Culture
Vecteur d’inclusivité, la culture s'avère être un remède durable face à cette période individualiste. Relégué au statut de variable d'ajustement, la culture n'est pas célébrée à sa juste valeur, quand elle devrait être un fondement sociétal.

Lors d’un déplacement au Proche-Orient, j’ai pu mesurer la puissance de la culture comme moyen formidable de création de pont entre une jeunesse Israélienne et Palestinienne en quête de paix et du vivre ensemble. Ô combien d’initiatives de paix ont été portées par des artistes et ont permis une prise de conscience générale. Nous ne mesurons pas toujours la portée et l’impact de la culture dans notre quotidien.

Confrontés à une crise majeure tant sur le plan démocratique, social, économique qu’environnemental, nous devons porter l’ambition d’une culture qui dépasse la vision d’un simple supplément d’âme d’un monde marchand généralisé, une culture qui élève les individus à une autre position que celle de consommateurs, une culture qui permet à chacune et à chacun de devenir autrice et auteur de sa vie, bref, une culture émancipatrice comme vecteur de transformation sociale et sociétale !



Une culture citoyenne

De Condorcet à nos jours, la culture a toujours joué un rôle essentiel dans nos transformations sociétales. C’est la grande leçon de notre siècle dernier : prendre conscience que la «culture», l’intelligence et l’instruction ne sont, en soi, aucunement un obstacle à la barbarie. On peut être cultivé et fasciste ! Pour éviter qu’un tel cauchemar ne se reproduise au XXIème siècle, il nous faut repenser la conscientisation politique des jeunes adultes afin de favoriser leur réflexion par l’esprit critique grâce à la culture. Celle-ci ne doit alors pas être pensée comme une simple esthétique dépolitisante mais comme une arme de construction massive de nos sociétés.

 

La culture comme ciment du « vivre ensemble »

Jacques Duhamel [ex résistant, ex-Ministre des Affaires Culturelles] écrivait : « La culture, c’est ce qui doit faire qu’une journée de travail devienne une journée de vie ». J’ajouterais que la culture cimente les solidarités et le vivre ensemble. C’est un vecteur social incroyable qui a permis de libérer les hommes et les femmes des tutelles auxquelles ils et elles se soumettent plus ou moins volontairement.

Alors que la culture est confrontée aux mêmes menaces que l’environnement -appauvrissement, perte de la biodiversité, extinction- je crois à cette loi naturelle que « les grands ont un besoin vital des petits ». A côté des grands temples de la culture, il est impératif de continuer à cultiver nos zones refuges, nos espaces d’expérimentation, nos lieux informels de partage culturel : c’est grâce à eux que nous pouvons rater, essayer, recommencer, faire grandir les œuvres, nos vies et construire nos identités. Les structures de financements de la culture doivent avoir comme impératif la diversité des œuvres et leurs capacités à représenter l’ensemble des composantes de notre société.



Pour une politique publique de la culture

Tout cela n’est possible que grâce à une politique volontariste. Elle a notamment été menée dans les années 80, en érigeant un système favorisant la création, la production, la distribution, la diffusion des œuvres littéraires, cinématographiques, audiovisuelles. Elle a notamment élargi le champ culturel en dépassant le secteur de la culture savante ou des arts majeurs et en reconnaissant de nouvelles pratiques culturelles et de nouveaux arts comme les cultures urbaines qui aujourd’hui nourrissent par ailleurs ces fameux arts dits majeurs. Cette politique innovante menée par Jack Lang a permis d’obtenir le doublement des crédits du Ministère de la Culture, ou encore la création de la Fête de la Musique et la démocratisation de la culture à travers l’accès facilité aux musées et aux cinémas, pour ne citer que ces exemples. Bon nombre d’entre nous découvrions alors des univers jusque-là inaccessibles. C’est l’enjeu d’une politique culturelle équilibrée qui n’est pas uniquement fondée sur les grandes installations ou les spectacles, mais sur la participation des citoyens, à travers une politique de démocratie culturelle participative. Seule une politique publique de la culture peut être garante de cette vision démocratique !



Pour une culture inclusive

Comme le mentionnait Michel Guy [responsable culturel et homme politique français], l’enjeu est de permettre « une culture pour chacun » et non pas pour tous. J’insiste sur « le chacun » car il reflète la volonté de faire émerger une culture intime. Il n’y a pas de « culture unique » comme on pourrait parler de pensée unique, et c’est en cela que réside la richesse. Si la culture est universelle, elle ne doit pas être universaliste : dans ce domaine, il reste tant à faire pour décoloniser la culture.



Pour un sursaut culturel territorial

Est-il encore utile de rappeler que l’intolérance est fille de l’ignorance ? Si la cohésion sociale passe nécessairement par une action culturelle ambitieuse, il faut inciter les artistes, les jeunes et tout autre citoyen au dépassement de soi culturel, en favorisant l’innovation culturelle capable d’intégrer les plus fragiles d’entre nous. Le « choc esthétique » de Malraux n’est aujourd’hui plus suffisant, il faut encourager le peuple à un désir d’ouverture culturelle nourri par le brassage culturel, le multiculturalisme et les pratiques régionales, à l’image de l’essor du jazz né d’un peuple pourtant opprimé. La culture ne peut être une variable d’ajustement. Il ne peut y avoir de politique culturelle ambitieuse, si celle-ci se résume à une simple consommation de la culture.



Une culture de la paix, facteur de cohésion sociale

Une politique culturelle ambitieuse est celle qui parvient à rassembler à travers des évènements culturels publics sans valeur marchande. Il peut s’agir de concerts publics gratuits d’opéra ou de rap. Il peut s’agir également de laisser libre cours aux arts de la rue en tous genres, en favorisant les résidences artistiques dans les établissements scolaires ou encore dans des Ehpad, afin d’encourager le dialogue intergénérationnel et ainsi lutter contre l’isolement des personnes. La culture est un puissant outil capable de réduire les inégalités et de jouer un rôle majeur dans la prévention, la réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale. En France et ailleurs, les questions du handicap, de la diversité, de l’égalité, du multiculturalisme dans la culture demeure encore trop souvent taboues.

La cohésion sociale passe par une action culturelle puissante incluant l’éducation et les pratiques artistiques, qui permettent aux jeunes de milieux défavorisés issus de tout horizon, de zone urbaine ou rurale d’accéder à un univers dont ils sont exclus à priori, et qui fera d’eux des citoyens à part entière. L’école est une des clefs de succès de cette ambition. Elle doit permettre à chacun d’éveiller les consciences de demain à travers une culture toujours plus libératrice. Il appartient également à l’école d’anticiper et de former les jeunes aux emplois de demain, avec les industries numériques et les métiers de l’image en pleine expansion. Elle peut soutenir l’insertion des jeunes qui doit être une priorité pour nos Etats et les collectivités locales.

Il est inutile de revenir sur les bienfaits d’une politique culturelle émancipatrice dans nos sociétés modernes, notamment en matière de réussite scolaire et de lutte contre le décrochage, mais nous devons prendre conscience qu’il nous appartient à nous artistes et militants engagés de faire que la culture soit protégée et qu’elle protège avec elle les valeurs fondamentales de notre République et plus globalement de nos sociétés : tolérance, respect, combat contre les inégalités.

La culture porte ces valeurs. Je pense à Goya ou à Picasso face à la dictature espagnole, à Voltaire, à Hugo, à Zola, à Césaire ou encore Joan Baez, Nina Simone, Johnny Clegg qui ont tant œuvré contre l’injustice et l’asservissement du peuple. Je pense également à tous ces artistes contemporains qui se sont érigés contre les violences faites aux femmes, ou contre toutes les formes d’oppressions ou d’injustices modernes. François Mitterrand disait que l’artiste n’est pas seulement un constructeur de formes, il est aussi un témoin. En le citant, je pense au festival international du photojournalisme Visa pour l’Image. A travers ce type d’événement culturel, les photographes, parfois au péril de leur vie, participent à la prise de conscience collective sur de multiples sujets, à travers leurs œuvres photographiques.

À l’instar de l’amour, la culture n’a nullement besoin de visas pour franchir les frontières. La culture façonne nos schémas de pensées, notre perception du monde, de l’autre, à l’image de la publicité qui donne parfois les tendances.

Si j’entends l’alerte du philosophe George Steiner : « la culture ne rend pas plus humain... [et] qu’elle peut même rendre insensible à la misère de l’Homme », il nous faut aujourd’hui miser résolument sur la culture pour former des individus plus soucieux d’humanité. Evitons l’entre-soi, renforçons l’impératif démocratique des politiques publiques culturelles, de la diversité des œuvres, de la représentativité, cultivons des espaces dédiés à l’apprentissage du goût, de la différence et de la curiosité. Être cultivé aujourd’hui, c’est porter en soi à sa mort bien d’autres mondes que ceux de sa naissance, c’est rechercher, revendiquer la différence, la dissemblance. Être cultivé aujourd’hui, c’est être tissé, métissé par la culture des autres, la culture de l’autre. 

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