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Le rap fait vendre. Impossible de passer à côté de ce qu'on appelle la nouvelle variété française. Avec une nouvelle génération d'artistes, d'auditeurs, mais aussi de créatifs en agence, le rappeur hexagonal capte l'attention de toute la société, dont celle des marques.

[Cet article est issu du n°1956 de Stratégies, daté du 21 juin 2018]

 

Sexe, drogue, armes... Autant de termes trop longtemps associés au rap, dans l'imaginaire collectif. À tort ou à raison. Pourtant, le cliché du grand méchant loup traînant sa rage dans les cités est révolu. Comme dans tous les styles musicaux, des sous-genres naissent, démocratisant la musique. Prenons l’exemple du rock. Dans les années 60, écouter « les Stones » faisait mauvais genre, jusqu’au jour où le groupe s’est rapproché d’un style musical moins sulfureux. Dès lors, le grand public a adhéré pleinement à ce style plus « acceptable »...

Le rap est en passe de subir le même phénomène. « MC Solaar a été le premier à construire un pont entre rap de rue et rap de variété », explique Mike, chroniqueur pour le podcast « Le Mike et l’enclume ». Plus de 25 ans après le raz-de-marée Qui sème le vent récolte le tempo (1991), des rappeurs plus lisses et plus « bizounours » ont déferlé sur le marché ces cinq dernières années : « Sexion d’Assaut ont été les premiers à faire le travail. Ils ont montré que le rap, ça pouvait être cool, en composant une chanson sur leur mère ou un hit comme Désolée, tout comme Orelsan a ouvert des portes », confirme Florian Lecerf, rédacteur à Booska-P.

Mais ce n’est pas parce que votre grand-mère connaît Maître Gims ou que vous laissez vos enfants passer Bigflo et Oli dans la voiture, que le rap français se résume à ces quelques exemples. Certains magazines grand public vont jusqu’à présenter le rap comme étant la nouvelle variété française. « Pour avoir plus de contrôle, on va dire que c’est de la variété, c’est plus vendeur et plus politiquement correct », se moque Moe de Diakité, chroniqueur du podcast « Le Mike et l’enclume ». L'amalgame rap/variété entraîne un mélange des genres entre artistes ; Oxmo Puccino écrit pour Alizée tandis que Dany Synthé fait la composition du dernier album de Florent Pagny.

Moins trash

Les rappeurs revendicateurs deviennent, quant à eux, un véritable courant de niche. « Ils sont moins trash, ils font moins peur et ça fait vendre », renchérit Florian Lecerf. Cette frange moins consensuelle du rap préfère surfer sur la tendance de l’egotrip, se mettant en avant à outrance dans leurs sons. La forme étant souvent plus travaillée que le fond. Vald, avec son titre Désaccordé, en est un parfait exemple : « En route pour niquer des mères comme lundi matin, dimanche soir ; m’écoute pas, si tu préfères ton rap de caissier qui vend pas ». Des termes, disons, fleuris, tombés pour certains dans le langage quotidien.

Non sans surprise, le rap français s’est hissé sur le podium des chansons françaises les plus streamées. Spotify rapporte qu’en 2017 les artistes les plus écoutés par les Français n’étaient autres que Jul, Damso et PNL. Toujours selon la plateforme musicale, les écoutes dans la catégorie rap ont augmenté de 74% entre 2016 et 2017. Plus que d'un engouement, le rap français bénéficie d'une nouvelle acceptation sociale. Même si les puristes ne sont pas forcément d’accord, les nouveaux rappeurs prennent acte de ce changement de perception. Face à Thierry Demaizière, intervieweur de Sept à Huit, Bigflo et Oli confirment : « En tant que rappeurs, on a une responsabilité. Le poids des mots est important »

 

Du rap en boîte ?

« Les rappeurs ont toujours donné la tendance, ne serait-ce qu’aux États-Unis dans les années 80. Wu-Tang avait créé sa propre ligne de vêtements que tout le monde s'arrachait. Pareil avec le fameux crew Lo-Life de Brooklyn, qui a fait du polo Ralph Lauren le symbole d’une contre-culture urbaine », explique Moe De Diakité. Très au fait des flirts le rap et la vente de produits dérivés, les rappeurs français ne sont pas passés à côté de ce marché. De plus, avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, les clips de rap sont devenus une vitrine. De la publicité gratuite, non intrusive, glissée dans des paroles, des clips. « Si tu viens pas avec ta marque, ton packaging, tu disparais. Environ sept rappeurs sur dix ont créé une marque », tranche Mike. Unkut est signée Booba, Jeune Riche estampillée Kaaris, Sexion d'Assaut pilote Wati B, tandis que Rohff se cache derrière Distinct... Les rappeurs, nouveaux rois du marketing ? « Les marques reviennent à la rue car c’est là où tout se passe, c’est là où le bouche à oreille se fait, poursuit Mike. Il s'agit aussi que les créations leur ressemblent tout en gardant les codes de la mode ».

Versace, Louis Vuitton, Gucci, Kenzo... De leur côté, les grandes maisons s’arrachent les codes de la street. Pour draguer la bourgeoise qui s'encanaille ? « Tout le monde veut collaborer avec un rappeur, lance Mike. C'est comme les sneakers désormais tolérées en boîte, les rappeurs sont maintenant invités par les marques de luxe ». Une revanche pour ceux qui, autrefois, étaient boudés par certaines marques. Un retournement de veste qui profite aux artistes comme le groupe PNL, invité sur les « front rows » [premiers rangs] du défilé Chanel. Parallèlement, les collaborations entre Agnès B et Nekfeu ou Lacrim et Philippe Plein ne choquent plus. Ces mariages a priori contre-nature deviennent la norme à suivre.

Surtout si l'on ambitionne de séduire les nouvelles générations, accessoirement la plus grosse consommatrice de rap et de hip hop. L'opération séduction passe par l’adaptation à leur mode de consommation médias. « Les rappeurs misent tout sur les réseaux sociaux pour faire leur propre com. Certains vont même jusqu’à engager des community managers pour gérer leurs comptes Facebook et Twitter », relate le rédacteur de Booska-P. À dessein, les nouveaux rappeurs opacifient les codes de leur communication, afin que seuls leurs communautés puissent les comprendre. En entretenant ce mystère, nombreux sont ceux qui voudront en savoir plus. Dont les marques...

 

Conserver son identité

Sans enfoncer de portes ouvertes, le rap reste majoritairement associé à la jeunesse. Selon Tanneguy Desmarest, marketing manager chez Oasis (Orangina Suntory France) : « Le challenge est de suivre une cible qui évolue très rapidement. Nous devons nous intéresser à leurs centres d’intérêt pour incarner des campagnes qui soient le reflet de leur vie quotidienne et dans laquelle le rap occupe une grande place. »
Fin 2017, Oasis propose une vidéo parodiant des rappeurs français qui « pèsent » - comprenez, qui sont importants : Damso, Niska et le groupe à la communication très travaillée PNL (Stratégies n°1915 du 08 septembre 2017). Vu plus de 2 millions de fois sur YouTube, ce message publicitaire est produit en collaboration avec le youtubeur Maskey. « Tout est passé par lui, confie Benjamin Taïeb, directeur associé chez Marcel chargé du budget, mais il n’y a aucun deal avec les rappeurs ».
Contrairement à Oasis, beaucoup de marques que nous avons contactées restent frileuses sur le sujet. Il faut dire que l’expérience peut virer au calvaire. En 2015, Coca-Cola et le rappeur marseillais Akhenaton du groupe IAM en ont fait les frais, beaucoup ne comprenant pas l’alliance de cet art contestataire avec la plus pure expression du capitalisme. « Il faut que l’artiste soit en phase avec l’image de la marque et inversement », rappelle Émilie Vantajol, marketing manager chez Unilever en charge d’Axe, qui vient de dévoiler des spots mettant en scène les rappeurs toulousains à succès Bigflo et Oli (Stratégies n°1950 du 17 mai 2018). « Il serait impossible de conclure ce genre de collaboration avec certains. Tout est affaire de limites », précise Benjamin Taïeb. Le belge Roméo Elvis a récemment avoué que Lacoste, contrairement à d’autres marques de haute-couture, ne voulait pas collaborer avec lui car « il faisait du rap ». La marque de jus de fruits Capri-Sun aurait, quant à elle, fait pression sur YouTube afin de supprimer un clip du rappeur Naps intitulé… Caprisun.
La complexité de l’entente entre les marques et les rappeurs réside dans l’authenticité. L’idéal est que le rappeur la revendique lui-même à l’instar de Bigflo et Oli pour Axe. La surprise peut être un autre vecteur d’engagement comme dans le cas de Kaaris, un rappeur se baladant kalachnikov à la main dans son quartier de Sevran (93) dans le clip Zoo, qu'on a vu apparaître sur un post Instagram de Château d’Ax. La collaboration récente entre Lomepal et la chaîne hôtelière Ibis sur le thème de la glisse peut également étonner. « Cette entrée sur un nouveau territoire, par le biais de la street culture, nous donnent une assise aussi bien chez les jeunes que chez la génération 80/90, considère Caroline Blanchet, directrice marketing des marques Ibis en France. Depuis 2016 le rap est devenu le style musical le plus écouté et il nous paraissait évident de devoir l’intégrer. » Que ce soit de manière positive ou négative, le rap hexagonal ainsi que ses hérauts engagent et c’est précisément le souhait des marques.

 

Les agences au diapason

Le lien entre les deux mondes s’effectue avec l’appui des agences de communication. Pour Julien Simons, directeur de création chez Marcel : « Nous sommes familiers du rap et de la culture hip-hop en général. Il est donc plus facile pour nous de réussir à comprendre les codes de cet art. » La trentaine tout juste passée, le créatif, présent à l’agence depuis 2011, estime « qu’il ne faut plus se voiler la face » et que « le rap fait partie de la société au même titre que la street culture ».
Charge à l’agence de trouver les points de convergence. « Le travail le plus minutieux consiste dans la recherche constante de justesse de ton pour s’adresser à la cible », déclare Benjamin Taïeb. Cette nouvelle génération de créatifs, qui a réussi à se faire une place de choix en agence, peut exprimer une part d’elle-même jusqu’alors passée sous silence.
Ce prisme aide le créatif à cerner du mieux possible les codes de ce monde, pouvant alors en extraire une vérité permettant de travailler de concert avec les marques. Comme le résume Julien Simons, « la clef de notre réussite est de ne pas prendre cette discipline de haut et de la considérer à sa juste valeur : comme de l’art »

Sons à écouter :

 

PNL - J'suis QLF

Dans la légende

 

Damso - Ipséité

Lithopédion

 

Vald - Désaccordé

Xeu

 

Orelsan - Défaite de famille

La fête est finie

 

Dosseh - Habitué

 

Kaaris - Diarabi

Dozo

 

Kalash ft. Damso - Mwaka Moon

Mwaka Moon

 

Niska - Medellin

Commando

 

Maître Gims ft. Vianney - La même

Ceinture noire

 

Aya Nakamura - Djadja

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