPal, la plateforme d’échange de bitcoins qu’il contrôlait, escroquant ses clients de 1,4 millions de dollars. Quelques mois plus tôt, MtGox, alors première plateforme mondiale de transaction et de stockage pour bitcoins, se faisait pirater par des hackers qui détournaient l’équivalent de quelque 228 000 euros…. De leur côté, trafiquants d’armes ou de drogue apprécient le bitcoin, car il garantit l’anonymat des transactions.

Mais ces ratés, inévitables s’agissant d’un nouveau système de paiement, suffiront-ils à compromettre son essor ? Les talents de l’informatique qui travaillent dans le monde entier à la fiabilisation des monnaies cryptées n’entendent pas en rester là. Ils imaginent déjà des programmes permettant d’échanger directement des actions, de consentir ou de rembourser des prêts entre particuliers ou entreprises en échappant aux contraintes des législations locales. « D’ici à une dizaine d’années, les monnaies cryptées pourraient révolutionner les paiements, comme l’e-mail a bouleversé les moyens de communication », assure Gonzague Grandval, cofondateur de Paymium. Côté bitcoin, la fabrication devrait cesser quand la masse en circulation atteindra les 21 millions d’unités, vraisemblablement autour de 2040. Pas avant ?« Même si demain le bitcoin en tant que monnaie s’écroulait, la technologie qui est derrière ne disparaîtrait pas. Elle reviendrait sous une forme ou une autre, commente Eric Larchevêque. Le seul moyen d’arrêter le bitcoin, c’est d’éteindre internet. » 

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