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Stress au travail et en amour, stress politique, écologique ou bien technologique, stress par-ci et stress par-là. Stress partout. Face à cette anxiété envahissante, les marques se doivent aujourd’hui de rassurer leurs consommateurs, tandis que d’autres se contentent de capitaliser sur leurs peurs. Et si, au fond, nous avions tous besoin d’une bonne dose d’anxiété ?

Stratégies serait-il un magazine anxiogène ? À parler régulièrement d’IA et de nouveaux modèles technologiques, il l’est sans doute, à en croire une récente étude réalisée par l’agence digitale mondiale Wunderman Thompson. Elle y détaille les différents secteurs qui constituent un marché en pleine croissance : celui de l’anxiété, ce mal chronique du 21e siècle, organisé en véritable économie. « Nous sommes beaucoup plus anxieux qu’auparavant, avance Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson Paris. Tout devient source d’anxiété. Cela est individuellement lié à une société de la performance, à la fois professionnelle, familiale ou amoureuse, mais aussi collectivement à des questions politiques et écologiques. »

Le climat qui en ressort relève donc d’une nouveauté caractéristique du monde actuel qui pousse les consommateurs à rechercher des solutions quant à leurs différentes peurs, lesquelles s’auto-alimentent. Et ce comportement -– semble-t-il universel – ouvre les vannes d’un marché potentiellement colossal qui séduit les marques, mais surtout les oblige. « Les entreprises doivent absolument répondre aux inquiétudes de leurs consommateurs et n’ont plus d’autre choix aujourd’hui que de proposer des solutions pour limiter leur anxiété », affirme Virgile Brodziak.

Prise de conscience

Les bouleversements politiques provoquent des sentiments de panique et d’impuissance, à l’instar du Brexit qui, d’après un rapport de la Fondation pour la santé mentale publié en mars 2019, affecterait le sommeil de 12 % des résidents britanniques, tandis que 40 % d’entre eux se sentiraient impuissants, en colère ou inquiets. Et il en va de même avec les chamboulements environnementaux qui dictent aujourd’hui leur propre inquiétude : l’éco-anxiété. Plus que de préoccuper, ils permettent aussi aux consommateurs de prendre conscience de la réalité qui les entoure et de pousser les entreprises à agir. Selon une étude de Cone Communications réalisée en 2017, 87 % des Américains seraient plus enclins à acheter une marque qui prend en charge les problèmes environnementaux et sociaux qui les intéressent. « En matière alimentaire par exemple, je ne pense pas qu’il existe des acteurs qui revendiquent ne pas avoir adressé les peurs de leurs consommateurs sur l’origine de leurs produits, leur composition ou le traitement de leur packaging », décrypte le directeur général de Wunderman Thompson Paris. Pourtant, à en regarder de plus près la polémique liée aux bouteilles de jus de fruits de la marque Tropicana, cela ne semble pas aussi clair. En abandonnant le carton pour le plastique, la marque du groupe PepsiCo estime répondre au besoin de transparence de ses consommateurs, anxieux de ne pas voir la couleur du contenu… en suscitant pour autant chez eux de l’éco-anxiété. Contre-productif ?

L’empire du «sans»

L’anxiété reste toutefois un bon levier marketing que certaines entreprises n’hésitent pas à utiliser, tandis que les consommateurs, eux, tentent désespérément de s’en débarrasser. La susciter contre leur gré permet de braquer ailleurs leur inquiétude. Surtout sur les concurrents… Ainsi, lorsque le brasseur Budweiser produit une campagne qui dénonce l’utilisation de sirop de maïs dans la fermentation de la bière de ses rivaux, alors que tel n’est pas le cas, ou bien que les mentions « sans parabènes » envahissent les packagings de certains produits cosmétiques qui n’en ont historiquement jamais contenu : le seul objectif est de susciter de l’anxiété. « Ces pratiques sont décriées, explique Virgile Brodziak. À travers l’utilisation massive du “sans”, elles alimentent la peur et le doute sur le voisin et sont des sujets dont s’emparent aujourd’hui les institutions gouvernementales. » L’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) a en effet présenté ses nouvelles réglementations quant aux formulations cosmétiques : dès le 1er juillet 2019, les allégations « sans », entre autres, ne pourront plus être utilisées à propos d’ingrédients eux-mêmes interdits d’une utilisation dans ces mêmes produits, mais aussi lorsqu’elles dénigrent un ingrédient ou groupe d’ingrédients surs et autorisés, à l’instar de certains parabènes. 

Par ailleurs, soigner l’anxiété appelle en soi d’autres formes d’inquiétudes liées aux potentiels dangers des compléments alimentaires. Le cannabidiol (CBD) par exemple, un composé du cannabis dont les ventes au détail atteindront selon certains analystes 16 milliards de dollars d’ici 2025, est une substance que l’on qualifie de plus en plus comme LA solution à notre époque inquiète, déjà disponible dans des produits de bien-être et de beauté commercialisés dans de grandes enseignes comme Sephora…

L’une des grandes angoisses de notre siècle, outre les problèmes environnementaux, réside sans aucun doute dans les nouvelles technologies, parfois perçues comme une menace ou une dérive de l’humanité. Les peurs sont à cet égard liées à la surveillance et le flou qui entoure l’utilisation de nos données personnelles. « Énormément de services en bien-être, comme des cliniques, se positionnent sur la déconnexion pour lutter contre la peur des technologies et de la connexion permanente. D’un autre côté, les géants et start-up du web promettent des alternatives de sécurité, pour valoriser les avantages de la technologie », constate le directeur général. 

Pour le frisson

Paradoxalement, nous nous surprenons régulièrement à jouir de telles angoisses, qu’elles soient écologiques, féministes ou technologiques, sur lesquelles capitalisent de plus en plus les industries culturelles, à l’instar de dystopies comme Black Mirror, Westworld ou The Handmaid’s Tale, de véritables séries à succès qui poussent leurs publics à réfléchir et à s’alarmer sur leur condition actuelle. Aussi, la mode, reflet des tendances sociétales, intègre à ses créations cette culture de l’anxiété, à l’image de la collection gothique Cruise 2019 d’Alessandro Michele pour Gucci. Le philosophe Michel Foucault, quelque peu visionnaire, disait déjà de son époque que « nous ne [vivions] pas dans une société du spectacle, mais dans une société de la surveillance. » Et si nous avions déjà basculé dans autre chose : celle d’une société de l’anxiété, voire du spectacle de l’anxiété ? 

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