Le lab
Guillaume Sire, maître de conférences à l'Institut français de presse, publie «Les Moteurs de recherche», aux éditions de La Découverte. Ce chercheur explore le «langage» que parle Google.

«Le classement des informations sur les moteurs de recherche est d’autant plus problématique qu’il ne pose pas de problème. Le jour où l’on estimera que la hiérarchie de Google est celle qui convient à tout le monde et qu’on lui donnera un pouvoir plus normatif que descriptif, on sera dans une logique où ce qui est pertinent est ce qui est classé sur Google. Il faut regarder comment les algorithmes traitent l’information. Quelles en sont les formules mathématiques, comment les variables sont-elles agencées…? Il y a par exemple une constance 0,85 qui a des implications totalement arbitraires en matière de traitement de l’information.

Maîtrise des codes

Ces problématiques sont inhérentes à ce dispositif socio-technique qu’est Google. Elles méritent qu’on continue de les interroger. Aujourd’hui, on sait tout, à la seule condition de ne pas se demander comment on peut tout savoir. Or, dès que l’on traite l’information, il y a des choix critiquables. Par exemple, une page qui se charge plus vite est jugée préférable à une page qui se charge moins vite. Google parle expérience utilisateur, confort de l'internaute alors qu'il s'agit d'accès au savoir... Je ne critique pas cette optique ingénieur mais je dis qu'il faut en être conscient. 

Je m'intéresse à ce qui fait et à ceux qui font le langage de programmation, en particulier le HTML5, qui permet de créer des pages et des sites. Comment cette langue est-elle mise en place et discutée dans le World Wide Web consortium et comment les développeurs peuvent-ils s'en saisir? Il y a là un champ des possibles qui est négocié dont dépend ce que sera le web sachant qu'il y a un aller-retour avec ceux qui s'en saisissent. Mais la marge de liberté dépend de la capacité à parler ce même langage. Celui qui paramètre le navigateur a beaucoup de pouvoir: il choisit ce qui sera traduit et lu. On retrouve ce que disait Bourdieu avec Ce que parler veut dire où la maîtrise des codes est déterminante. 

«Over the top»

Ces intermédiaires automatisés («over the top») –Google, Facebook...– ont réussi à consolider des positions archi-dominantes... Ils ont un rôle de médiateur. L'information est produite par d'autres, certes, mais ils la hiérarchisent, la mettent en forme et il peut y avoir un intérêt à distordre ce traitement. Google a ainsi intérêt à envoyer les internautes vers les clients de sa régie publicitaire. Si on ne peut pas prouver empiriquement que c'est le cas, on ne peut pas omettre que c'est son intérêt. Google ne dit rien de son algorithme. On ne peut pas exclure que certains de ses clients puissent se dire que le moteur ne trompe pas ses résultats en faveur de ses partenaires économiques mais qu'au cas où, ils préfèrent être du côté de ceux qu'il aurait intérêt à avantager. Sergey Brin et Larry Page, les cofondateurs, ont eux même écrit en 1998 qu'il ne fallait pas financer le moteur de recherche par la publicité car ce serait trop facile de mettre un petit facteur invisible dans l'algorithme qui permettrait d'avantager systématiquement les partenaires économiques.»

Le prof

Guillaume Sire, maître de conférences à l'IFP (Paris II), est spécialiste des technologies numériques. Il vient de publier Les Moteurs de recherche (La Découverte, Repères). Il sort en septembre chez Plon Nous fûmes des héros, un roman sur des jeunes qui décident de détruire internet.

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