Musique
Jean-Noël Tronc, directeur général de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique, porte le flambeau des créateurs et appelle à un « plan Marshall » pour sauver le monde de la culture.

Pendant le confinement, il venait au moins deux fois par semaine au siège de la Sacem, près du pont de Neuilly, en bord de Seine. « Heureusement que j’ai été PDG de Canal+ Overseas et que nos locaux se trouvaient à Boulogne-Billancourt, en zone inondable, dit-il. En arrivant en 2012, j’ai mis en place un plan de continuité de l’activité qui a été opérationnel en 2015. On avait déménagé les serveurs informatiques en cas de crue centennale. Grâce à cela, en trois jours, les quatre cinquièmes de nos salariés étaient équipés en télétravail. » La maison est ainsi restée accessible, malgré des locaux fermés, et a pu répartir ses droits le 13 avril. Le 6 juillet, elle assure sa nouvelle distribution de revenus. Sans fausse note.

Infatigable

L’homme a vite pris la mesure de l’urgence. De 1997 à 2002, à Matignon, sous Lionel Jospin, il est conseiller pour les technologies et la société de l’information quand survient la tempête de 1999. « On peut être content de vivre dans un État organisé et structuré, je sais que dans une crise inédite il ne faut pas trop jeter la pierre aux gens. » Mais c’est surtout son expérience de patron à Orange et à Canal+, dans les années 2000, qui lui a été utile pour « garder le cap en pleine tempête ». La Sacem a mis en place un fonds de secours de 6 millions d’euros pour plus de 2000 dossiers d’urgence (les aides allant de 350 à 5000 euros). Elle a été la première à mettre en place une rémunération sur les livestreams, alors que les petits concerts confinés se sont imposés. Et Jean-Noël Tronc est l’inventeur du hashtag #scenefrancaise qui vise à programmer davantage d’artistes francophones sur les radios. « Si l’on diffuse plus de made in France, ça limite la casse », constate-t-il.

Pressé, infatigable, concentrant les pouvoirs en interne et très influent au niveau européen grâce à un carnet d’adresses très étoffé, Jean-Noël Tronc est parfois perçu comme un politique. « Il a fait un travail exceptionnel sur la directive droits d’auteurs, relève Hervé Rony, directeur général de la Société civile des auteurs multimédias, qui le trouve « d’une extraordinaire énergie qui confine au workalcoholisme ». Il lui en faudra pour faire face à une crise d’une ampleur inédite pour l’économie de la culture qui pourrait perdre 30 milliards d’euros en 2020, d’après EY. Artisan de France créative et auteur de Et si on recommençait par la culture (Seuil 2019), le dirigeant attend un « plan Marshall » pour ce secteur peu délocalisable, où les moins de 30 ans sont plus nombreux qu’ailleurs. « Que fait-on face à une casse sans précédent ? Comme les droits d’auteurs sont toujours payés avec un décalage, c’est la double lame, note-t-il.  S’il n’y a pas de mesures solides d’accompagnement et de compensation des pertes et, plus encore, de soutien à la reconstruction, on va vers un désastre culturel dont on va payer le prix pendant des années. »

Gros moyens

Premiers à être fermés, les concerts et les festivals seront les derniers à rouvrir.  Et plus du tiers des revenus de la filière en droits d’auteurs viennent de la diffusion dans les lieux publics (boutiques, bars...). « Notre hypothèse est une perte de revenus globale de près de 25% sur un peu moins de 600 millions répartis », note-t-il. La Sacem est passée en dix ans de 1 à 20% de ses recettes de droits d’auteurs issues du numérique. Beaucoup mais insuffisant pour permettre au streaming de prendre la relève. L’étendue du désastre apparaîtra en 2021. D’où l’urgence de hâter la transposition en droit français des directives droits d’auteurs, SMA ou câble et satellite. Et, face à l’accélération du streaming, d’adapter le cadre réglementaire. « Il faut une régulation équitable sur les plateformes, qui se transforment en médias à travers leurs playlists et convergent vers la musique après l’audiovisuel. Netflix est un brise-glace. Amazon et Disney, qui arrivent derrière, sont des porte-avions nucléaires, qui ont fait de la lutte contre les droits d’auteur une quasi-idéologie. »

La Sacem, qui compte 1300 salariés, est connue pour avoir de gros moyens. Elle l’a prouvé en mobilisant un plan de 40 millions d’euros d’aides – des avances exceptionnelles remboursables en cinq ans et prélevées sur sa trésorerie. « On s’est débrouillé tout seul, sans un euro d’argent public, souligne le patron-gérant. Et on n’a toujours pas le formulaire du ministère du Travail alors que le chef de l’État a fait en sorte mi-avril que le fonds de soutien aux TPE soit étendu aux indépendants et aux auteurs, qui ne sont ni salariés ni intermittents du spectacle. » Frappé par le « lent affaiblissement du ministère de la Culture » sur vingt ans, Jean-Noël Tronc évite d’affaiblir son hôte, Franck Riester. Politique ? Assurément.

Parcours

1993. Diplomé de l'Essec et de Sciences Po, consultant à Accenture.

1995. Commissariat général au plan, chargé de mission.

1997. conseiller auprès du Premier ministre.

2002. Orange, directeur de la stratégie et de la marque.

2005. Orange Réunion, président.

2006. Orange France, directeur général.

2008. Canal+ Overseas, PDG.

2011. CNC, président de la commission des aides sélectives.

2012. Sacem, directeur général-gérant.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.