Invités brillants, lieu magique et altruisme de rigueur… Aux Etats-Unis, les Summit Series allient esprit d’entreprise, créativité et développement personnel pour un monde meilleur. Un Davos pour la génération Y.

Certains y voient un événement hybride entre les conférences TED et le festival artistique Burning Man. D’autres parlent d’un « Davos de la génération Y ». Pour quelques esprits critiques, c’est un club select pour jeunes « techies » américains, en mesure de payer entre 2 000 et 12 000 dollars, selon le type de logement choisi, pour redécouvrir la nature et couper leurs smartphones trois jours par an. Les Summit Series, encore relativement confidentielles, font quoi qu’il en soit parler d’elles. Leur objectif est ambitieux : « Bâtir une communauté qui catalyse entrepreneuriat, créativité et changement mondial, pour construire un monde meilleur. »
 
Les Summit Series sont nés en 2008, de façon presque informelle. En mal de conseils pour gérer son entreprise, Eliott Bisnow, 22 ans, un inconnu de Washington D. C. cofondateur d’une newsletter de niche sur l’immobilier, parvient à inviter pour quelques jours de ski 19 jeunes brillants entrepreneurs. Tous partagent la même idée : ce qui est bon pour les affaires doit être bon pour le monde. Avec trois jeunes associés – Jeremy Schwartz, 25 ans, Jeff Rosenthal et Brett Leve, 24 ans – il renouvelle l’expérience. Le public s’élargit. Depuis, le groupe Summit a levé auprès de ses participants et investisseurs plusieurs dizaines de millions de dollars. Il soutient des entreprises et des œuvres caritatives : la gestion d’une aire marine protégée dans la mer des Caraïbes ou le financement de l’application mobile Uber. Summit aurait aussi son propre fonds d’investissement, mais l’équipe refuse de donner plus de précisions sur ce point comme sur ses différentes sources de revenus.

Organisés un peu partout aux Etats-Unis et à Mexico, les Summit entendent élever les esprits, au propre comme au figuré. La plupart des rendez-vous se tiennent d’ailleurs à Powder Mountain, dans l’Utah, une station du plus grand domaine skiable du pays achetée en 2013 par les fondateurs pour 40 millions de dollars. Planté dans un décor à couper le souffle, cet « épicentre de l’innovation », accueille aujourd’hui grands événements annuels, week-ends plus intimistes (70 à 200 personnes) et résidences d’artistes. Le lieu est censé « incarner les valeurs de Summit » : entrepreneuriat, altruisme, art, science, culture, en passant par le physique, l’intellectuel et le spirituel. Les invités de marque ne manquent pas : le milliardaire Peter Thiel, cofondateur de Paypal, Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook, Russell Simmons, cofondateur du label de hip-hop Def Jam et défenseur de la méditation à l’école, Tim Ferriss, auteur du succès de librairie La semaine de 4 heures, business angel et consultant pour start-up, ou Blake Mycoskie, fondateur de la marque de chaussures Toms, qui distribue une paire aux enfants défavorisés pour toute paire vendue.

Entrepreneurs brillants, leaders d’opinion, scientifiques, artistes, athlètes, dirigeants d’entreprise à but non lucratif : le dernier grand Summit annuel, en juillet 2013, comptait un bon millier d’invités. Au programme, des activités variées à choisir librement : randonnée, tir à l’arc, conférences axées business, pique-nique géant, concerts, yoga, fêtes mémorables… Tout est fait pour « pousser les gens à quitter leur zone de confort, à faire connaissance avec humilité et simplicité », explique Marshall Birnbaum, chargé des résidences artistiques. Ce qui fait le succès des rencontres, c’est aussi le choix de mêler délibérément les sphères professionnelle et personnelle. « Il devient normal de vous asseoir un moment avec le CEO de telle ou telle grande entreprise », s’amuse Jenny Wu, architecte et designer expérimental en Californie, accueillie en résidence cet automne à Powder Mountain, après avoir participé à plusieurs Summit.
Pour nouer de vraies relations et favoriser des échanges « sincères et profonds », smartphones et tablettes sont priés d’être mis de côté. « Pas de distraction venue de l’extérieur, résume Marshall Birnbaum. L’intimité est quelque chose d’important pour nous. » Une échappée appréciée des participants. « Quelques jours pour prendre du recul, éteindre son portable, se déconnecter afin de mieux se connecter aux autres » : voilà ce que David Sable, PDG de l’agence de publicité Young & Rubicam, apprécie de son passage à Powder Mountain au printemps 2014. Pourtant, qu’on ne lui parle pas de repos : « C’était un week-end intensif. J’ai pu faire avancer trois ou quatre projets [dont il ne parlera pas], et je suis resté en contact avec plusieurs participants. Summit permet de lancer des projets, des partenariats. »

Du networking professional en bonne et due forme, donc. Mais pas seulement. « Que ce soit pour le travail ou non, ajoute Jenny Wu, vous devenez ami avec les participants. » D’ailleurs, « chacun est traité sur un pied d’égalité », assure Marshall Birnbaum. Une méthode bien différente des conférences habituelles, où l’on « arrive avec en tête une idée préconçue de la façon, très “professionnelle”, dont on veut réseauter », juge-t-il. Pour lui, l’autre différence, vient de ce que les participants partagent la même intention : créer un monde meilleur. « Leur motivation première n’est pas de faire de l’argent », explique-t-il. Les invités sont d’ailleurs soigneusement sélectionnés. Summit choisit des personnes susceptibles de s’entendre, de devenir amis et partenaires d’affaires. « Nous discutons entre nous de leur compatibilité » lorsque les demandes d’invitations arrivent, confie Marshall Birnbaum. Pour être accepté, mieux vaut posséder des qualités humaines, être positif sur le plan social, mais aussi « fun » et respectueux de l’environnement. « Surtout, nous réunissons des acteurs influents : c’est comme cela que nous aurons le pouvoir d’impulser le changement », souligne ce membre de l’équipe.

Fondateur du Future of Talents Institute, institut californien spécialisé dans l’analyse du monde du travail, Kevin Wheeler n’est pas étonné que cet événement ait été fondé par des businessmen en herbe. « Plus ils sont jeunes, plus les entrepreneurs ont ce désir de travailler pour ce qui est bon pour la société et l’environnement », note-t-il. Les ingrédients réunis par Summit lui semblent caractéristiques d’une autre évolution : « Depuis 20 ans, ce qui est lié à la créativité a été retiré du monde du travail, au profit de la rationalité. Or nous nous apercevons actuellement que les qualités humaines et relationnelles, les soft skills, méritent d’être réintroduits dans l’entreprise et valorisés. » Le savoir-être donc, tout autant, voire plus, que le savoir-faire lié aux compétences techniques peuvent faire la différence. « L’intuition et le droit à l’expérimentation gagnent du terrain, mais le chemin est encore long », reconnaît-il.

L’autre intérêt des Summit repose, selon lui, dans leur démarche éthique. « Les entrepreneurs d’aujourd’hui sont créatifs, mais leur motivation reste généralement l’argent, poursuit-il. Certains sont encore traditionnels, tout comme le système de financement entourant l’entrepreneuriat. Dans la Silicon Valley, l’innovation consiste encore à créer des produits amusants, nouveaux. Mais pas des solutions pour vaincre le cancer ou Ebola. Ce sont des problèmes qui demandent une autre façon de penser. » Pour lui, seul ce nouveau mélange de rationalité, d’éthique et de créativité enclenchera de vrais changements.

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