Hypnose
Une nouvelle technique d’étude quali commence à voir le jour : l’hypnose. Une méthode qui consiste à rentrer dans l’inconscient des clients, et comprendre le vrai sens de leurs désirs.

Le marketing, c’est la science des choix. Pourquoi une personne achète-t-elle un produit ? Et pourquoi telle marque plutôt que telle autre ? Les directeurs marketing étudient, scrutent les comportements pour découvrir ce qui amène telle personne à telle décision. Seul souci : les consommateurs ne sont pas que des agents économiques rationnels… Et nombre de leurs choix restent lovés dans leur inconscient, cachés de la logique déductive. Les directeurs marketing le savent: ils aimeraient pénétrer les dessous du langage de leur client. Accéder aux raisons véritables d’un achat d’impulsion, comprendre le succès d’un packaging ou d’une couleur de logo. Mais tant de symboles restent brumeux… 

C’est pour réaliser une part de cette utopie marketing que Sylvain Flender a développé depuis six mois sa société d’études qualitatives par l’hypnose: Deeper Sight, déclinaison de son agence, The New Anthropology. Ce spécialiste en anthropologie symbolique a travaillé chez Research International. Passionné d’hypnose, il s’est intéressé à tous ses aspects – eriksonnienne, symboliste, conversationnelle… – et a travaillé sur les états de transe dans les sociétés primitives, et en rave party. Il exerce en thérapeute diplômé de son côté. L’idée d’allier hypnose et marketing germe en lui depuis longtemps. « On peut aller plus loin dans le terreau émotionnel de l’expérience client et tenter d’aller voir ce dont le public n’a pas conscience», explique-t-il. Le but de l’hypnose, c’est d’aller au-delà du déclaratif. Non pas que cet état de transe soit un état d’anti-conscience, «mais juste un état de conscience modifiée, détaille-t-il, on ne fera jamais faire à la personne quelque chose contre son gré»

L’objectif de ces séances d’études qualitatives consiste à rentrer dans les souvenirs des personnes, d’aller au-delà des mots pensés, pour faire revivre des expériences fortes et avoir accès à «une réalité intérieure»«Je cherche à rentrer dans une intimité émotionnelle avec les personnes interrogées, afin d’en tirer des lignes directrices qui aideront les équipes marketing à mieux comprendre des aspects des choix des clients qu’ils n’avaient pas forcément vus», résume-t-il.

Images de marques

Le procédé se déroule en deux séances. «J’ai été contactée par une agence de recrutement pour des études», raconte Lætitia, qui a souhaité conserver l’anonymat. Une grande marque de cosmétiques cherchait à comprendre une cible de jeunes filles d’origine asiatique. Tout d’abord, Sylvain Flender la convoque pour un premier rendez-vous, le plus souvent en groupe, afin de choisir les personnes les plus réceptives. «Je n’avais jamais fait d’hypnose mais on m’avait mise au courant, et je trouvais l’expérience enrichissante, raconte-elle. J’ai été surprise que ce soit en groupe. On est dans une forme de conscience, à aucun moment je n’ai décroché. C’est jusque que nous faisions sauter toutes les barrières morales. Il y a un contrôle, mais aussi une absence totale d’inhibition. On se laisse embarquer dans des situations précises. J’ai été transportée dans des périodes de ma vie et je les ai revécues. C’est très puissant. Ça remue émotionnellement mais Sylvain avait une voix très apaisante, je me suis tout de suite sentie en confiance.» Sa plurisdisciplinarité – notamment le fait qu’il soit thérapeute – et son approche basée sur les sciences sociales a rassuré la jeune femme. 

Dans un deuxième temps, Sylvain sélectionne une dizaine de personne «réceptives» et les reçoit alors individuellement pour creuser plus profondément les aspects spécifiques à la marque. «J’alterne entre des phases de travail conscient et des phases de “flash hypnose”, comme on peut le voir dans des spectacles, où par un simple toucher la personne change d’état de conscience en un instant. Mais attention, le but n’est en aucun cas de leur faire faire n’importe quoi. Certains hypnotiseurs vont beaucoup trop loin et peuvent créer de vrais traumatismes.» Au total, sur 1h30 d’entretien, la personne passe 30 à 45 minutes en état d’hypnose et délivre des insights émotionnels sur le produit, la marque ou ses supports. «On m’a présenté des produits de beauté et le but était de déterminer les ressorts de choix conscients ou inconscients entre couleur, packaging, marque… Nous avons dessiné des sensations par exemple», se souvient Lætitia. Les dessins ne ressemblent pas à grand-chose, ils sont très enfantins. Mais permettent de revenir aux sources. Les histoires ou les émotions qui surviennent peuvent être très intimes. «Mais les personnes en ressortent souvent en connaissant plus de choses sur elle-même», rassure Sylvain, qui ne pose jamais très loin ses habits de thérapeute. D'ailleurs, Lætitia se dit même qu’elle pourrait désormais faire appel à l’hypnose pour résoudre des questions dans sa vie, alors qu’elle n’y avait jamais pensé. 

Ni tabac ni alcool

Pour les agences ou les marques, cachées derrière la vitre sans tain, la séance est spectaculaire: une femme qui retrouve des souvenirs cachés pour parler de couleur de packaging, des hommes musclés qui brainstorment main dans la main pour une marque de sport, se prennent pour un vêtement, d’autres qui survolent littéralement le monde d’une marque de crème, des médecins qui remontent aux mythes des plaies d’Égypte pour parler du symbole des pansements… «L’hypnose fait ressortir des idéotypes auxquels nous n’aurions jamais pensé. C’est mon travail, ensuite, de sélectionner les choses pertinentes pour les marques», raconte-t-il. Question éthique ? Sylvain refuse de travailler pour le tabac ou des marques d’alcool qui viseraient les jeunes. Il sélectionne ses clients et filme toutes les séances. Si la loi n’encadre pas ces pratiques, les marques pourraient se montrer très intéressées pour sortir du cadre des études quali classiques. Mais resteront prudentes à ne pas le clamer haut et fort… «L’hypnose est encore méconnue et peut faire peur car on assimile encore trop cette pratique à de la manipulation», déplore l’hypnologue. Mais ce n’est qu’une technique de travail sur l’humain, un état de déconnexion du monde pour plonger en soi. «Écouter un concert, danser, lire un livre, aller au cinema, ou tout acte créatif, sont en quelques sortes des formes d’hypnose en tant qu’état de conscience modifié», résume-t-il. Une pratique qu’il faut dédramatiser, donc, même si elle nous plonge dans les merveilleux abîmes de la nature humaine. 

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