Étude
BETC Digital s'est penché sur le rapport des «prosumers», une population ultra-tendance dont les comportements ont 6 à 18 mois d'avance sur ses contemporains, à l'amour au temps des réseaux sociaux. Surprise : ils sont plus romantiques que jamais.

Comme c’est touchant. Et si désarmant. À l’orée de 2020, de par le monde, des armées de petits cœurs fragiles battent à l’unisson. Telles des rosières intouchées par les vicissitudes de la vie, les leaders d’opinion ne croient qu’en une seule chose : l’amour éternel. Oh, bichette ! « Lorsque nous avons lancé notre étude “Love in the Digital Age”, dans laquelle nous interrogeons ce que nous appelons des “prosumers”, c’est-à-dire une population en avance de 6 à 18 mois dans son style de vie et ses modes de consommation, nous avons eu un débat sur les questions à poser, raconte Sébastien Houdusse, vice-président de BETC Digital. Au départ, nous nous sommes dit que personne ne croyait plus à l’amour éternel aujourd’hui. » Tout faux : 80% de l’échantillon interrogé – soit 17 411 répondants dans 37 pays – vibrent encore sur la rengaine de l’amour pour toujours.

Qu’en aurait pensé Lacan, qui estimait qu’« aimer, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas » ? « 69% des “prosumers” estiment que l’on passe à côté de sa vie si l’on n’a pas rencontré de partenaire. Une proportion qui monte à 87 % en Chine », relève Sébastien Houdusse. Une croyance d’autant plus étonnante que la croissance de la population de divorcés entre 2000 et 2030 est estimée à 79%, et que les études montrent que l’amour, le vrai, ne dure pas trois ans – comme disait l’autre – mais deux. Comme quoi.

« La pression que l’on se met est telle que la quête de l’amour est de plus en plus difficile et sinueuse », remarque le vice-président de BETC Digital, qui a élaboré une sorte de « parcours consommateur de l’amour » qui prend la forme d’une montagne russe. « Mu par le fantasme de l’amour éternel, on se retrouve dans un cycle de dating sans fin », résume Sébastien Houdusse.

On a les contes de fées qu’on peut. Après Cendrillon/Cinderella et sa pantoufle de vair, place au complexe de Tinderella : en résumé, la chasse est plus amusante que la prise. « 36% des prosumers admettent qu’ils sont plus intéressés par le fait de recevoir des “matchs”, que de faire des rencontres. » Une satisfaction narcissique à peu de frais, dans laquelle l’autre n’existe pour ainsi dire pas. Lacan, encore lui : aimer, n’est-ce pas essentiellement vouloir être aimé ?

I-love you

Cocorico ! Les Français sont les champions de ce jeu sophistiqué d’apparition-disparition que l’on appelle la séduction. Honnêtement, on ne tombe pas de notre chaise. « Avec les Italiens, les Espagnols et les Colombiens, nos compatriotes font partie d’un “cluster” [groupe] que nous avons appelé “les passionnés”, adeptes des jeux de l’amour et du hasard, qui ne souhaitent pas se laisser dicter leurs choix par les algorithmes. » Tout le contraire de ceux que BETC Digital a baptisé les « i-lovers », personnalités un rien « métal » qui préfèrent l’intelligence artificielle aux intermittences du cœur. « En Chine, au Vietnam, en Corée du Sud et au Japon, on est prêt à faire appel à une IA pour trouver l’âme sœur, à s’adjoindre les services d’un dating coach virtuel et très partants pour que les applications de dating comportent des analyses d’ADN [à 54% vs 24% aux USA et 19% en France] », énumère Sébastien Houdusse. À ce stade de l’article, tout le monde pense très fort à Black Mirror.

Entre les amoureux de l’amour et les stressés des algos, on trouve les pragmatiques du cœur, ceux qui gèrent leur couple comme une PME : les « Achievers ». En amour, comme le veut une phrase attribuée à Balzac, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie ? Peu importe. « Ce qui est important pour ces “Achievers”, c’est de travailler son couple, de faire tenir sa famille. Ils proviennent en majorité des États-Unis, de Grande-Bretagne et d’Allemagne et estiment à 75% que les autres ne font pas d’efforts, une proportion qui monte à 85% outre-Atlantique. » Héritage protestant ? Ils ont fait leur cette conclusion de Roland Barthes : « Sentiment raisonnable : tout s’arrange – mais rien ne dure. Sentiment amoureux : rien ne s’arrange – et pourtant cela dure ».

Si l’on laisse de côté les indécrottables fleurs bleues et ceux qui ont mal au couple, quid de ceux qui ont choisi la voie de l’amour… d’eux-mêmes ? En France, 35 % des adultes vivent seuls – un chiffre sans précédent. « Quand en déclaratif on a 80% de personnes qui affirment désirer que l’amour dure toujours, il est difficile d’assumer son non-désir de couple, qui reste un choix à contre-courant, relève Sébastien Houdusse. Dans le même temps, des campagnes comme celle de Tinder, “Single not sorry”, montrent bien que l’on peut mener une vie de célibataire, avec des interludes amoureux ponctuels. » Pour rester pudique.

Insta-drague

Pour les aventuriers et pour les autres, la Carte de Tendre a diablement redéfini ses contours. La drague emprunte encore des canaux connus, comme le téléphone (52%), le mail (49%), Facebook (61%) et Instagram (34%), surtout pour les plus jeunes. « En France, notamment, Insta est vraiment devenu le réseau de la drague », lâche Sébastien Houdusse. L’on y rivalise de ruse pour capter l’attention de l’être aimé. Grâce au « deep liking », par exemple. « On remonte le fil de la personne que l’on convoite pour aller “liker” des photos très anciennes et ainsi se faire remarquer. » En d'autres temps, on aurait jeté son mouchoir.

Autre territoire de Cupidon… LinkedIn, ses CV ronflants, ses proses de winners longues comme le bras... On a connu plus sexy. « 15% des personnes interrogées ont répondu qu’on avait déjà flirté avec elles sur ce réseau professionnel. » Pour qui veut bien y croire, l’amour se niche décidément partout.

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