Jeux vidéo
Ils pensaient peut-être lui échapper mais la réalité du marketing est en train de les rattraper. Les gamers – les vrais, pas les fans de Candy Crush – seraient la prochaine coqueluche des marques de tous horizons.

Pour bien des marketeux, venir toucher les gamers reviendrait à passer leur métier en mode hardcore et aller vers un game over assuré. Si l’on superposait un jeu de rôle en ligne comme World of Warcraft à la vie réelle, ces annonceurs casual joueraient la sécurité en « farmant » des ménagères de moins de 50 ans – traduction : en ciblant toujours les mêmes ennemis faciles pour gagner de l'argent, plutôt qu’en se frottant à un boss mal luné, reclus dans un donjon avec un énorme panneau « sens interdit » cloué à la porte et un PC bardé d’adblockers. Il se pourrait en fait que ces marketeurs et ces gamers ne se croisent jamais, les premiers continuant de faire tranquillement commerce auprès des humains du village Facebook, pendant que les seconds se déchirent entre orques et trolls dans la fournaise de Twitch et de Jeuxvideo.com.

Des lieux fermés

« Les annonceurs parlent de lieux fermés », rapporte Fabien Gaetan, creative strategist à l’agence We Are Social. « Il existe une vraie défiance vis-à-vis du marketing, 80 % des personnes changent de chaîne quand ils voient une pub, 30 % ont un bloqueur de publicité... » poursuit-il. En fait de lieu fermé, évoquons Discord. La messagerie, valorisée 2,05 milliards de dollars, réunit 200 millions d'utilisateurs actifs et n’accepte pas la pub. Allez, tout n’est pas fichu. Twitch, LA plateforme de streaming de jeux, peut compter sur le volontarisme de sa maison mère Amazon pour faire communiquer les deux parties. En octobre 2018, le site a étendu son panel d’outils programmatiques dans le but, rapportait Digiday, de « changer les perceptions des annonceurs ». Passée la période des budgets de test et des marques endémiques  [liées au gaming], Twitch se conforme aux attentes des autres annonceurs en matière de ciblage. Du streaming au mainstream, le site vise le cap du milliard de revenus.

Derrière ce constat, le retour à la réalité que le gamer, dans sa grande diversité, est un consommateur comme les autres. Quand la marque de déodorants américaine Old Spice (P&G) débarque en France, c’est Twitch qu’elle choisit. Pas de préroll, de collaboration ou de code promo, mais un jeu où les abonnés peuvent contrôler un calamar cyborg au travers de la chatbox. 11,2 millions d’abonnés plus tard – sur un site, faut-il le rappeler, taillé pour les fans hardcore de jeux – Old Spice est souvent cité comme exemple de réussite. Quand le ressort n’est pas le WTF intégral comme dans le cas pré-cité, il sera plus prosaïque. Exemple avec le cosplay, dress code par excellence des conventions comme la Gamescom à Cologne, qui a tendance à se démocratiser, note Fabien Gaetan. Sans aller jusqu’à se balader dans la rue en complet de Mario, le cosplay s’immisce dans la mode et inspire les garde-robes. Le virage date de 2015. Nicolas Ghesquière, directeur artistique de Louis Vuitton, surprend alors son monde en révélant sur Instagram sa dernière égérie : Lightning, personnage du jeu vidéo Final Fantasy de Tetsuya Nomura.

« Cette tendance sert de pont pour toucher des communautés très variées : make-up, art & crafts, mode… Et autant de métiers et de marques : costumiers, décorateurs, artisans, maquilleurs, designers », souligne le creative strategist chez We Are Social. Il y en a sous le pied, la communauté du make-up est « la plus grosse cash money de l’industrie du marketing ! » De là à voir un L’Oréal dégainer une gamme pour gamers... Le communicant y voit une « next step intéressante ». Pour émulsionner tout ça, la communauté des joueurs recèle de nouvelles égéries : stars de l’e-sport comme Gotaga (1,4 million de followers sur Twitch, le double sur YouTube), une cible spécifique que l’on touche via le sponsoring. « C’est une véritable entrée pour le marketing, une filière e-sport est en train de se consolider et se calque sur le sport classique avec les mêmes patterns de marque », analyse François Phan, directeur associé de Productman. Il y a un an, Renault créait sa propre team e-sport en s’associant à Vitality, la structure n°1 en France. «On voit de plus en plus de marques opportunistes», note Fabien Gaëtan. C’est ainsi qu’est née la Bud Light All-Stars, ligue de jeu vidéo de la marque de bière américaine Budweiser, ciblant pêle-mêle adultes et adolescents.

Cercles populaires

YouPorn a eu moins de chance. Sa bien pudique « Team YP » a été bannie de tournois. Dans le second cercle des influenceurs, les streamers (ou casters), à l’instar de Tyler « Ninja » Blevins, cheveux tantôt turquoises ou roses et salaire à six chiffres. Eux collaborent avec des marques pour des « giveways » – les gamers étant particulièrement friands de gratuité – ou opés spés. Dans le troisième cercle, les outsiders, passionnés de jeux de tous horizons. Nephael ou Manuel Ferrara switchent ainsi d’acteurs porno à casters sur Twitch où ils touchent respectivement plus de 17 000 et 170 000 fans... Pour lancer ses baskets Kyrie 2, Nike a invité le premier intéressé, le basketteur Kyrie Irving, à une partie virtuelle. Ceux qui gagnaient la partie repartaient avec une paire. « C’était un momentum créatif très fort car ils ont rempli un terrain de basket sur Twitch afin de caresser dans le sens du poil, d'inhiber la défiance pour toucher les fans de jeux vidéo, les fans de basket et les fans de Kyrie Irving », débriefe Fabien Gaetan.

« Les gamers et les jeunes en général ont un rapport à l’entertainment beaucoup plus compliqué car ils sont très exigeants en matière de divertissement », remarque François Phan. En 2016, il créait le buzz en lançant pour le dernier jeu South Park d'Ubisoft le Nosulus Rift, sorte de pendant olfactif et déjanté du masque de réalité virtuelle Oculus Rift. Un succès alors que, plus que tout, les fans de la série abhorrent la com’. Ils auront été pris à leur propre jeu...

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