Création
Dans le cadre du déplacement aux États-Unis du master Medias & Telecoms Leadership Program de l’IMM Paris, Stratégies a rencontré à Hollywood John J. Strauss, showrunner, et coscénariste du film «Mary à tout prix». Il revient sur la création, son métier, et le mouvement #metoo.

Vous êtes à Hollywood ce qu’on appelle un showrunner. Qu’est-ce que c’est exactement ? 

J’écris et je produis. Dans ma carrière, j'ai fait des films, des programmes pour la télévision, des séries, des drames, des comédies, des films d’animations familiaux, j’ai vraiment touché à tout. 

Et qu’est-ce que vous préférez dans ces activités ?

C’est compliqué. Mais ce que je peux vous dire, c’est que l’industrie du film est lente… très lente. Interminable ! Vous passez des semaines et des mois à écrire à scénario. Vous pouvez vous isoler pour écrire. Vous asseoir pendant des heures, et des heures. Seul. Et ça rend fou ! A la télé, où pour les nouveaux médias, c’est tout le contraire, ça va incroyablement plus vite ! J’écris un pilote en trois ou quatre ou cinq semaines. Je rédige des notes ensuite pour le studio et la production, ce qui prend encore environ deux semaines. Et ça n’arrête jamais ! Il faut prévoir le budget, le casting, les figurants, et tout se croise, en même temps que l’écriture, ça avance, avance, avance ! Et c’est très fun ! Mais c’est épuisant. Il n’y pas de métier aussi incroyable que celui de showrunner. C’est un job où on est sur le pied de guerre 24h par jour, sept jours sur sept. Vous savez, selon moi, le meilleur réalisateur de cinéma vient de chez vous, en France. C’est François Truffaut. Et personne mieux que François Truffaut, dans La nuit américaine n’a mieux décrit la vie d’un showrunner. Vous êtes suivi en permanence, par tout le monde, pour avoir votre avis sur tout. 

Comment fonctionne le travail d’écriture ? 

Si je veux écrire un pilote, j’embauche une équipe de scénaristes, allant de quatre à sept personnes. Une chaîne ou un studio m’alloue un budget pour un projet. Et là, c’est comme gérer une équipe de sport. On passe des heures dans la « writing room », la salle d’écriture. On a des tableaux blancs, des feutres, des aimants, et on écrit des idées sur le tableau, plein d’idées. On fait des colonnes par épisodes, de ce qu’il doit se passer, on ordonne les péripéties etc. Moi, je dois gérer toutes ces personnes. Je sais que certaines sont très douées pour créer un premier jet, un brouillon, mais qu'on ne les entend en revanche jamais dans la « writing room ». En revanche, je sais que d'autres, plus extravertis, vont être plus éloquents, avoir des dizaines d'idées, donner leur avis, relever des problèmes. Mais seront moins douées pour l’écriture... Donc c’est vraiment une équipe de sport, avec chacun ses expériences, ses points forts… Et le problème, c’est que vous avez un budget limité.

Le budget est souvent un problème…

Oui, mais à Hollywood, quand vous embauchez une star dans votre équipe de production, elle vient souvent avec des bagages : sa propre équipe. Vous savez, quand vous regardez une série Netflix et que vous voyez 45 noms en tant que « producteurs exécutifs », ils ne sont pas tous dans la « writing room » à participer à la création du projet. Ils sont souvent les propres managers d’un réalisateur, ou le business partner de la star en question… Et on se retrouve souvent avec des gens qui n’ont strictement rien fait, et ça me rend fou ! Car vous les payez cher, souvent même très cher... Des gens se font 15 000 dollars par épisode, de mon propre budget, pour faire quoi ? Rien. Juste parce qu’ils sont « managers » d’un assistant réalisateur. Mais ça marche comme ça malheureusement... C’est le jeu, et on doit jouer avec les règles du jeu.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans votre métier ?

Le vrai challenge, c’est de faire fonctionner une équipe de créateurs. C’est la partie la plus passionnante mais la plus difficile. Car plus la production approche, plus je commence à avoir des coups de téléphone. Du responsable du budget, toutes les cinq minutes, pour dire qu’on ne pas s’offrir telle ou telle chose. Mais aussi de la chaîne, à propos des extraits qu’on a réalisés, et qu’ils aiment ou n’aiment pas. J’ai des appels du casting – car je dois participer au casting – et j’y passe des heures interminables ; aux réunions de design, sur les costumes, les perruques… Alors le vrai secret de la vie d’un showrunner, c’est de savoir prioriser sur ces 30 000 choses qu’il faut gérer toutes les minutes, et comprendre où vous devez mettre votre énergie. Ça implique de savoir à qui déléguer, à qui vous pouvez faire confiance pour prendre les décisions à votre place. Il faut admettre ses faiblesses. Par exemple, je ne sais pas choisir un costume. Je hais le shopping, car je suis incapable de prendre la moindre décision. Donc pour chaque show, j’engage quelqu’un dont je sais qu’il a un goût fantastique pour les beaux costumes. Et je l’envoie à ma place...

C’est déléguer qui est important ?

Oui car vous êtes bombardés de questions par tous ces gens qui pensent qu’ils sont le département le plus important ! Et un bon showrunner doit savoir qu’il doit rester le plus longtemps possible dans la « writing room ». Mais le problème, c'est que la « writing room », c’est l’endroit le moins fun de la terre. C’est dans cette pièce qu’a lieu la partie la plus difficile du travail. Cette concentration intense, toute la journée… Et je dois avoir un maximum d’énergie pour l'équipe, pour la stimuler, je dois les garder concentrés, excités. Je n’arrête pas (il claque des doigts…) Ce n’est pas fun ! Des gens vous disent qu’écrire c’est fun, que c’est la chose la plus merveilleuse sur terre… Alors soit ces personnes ne sont pas des écrivains professionnels, soit ils devraient être internés directement. Ecrire est une torture! C’est épuisant. Et beaucoup de showrunners font l’erreur, plutôt que de s’enfermer dans la « writing room », de profiter de sortir dès que le téléphone sonne ! « Chouette, je dois choisir la couleur des pantalons ! », et ils partent. Le problème c’est qu’ils sont les créateurs du show. Ils sont les garants de la vision du programme, de l’esprit. Et quand ils sont absents, la salle perd du temps à tenter de deviner ce qu’ils voudraient, plutôt que de penser à trouver des idées. C’est pour moi la deuxième plus grosse erreur que je vois. Cette pauvre gestion du temps, et le fait que l’on fuie tous, dès que l’on peut, vers la lumière, la partie la plus brillante du métier, sans se concentrer sur les tâches grinçantes ou ennuyantes. Dans une création, tout est histoire de ton, de vision, et les meilleurs shows, sont ceux qui gardent ce ton, cette vision, impulsée par le créateur, par celui qui en a eu l’idée, en lui.

Dans Mary à tout prix, comment avez-vous eu cette idée « du gel à cheveux » ? Pourrait-on la faire aujourd’hui ?

Elle ne vient pas de ma vie personnelle, je vous promets (rires) ! Toutes les choses complètement folles dans ce film, les cheveux, la scène du chien, viennent de Peter Farrelly. Lui et son frère Bobby sont les maîtres de l’absurde. Aujourd'hui, vous ne pourriez plus faire Mary à tout prix, pour plusieurs raisons. Car le principe du film, c’est de retrouver un jour dans votre vie la personne dont vous étiez éperdument amoureux au lycée. Mais c’était avant Facebook... Nous avons écrit cela avant internet. Vous ne pourriez plus écrire cette histoire de nos jours, car on garde tous plus ou moins le contact avec notre passé. En outre, il y a plein de choses politiquement incorrectes dans ce film. Quand nous l’avons écrit, nous nous sommes lâchés. Je n’aurais jamais pensé que j’en parlerais encore aujourd’hui. Si on devait le présenter à une production actuelle, jamais le scenario ne serait accepté. Mais oui… Revenons à votre question sur la scène des cheveux [dans le film, l'héroïne tartine sa chevelure de sperme, à son insu, en pensant qu'il s'agit de gel coiffant, alors que le héros vient de se masturber]. Le principe est simple : qu’est-ce que vous faites avant un rendez-vous amoureux, pour relâcher la pression ? Là, on s’est réunis avec les frères Farelly et on a construit sur cette idée. Construit, construit, construit, encore… Chaque chose empirant les unes après les autres, jusqu’à … ce résultat final. Et là: la Fox était horrifiée. Ils ont détesté… De toutes façons ils ont détesté ce film du début à la fin. Du casting au moindre détails, ils étaient contre. Ils ne voulaient pas Cameron Diaz, ils ne voulaient pas Ben Stiller… Chaque chose qu’ils voyaient, ils n’en voulaient pas. Plusieurs fois ils ont voulu arrêter la production en plein tournage. Et à chaque fois, Peter Farrelly répondait au téléphone… Je ne le remercierai jamais assez. Chaque fois il argumentait, encore et encore.

Et à sa sortie ?

Evidemment, dès que le film s’est bien placé au box-office, c’est devenu leur film favori, où tout était exceptionnel. A Cannes, sur le tapis rouge, celui qui n’arrêtait pas de nous mettre des bâtons dans les roues était le premier à serrer des mains et à clamer haut et fort que c’était son bébé... Mais que voulez-vous, c’est Hollywood.

Cette scène est la scène de buzz du film. Cela se fait de plus en plus d’insérer des scènes de buzz comme ça, non ?

Bien sûr, on appelle cela les « set pieces ». Je n’en connais pas l’origine mais on utilise cela aussi bien dans les comédies que dans les drames. C’est en gros, une scène mémorable du film. Dans un film vous avez approximativement six ou sept « set pieces », que vous pouvez réutiliser pour la pub, les trailers… Mais la barre est tellement haute maintenant. Car toute cette compétition entre les plateformes de streaming, les chaînes de télé, fait que la quantité de production aujourd’hui est énorme. Nous n’avions pas cela il y a 20 ans. L’industrie du film a considérablement changé. On ne fait plus de comédie romantique classique. C’était des films pour lesquelles vous arriviez à lever entre 40 et 60 millions de dollars. Ces films aujourd’hui sont fait pour les services de streaming. Netflix, Amazon, mais plus pour le cinéma. Maintenant au cinéma, vous avez des tout petits budgets pour des films d'auteurs, comme le festival de Sundance, et des budgets, soit beaucoup plus élevés pour des superproductions de type Marvel.

Est-ce que «#metoo» a eu un impact sur votre métier et la création ? 

 Je prépare en ce moment ma prochaine comédie. C’est sur un sujet très controversé avec des scènes scandaleuses. Vraiment. Je viens juste de la présenter à un studio. Donc j’ai eu un rendez-vous pour une réunion générale, le genre d'entretien où l'on parle de nous, où l'on se dit qu’on adore nos travaux respectifs et où, in fine, l'on parle du projet... Quand je suis arrivé, je leur ai avoué que j’étais très nerveux… J’avais en face de moi deux directrices exécutives, deux femmes. Et étant donné le climat actuel, j’ai préféré être honnête avec elles et leur dire que ce n’était pas forcément le bon projet à sortir en ce moment. Que c’était un peu provocant. Et elles me disaient « Non non, montrez nous ! », et elles ont adoré. Je pense qu’on revient progressivement à une liberté de ton. La culture a dû passer par une période plus calme. Et je pense vraiment que la culture en a eu besoin… Tous ces terribles abus sur les femmes qu’il y a pu avoir partout, surtout dans le cinéma, avaient besoin d’être corrigés. C’était nécessaire d’en passer par là.

Et pour choisir vos équipes ?

Vous savez de quoi notre monde est constitué ? Il y a plein de personnes de couleurs de différentes, avec des orientations sexuelles différentes, des genres différents… Nous sommes encouragés et j’embauche tout le temps une équipe d’auteurs très diversifiées. Parce que c’est en parfaite adéquation avec ce que je pense. Le monde ne ressemble pas à ce que je suis ! Dans les deux derniers shows que j’ai faits, j’étais la seule personne « non-colorée » de la pièce où on travaillait. Mais il y a quelques années, ce n’était que des hommes, et des hommes blancs hétérosexuels, bien sûr. Ca a complètement changé, et c’est pour le meilleur, selon moi.

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