Réseau social
La nouvelle appli préférée des ados du monde entier pourrait bien s’imposer rapidement comme un incontournable pour les marques. Encore faut-il comprendre ce qui fait la spécificité de ce réseau social chinois utilisé en France par près d’un collégien sur deux.

Une musique pop à la mode en bande-son, un plan filmé en caméra fixe et, devant l'objectif, une jeune femme qui change de vêtements en un claquement de doigt, se lance dans une danse du ventre des plus sensuelles ou encore mime la chanteuse Mariah Carey dans son impérissable chant de Noël, All I want for Christmas is you. Bienvenue dans TikTok, la nouvelle application plébiscitée par les adolescents du monde entier. Celle-ci revendique aujourd’hui près de 600 millions d’utilisateurs actifs par mois, 150 millions par jour, à peine moins que Snapchat (186 millions par jour au troisième trimestre 2018). En France, selon Médiamétrie, TikTok totalisait 1,8 million de visiteurs uniques en octobre, deux mois après que l’appli Musical.ly a été rebaptisée TikTok suite à la suite de son rachat par le géant chinois Bytedance pour un milliard de dollars. De son côté, l'appli revendique dans l’Hexagone 2,5 millions d’abonnés.

TikTok, troisième réseau social chez les collégiens

« Comme Instagram, TikTok est une plateforme où les adolescents se mettent en scène, mais ici, nous ne sommes pas dans l’apologie de l’esthétique mais dans celle de la performance, qui se mesure par le nombre de likes et de commentaires », résume Arthur Kannas, directeur général et cofondateur de l’agence Heaven. Sur TikTok, la population est aussi plus jeune que sur « Insta ». Selon des chiffres de l’association Génération numérique cités dans la dernière étude Born Social de Heaven, 42 % des élèves de 5e en France ont un compte sur TikTok, 12 points de plus qu’en 2017. C’est même le troisième réseau social le plus utilisé par ces collégiens, derrière Snapchat (85 %) et Instagram (67 %), devant WhatsApp (30 %) et Facebook (29 %).

Créée à Shanghai en août 2014, l'application Musical.ly a bâti sa popularité auprès de la génération Z sur le «lip sync», un playback 3.0 dans lequel les jeunes ados, surtout des filles, imitent leurs chanteurs préférés et leurs chorégraphies, avec les outils du web social d’aujourd’hui, des filtres à la Snapchat au slow motion repris entre temps par Instagram. Avec le passage de Musical.ly à TikTok, les vidéos se sont diversifiées, même si la musique continue d’y jouer un rôle central. « Une des particularités de TikTok repose sur la logique de challenge. C’est une mécanique de fidélisation qui marche très bien auprès des collégiens », explique Barbara Chazelle, responsable d’édition du blog Méta-Media à France Télévisions. Chaque semaine, un nouveau défi est lancé à la communauté : « Montre-nous ton action rebelle » #enmoderebelle, « Change-toi en rythme sur la musique de ton choix » #changetoi, « Montre-nous tes bonnes résolutions » #resolution2019. Aux utilisateurs de mettre en ligne leurs vidéos sur ce thème et surtout de les comparer à celles de leurs amis.

Hypersexualisation

« L’utilisation de la plateforme arrive à maturité, avec des vidéos que l'on ne retrouve pas sur Instagram ou Facebook. Ici, nous sommes sur des vidéos de 15 secondes très créatives au sens technique du terme. On pourrait se dire que c’est le nouveau Vine [du nom de cette application vidéo fermée par Twitter en 2016] mais TikTok fait appel à une couche d’intelligence artificielle dont ne disposait pas Vine en permettant à l’utilisateur de rentrer par le contenu sans qu’on ait l’impression d’être dans un produit technologique », analyse Barbara Chazelle. Pour Frédéric-Gérard Lévêque, directeur de la transformation du Hub Institute, « TikTok est la trending app depuis près d’un an ; c’est la première fois qu’une application asiatique s’attaque aux app occidentales. Mais il faut voir sur la durée comment elle va gérer la modération et le contrôle des contenus, car du fait de l’âge très jeune de ses utilisateurs [37% du temps passé sur l’appli vient des 11-15 ans, selon Médiamétrie], l'hypersexualisation très présente dans TikTok peut se révéler dangereuse. »

« Musers » publics

Preuve qu'elle a atteint un certain degré de maturité, l’entreprise recrute à tour de bras. Mi-décembre, pas moins de 160 postes étaient proposés par TikTok sur LinkedIn, notamment un responsable des partenariats avec les marques France, des modérateurs de contenus et des community managers francophones. C'est depuis Londres qu'est pour l'instant géré le marché français. «TikTok est dans une démarche proactive aujourd’hui ; quelques gros annonceurs sont démarchés», observe Frédéric-Gérard Lévêque. Parmi les formats proposés aux marques, le challenge sponsorisé, testé notamment aux États-Unis par Guess avec le défi #InMyDenim ou encore par Adidas, qui proposait aux utilisateurs – les «musers» dans le langage TikTok – de se filmer en train de changer de chaussures. «Les formats publicitaires sont en train de se standardiser et quittent le genre musical pour pouvoir entrer dans les plans médias», note Arthur Kannas. Comme sur les autres réseaux sociaux, les marques peuvent aussi s'associer avec de jeunes talents à la communauté bien fournie. Sur TikTok, ils s’appellent par exemple Isaiah Xavier ou Amelia Gething.

«Les réseaux sociaux s'auto-alimentent», ajoute Barbara Chazelle, ce qui contribue aussi au succès de TikTok. Pour preuve, ces vidéos YouTube qui proposent un best-of des vidéos TikTok, permettant à l'appli de bénéficier d'un écho beaucoup plus large. Reste à savoir si le réseau social aura besoin d'élargir sa cible pour durer. «Comme pour Snapchat, il y a une contradiction: faut-il suivre ses utilisateurs – qui fuient lorsque leurs parents rejoignent le réseau – ou les annonceurs? S'il n'y a que des moins de 18 ans, la plateforme aura du mal à se monétiser», assure Arthur Kannas. Autre risque pour TikTok: se faire copier. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se produire avec le lancement par Facebook de Lasso en novembre dernier, une appli de création de vidéos courtes utilisant les ingrédients qui ont fait le succès de TikTok, à savoir la musique, les filtres et les effets. En décembre, Snapchat se lançait, lui, dans les challenges. L’avenir dira si les utilisateurs préfèrent l'original ou la copie.

Les médias à l’affût

Par opportunisme ou par souci d'innover, les médias français commencent à investir Tik Tok, à l’image d’Aufeminin, de Konbini ou encore de TF1. « Les challenges nous ont permis de nous constituer une communauté (plus de 130 000 abonnés). Notre objectif avec Tik Tok n'est pas de pousser du contenu mais bien d'engager notre communauté, comme nous l'avons fait en novembre autour du harcèlement scolaire », explique Ludivine Le Goff, directrice des contenus d’Aufeminin. « Le risque est que les médias n'adaptent pas leur proposition. Sur Tik Tok, on est davantage dans un sujet de forme et de performance que dans une histoire qu'on raconte », tempère Barbara Chazelle, de France Télévisions.

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