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Les plateformes payantes de vidéos à la demande développent leurs productions propres, des séries, dont l’objectif est de susciter l’envie et de se démarquer face à la concurrence.

«Look at the bigger picture» (Adoptez une vision plus large). Le préambule de son document de présentation, qui reprend une citation du sardonique Francis Underwood, incarné par Kevin Spacey dans sa série House of Cards, affiche sans fausse pudeur les ambitions de Netflix. En France, le monde de l'audiovisuel en frémit déjà. La plateforme payante de vidéos à la demande par abonnement (SVOD), dont la date d'arrivée dans l'Hexagone est encore hypothétique, dit investir 2 milliards de dollars dans les programmes. Fait nouveau: elle produit des séries de plus en plus fournies et qualitatives. Cela n'a pas échappé à New Of The Air (Nota), le pôle veille programmes internationaux d'Eurodata TV (Médiamétrie), qui, dans son bilan semestriel, note «l'offensive des nouveaux entrants».

Avec la série politique House of Cards, réalisée par David Fincher, Netflix a frappé un grand coup. La fiction, qui sera diffusée sur Canal+, fait beaucoup parler d'elle... et de Netflix. Le site revendique 36,3 millions d'abonnés et devance la mythique "chaîne classique" HBO, modèle de Canal+. La plateforme a lancé la production de la saison 2 d'House Of Cards et d'autres séries: le thriller Hemlock Grove, l'humoristique Bad Samaritains, et Orange Is the New Black, tourné dans le milieu carcéral. Elle n'hésite pas à proposer toute la saison d'une série afin de satisfaire au plus vite ses "viewers".

Parmi les autres plateformes de SVOD, Hulu déchaîne les passions. Ses propriétaires actuels sont Walt Disney Company, News Corp et Comcast. Yahoo et Time Warner sont sur les rangs pour la racheter. Le 1er juin, Direct TV proposait 1 milliard de dollars. Dans la corbeille, des productions originales également: le western Quickdraw et la série d'animation Mother Up, dont la voix principale n'est autre que celle d'Eva Longoria.

Amazon, et son service Amazon Prime, n'est pas en reste avec la série politique Alpha House, qui met en scène l'acteur John Goodman. L'autre acteur américain, Redbox Instant, propriété de l'opérateur de téléphonie Verizon, ne fera sans doute pas l'économie, à son tour, de ce que les Américains appellent les "originals", ou productions maisons. «Elles constituent un levier marketing imparable», estime Andrew Wallenstein, journaliste à Variety, qui suit de près ces nouveaux acteurs. «Les contenus originaux permettent de se différencier dans un marché submergé par des offres pléthoriques.»

La qualité monte d'un cran

Philippe Bailly, le directeur de NPA Conseil, partage cette analyse: «C'est la base des modèles économiques des plateformes de SVOD. Sans cela, le public n'aurait qu'un seul indicateur pour le choix d'un service: le prix. Le but est donc de donner l'impression qu'il y a des différences entre les marques des opérateurs.»

Le choix d'Andy Forssell, nommé en mars dernier CEO de Hulu en remplacement de Jason Kilar, n'est, à cet égard, pas innocent: l'homme est l'ancien «head of content», le «monsieur contenu», de Hulu. Une stratégie gagnante, même si pour l'heure, au sein de la plateforme, on préfère garder un silence pudique sur les convoitises que l'on suscite: «Nous nous refusons à tout commentaire sur la bataille des enchères autour de nous», explique Meredith Kendall, patronne des relations presse de Hulu, qui offre néanmoins gentiment de fournir toute sorte d'informations sur la plateforme. Histoire de soigner la presse française, en vue d'une future arrivée dans l'Hexagone?

Car, c'est la crainte des opérateurs français: «Pour un acteur comme Netflix, déjà présent dans un bon nombre de pays européens, tout pays avec une infrastructure de très haut débit est désormais une priorité, explique Andrew Wallenstein, journaliste à Variety. La seule chose qui empêche Netflix de foncer est le coût considérable que cela représente. L'expansion internationale de Hulu est moins évidente et dépend du futur acheteur, qui considèrera très certainement quelle dimension internationale il veut donner à la plateforme.»

«En France, le potentiel de marché est important, estime Philippe Bailly. Mais ces plateformes américaines, qui avaient d'autres priorités économiques, attendent un assouplissement des règles pour la chronologie des médias.» Le dernier enjeu est celui de la communication, car, pour susciter l'envie, ces nouveaux services doivent investir en publicité pour vendre des programmes dont la notoriété part de zéro.

Les opérateurs traditionnels ont déjà réagi à la montée en force des plateformes de SVOD. «Elles ont fait monter d'un cran la qualité de leurs productions, indique Julian Espérance, consultante médias chez Nota. Face à la concurrence, elles doivent faire preuve d'originalité.» La création originale des fictions et séries montent en gamme grâce à des coproductions internationales qui recrutent des stars, comme Jean Reno pour Jo (TF1). Les projets sont plus ambitieux et évènementiels, tel Top of the Lake (BBC), une enquête policière, ou Bates Motel (NBC) qui revient sur la jeunesse de Norman Bates avant Psychose. Les couteaux sont tirés.

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