Interview
En août dernier, Society publiait un article-fleuve de 24 pages, à l’occasion des 20 ans de la mythique émission de Thierry Ardisson « Tout le monde en parle ». Un livre, « Tout le monde en reparle » ( 1), a suivi en février, avant le documentaire bientôt sur C8. Stratégies a rencontré l’homme en noir dans sa cantine, l’hôtel Meurice.

Quelle a été la genèse de cet hommage à Tout le monde en parle en trois parties ?

Thierry Ardisson. L’interview est sortie au mois d’août dans Society, un entretien de 24 pages ! Le magazine s’est vendu comme des petits pains et ça a donné naissance à un bouquin. Lequel a donné l’idée à C8 de faire la même chose en version vidéo… Le documentaire devrait être diffusé en avril-mai.

 

Le projet vient-il d’une volonté de votre part de célébrer les 20 ans de l’émission ?

Pas du tout, c’est le journaliste Victor Le Grand qui m’a sollicité. Je ne suis pas nostalgique, et je n’ai pas envie de faire comme Dave qui vient chanter Vanina depuis trente ans... Je ne suis pas demandeur. Mais bon, c’est vrai que cette émission avait quelque chose d’exceptionnel. À l’époque, elle avait une dimension sociétale absente de celles d’aujourd’hui. J’étais au restaurant le samedi soir, des gens se levaient et me disaient : « Salut ! Je pars voir ton émission ! » Ce n’est jamais plus arrivé, ça.

 

Ses débuts se sont faits dans la douleur…

L’émission était très mal partie, avec un producteur qui n’était pas au niveau... Moi, je venais de passer trois ans au bord de la route, je faisais Rive Droite / Rive Gauche sur Paris Première. Tout le monde en parle doit beaucoup à Catherine Barma qui, trois mois après, a apporté son casting, des invités stars ! Envoyer quelqu’un chez Ardisson, c’est pas facile. C’est plus facile d’aller se faire cirer les pompes chez Drucker que de se faire emmerder chez Ardisson !

 

Quelle était la recette gagnante de Tout le monde en parle ?

Une pute et un archevêque. C’est le mélange, c’est Gorbatchev et Loana… C’est aussi le mélange entre la culture et le fun. On pouvait entendre Bret Easton Ellis, passer 38 minutes avec Houellebecq, recevoir Tom Wolfe, Jean d’Ormesson avait son rond de serviette, et il y avait aussi des bimbos ! Parce qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre : si vous voulez intéresser les gens à la culture, il faut que ce soit agréable. Et au passage, le téléspectateur se sera goinfré douze minutes de Bret Easton Ellis. La télévision de service public, ça devrait être l’École du peuple. Ma mère, retraitée à Bormes les Mimosas, a découvert Tom Wolfe dans mon émission ! C’est important d’avoir, non pas une mission, parce qu’il ne faut pas déconner, mais un peu de morale. On n’est pas là juste pour prendre du blé.

 

On a beaucoup évoqué l’alcool sur le plateau de l’émission. Est-ce envisageable aujourd’hui ?

Aujourd’hui non, puisque je tourne à 14 h 30. À part les vrais alcooliques, à cette heure-là, les gens ne boivent pas. Si je faisais une émission le soir, j’offrirais à boire à mes invités. Ce n’est pas moi qui les saoulais de force ! Quand on est bloqué dans une loge pendant deux heures, et que l’on a de l’alcool, on boit. Ce n’était pas une volonté délibérée de notre part. Mais on faisait en sorte que, si les invités avaient soif, ils puissent se désaltérer...

 

L'émission Tout le monde en parle a-t-elle créé la culture du clash ?

Je n’ai jamais créé de clash en disant : « Super, ça va faire un clash », ou « Super, ça va faire du buzz ». Je ne raisonne pas comme ça. Je fais ce que j’ai envie de faire. Quand j’interviewe le fils de Pablo Escobar et que je sors un sac de farine, ça buzze. Mais c’est avant tout un gag. Je ne suis pas du genre à demander pardon à tout bout de champ. Je fais les choses en sachant qu’elles vont provoquer des réactions, mais je ne vais pas m’excuser d’exister.

 

Quel regard portez-vous sur les réseaux sociaux et leurs emballements ?

C’est n’importe quoi. On y a lu que Baffie avait « agressé sexuellement » Nolwenn Leroy dans mon émission lorsqu’il a soulevé sa jupe de 10 cm, alors qu’ils sont des amis de vingt ans ! Là, je hausse les épaules. C’est le privilège de l’âge. Je ne suis pas sur Twitter, Facebook, je ne sais même pas ce que c’est. J’ai mis quelques photos sur Instagram, des belles photos, puis je me suis aperçu que les gens postaient des photos d’hamburgers dans leur assiette ! Je me suis dit : « Mes belles photos, je vais les garder pour moi ! ». J’ai un iPhone depuis un an, avant j’avais un Nokia à clapet. Nouveau aussi, je n’ai plus de fax, j’ai un nouveau système exceptionnel : je numérise en couleur et ça l’envoie en couleur ! Ce n’est pas de ma part une volonté d’être un anti-geek, disons qu’il y a des choses pratiques dans lesquelles je n’ai jamais voulu rentrer.

 

L’émission a été critiquée pour son traitement de l’interview politique, notamment via des questions comme « Sucer, c’est tromper ? » à Michel Rocard…

Les politiques n’ont pas eu besoin de moi pour se déconsidérer. Je n’étais pas là quand ils allaient chanter Méditerranée ou Les Feuilles Mortes chez Sébastien… Les hommes politiques ont toujours ressenti ce besoin d’être modernes, proches des gens, etc. Disons que les politiques respectables, je les respecte. Par exemple, je n’ai jamais rigolé avec Jean-Pierre Chevènement, parce que c’est un type que je trouve respectable. Tout simplement.

 

Tout le monde en parle a également été accusée de véhiculer des fake news, comme Thierry Meyssan et ses propos conspirationnistes de l’après 11 septembre…

Meyssan, c’est une erreur, c’est une faute professionnelle. Je travaillais beaucoup, je n’ai pas fait gaffe. Et la production non plus. Et mon assistante, Isabelle, non plus. Je n’ai pas noté que le livre provenait d’une maison d’édition inconnue, et puis j’aurais dû prendre des précautions oratoires en précisant que l’histoire aurait fait un super scénario de film…

 

Tout le monde ne sait pas que vous avez fait vos débuts dans la publicité…

Je n’ai pas fait d’études, ma grande école, ça a été la pub. J’ai commencé ma carrière chez TBWA [fondé par William G. Tragos, Claude Bonnange, Uli Wiesendanger et Paolo Ajroldi]. Ils venaient de quitter Young & Rubicam, ils créaient leur boîte, TBWA. Bill Tragos, sa devise c’était : « Un client qui me paye, je l’adore ». J’ai appris avec eux, et après, je n’ai fait qu’appliquer ce que j’ai appris dans la pub. Dans la pub, on est obligé de rationaliser la création, et de créer sur commande. Un jour, Wiesendanger me donne une campagne à faire en très peu de temps. À l’époque, j’arrivais à midi et demi à l’agence, en échange de quoi il fallait quand même que j’aie plus d’idées que les autres. Je dis à Wiesendanger : « J’ai deux jours ! », et là, il me répond avec son accent suisse-allemand : « Non, Thierry, tu as deux jours et deux nuits » (Rires). J’ai été élevé comme ça.  

 

Quels sont vos rapports avec l’agence Business, que vous avez cofondée ?

 

J’ai vendu mes parts dans Business en 1987. Lorsque j’étais chez TBWA, Ted Bates, etc., je travaillais pour Le Club des Directeurs Artistiques, pour avoir un bon book, pour me vendre plus cher. Business, c’est différent, j’étais actionnaire, j’avais 50 % du capital. Ce qui m’intéressait, c’était que mes clients soient contents. Donc j’ai arrêté de faire de la pub pour Le Club, et j’ai fait des conneries comme « Vas-y Wasa », « Lapeyre, y en a pas deux », « Ovomaltine, c’est de la dynamique ! », des spots de 8 secondes basés sur des slogans. Ça ne m’a pas donné une image de créatif chic, mais la « chic-itude », je l’avais connue du temps de TBWA. Là, on faisait des 8 secondes pour des annonceurs qui n’avaient pas des sommes énormes à investir. On jouait la notoriété. Et ça marchait !

Et puis je suis parti. À force de vendre des yaourts, j’avais peur d’avoir du fromage blanc dans la tête ! À l’époque, j’ai commencé à beaucoup me droguer, pour oublier que je passais ma vie à vendre des savons déodorants… Malgré tout, la pub, j’adore ça, franchement. Je n’en ai pas du tout tiré les mêmes conclusions que Beigbeder qui a fait un très bon livre, sans doute son meilleur, 99 francs. L’autre jour, j’ai rencontré Bertille Toledano [BETC], je lui ai dit : «Bertille, faut que tu me donnes des campagnes à faire!» J’aime vraiment la pub. Mais c’est vrai que ça ne remplissait pas ma vie.  

Je n’ai aucun mépris pour la pub. Une pub Golf, que j’ai entendu à la radio – un couple qui divorce –, m’a récemment fait hurler de rire. Pour les gens, la pub, c’est de la pub, ils ne la remarquent même plus. Moi, je la décrypte. Il y a beaucoup moins de Philippe Michel, beaucoup moins de Jacques Séguéla, de Jean Feldman, de gens qui étaient des immenses talents. Mais il y a encore quelques bons trucs… 

Vous vous définissez aujourd’hui encore comme un « concepteur »…

J’ai commencé à concevoir de la pub, après, j’ai conçu des journaux, comme Entrevue, puis j’ai conçu des émissions de télé, maintenant je conçois des films et des séries télé. Moi, je suis un concepteur. C’est mon vrai métier. Je n’ai pas d’autre qualité. J’ai fait beaucoup de télé parce qu’à la télé, on m’a donné beaucoup d’argent pour faire tout ce que je voulais. Certains mecs, quand ils sont tout petits, ont la vocation d’être animateurs, ils jouent dans la cave de leurs parents avec un micro en carton… Moi, je fais partie des gens qui sont devenus animateurs comme Michel Polac, Frédéric Mitterrand, Christine Bravo, Guillaume Durand. Des gens qui faisaient autre chose avant… 

Je ne suis pas un animateur de télé, j’ai mis des années à apprendre à animer. Quand j’ai commencé Les Terriens en 2006, j’avais encore le trac. Maintenant, j’ai un trac normal, parce qu’évidemment, si vous pensez que c’est facile, vous vous plantez. Disons que je bétonne beaucoup mieux en amont, à l’époque j’avais un trac paralysant. Ce trac m’empêchait de bien préparer. Les fiches étaient là, mais elles étaient moins travaillées. C’est un peu con de dire ça, mais je n’ai jamais été aussi bon que maintenant. Quand je regarde Tout le monde en parle, et Dieu sait que je le regarde pour boucler le documentaire, je me rends compte que j’étais moins bon. 

Vous voulez vous lancer dans la fiction. Ardisson, producteur de séries ?

Je ne vais pas reproduire la même erreur que celle que j’ai faite dans le cinéma : j’ai annoncé des projets qui n’ont pas abouti, et les gens ont pensé que j’étais mytho. J’aborde les séries avec une approche analytique. Sur quels sujets n’y-a-t-il pas eu de série ? Un exemple : il n’y a jamais eu de série sur les hippies, ni aux États-Unis, ni en France. Et c’est un sujet qui peut parler aux jeunes générations ; les millennials se posent des questions que l’on se posait à l’époque, du genre : « Faut-il perdre sa vie à la gagner ? »... À partir du moment où j’ai un territoire, je cherche un concept, et un archétype. Un archétype, c’est Roméo et Juliette, c’est Icare, c’est Œdipe, c’est Monte-Cristo, c’est Faust… Après, je fais travailler des scénaristes, évidemment, je ne suis pas scénariste. C’est vraiment très plaisant… J’aime beaucoup mon nouveau métier. 

Quels sont vos meilleurs souvenirs en tant qu’animateur ?

Moi, je traite les invités comme un dentiste. Ils viennent, ils s’assoient sur un fauteuil, je les opère et ils s’en vont. Il y a très peu de gens dont je suis fan. Je suis très heureux de les voir, très heureux de leur poser des questions, mais sans « fan attitude ». 

L’héritage de Tout le monde en parle ?

Tout était possible dans cette émission. Si quelqu’un téléphonait alors qu’on était en plateau, on décrochait. Baffie disait : « Ouais, salut, je suis chez le croque-mort, là. » Il y avait une mise en abyme permanente de la télé. Pour moi, la télévision, ce n’est pas de la radio filmée. On me dit : « Vous avez été drôlement copié. » Mais non ! Si c’était le cas, il y aurait de bons génériques, de bons décors, de bonnes lumières partout ! Et il n’y en a pas tant que ça !   

Qu’en était-il du montage de l’émission ?

J’ai passé ma carrière à écrire, à tourner et à monter. Tout le monde en parle, c’était vingt heures de montage. On arrivait le vendredi matin, on sortait le samedi matin. Quatorze invités ! Quand vous faites ça chaque semaine, 42 fois par an, il faut tenir. Aujourd’hui, le montage, c’est fini. Je visionne. J’y vais le vendredi après-midi, j’y suis jusqu’à 10 heures du soir. Je délègue le montage à des gens en qui j’ai parfaite confiance. En l’occurrence Nicolas Torjman, rédacteur en chef, et qui me connaît par cœur. Le montage, c’est vraiment chronophage. Je n’ai plus la force. Je veux bien faire les fiches, mais le montage, non. Pitié ! 

Fin de l’émission Tout le monde en parle ?

Il eût fallu, si nous avions continué, qu’il y ait un vrai sursaut. Par exemple, là, entre juin dernier et septembre, j’ai repensé l’émission Salut les Terriens, en la redécoupant avec de nouvelles rubriques, en changeant le décor, l’habillage, les lumières… Je ne suis pas sûr qu’en juin 2006, on aurait eu la force de tout réinventer. Avec Baffie, on avait l’impression qu’on avait déjà vu le film. Tout le monde en parle aura duré huit ans.

Je suis très heureux sur C8. Les Terriens dure depuis treize ans. Comme disent les chanteurs, c’est l’album de la maturité, l’émission de la maturité. Je fais ce que je sais faire, mieux qu’avant, et je m’amuse beaucoup. Franchement, quand j’arrive le jeudi après-midi, ça me fait marrer. Tout le monde m’applaudit comme si j’étais Madonna, je bois une coupe de champagne, il y a de la musique, des invités que j’ai choisis… Il y a pire dans la vie !

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