Économie
Huit ans après Arnaud Montebourg posant en marinière à la une du Parisien Magazine, le «fabriqué en France» revient en force. Les professionnels constatent une attente des Français après le confinement, une réémergence du label et une appétence pour de nouveaux territoires de communication. Reste le plus difficile : relocaliser l'industrie.

Cela devrait être au cœur du discours d’avenir d’Emmanuel Macron après les élections municipales : comment réussir à relocaliser nos industries après le Covid-19 ? « C’est une tendance lourde et une rupture totale par rapport à il y a deux ans », observe Gaël Sliman, président d’Odoxa, dont un sondage mené avec Dentsu Consulting les 3 et 4 juin montre que « 82% des Français se disent prêts à payer plus cher leurs produits et services pour aider à une relocalisation de nos industries en France. » Et cela dépasse de loin la simple question de la souveraineté sanitaire et la volonté de ne plus dépendre de la globalisation pour disposer de masques, de respirateurs ou de médicaments. « Alors même qu’ils ne sont pas prêts à accepter des baisses de salaires en raison de la crise, poursuit Gaël Sliman, les Français ne placent pas le pouvoir d’achat avant le “produire local”. Ils veulent un grand mouvement de relocalisation et, chose rare, cela fait consensus puisqu’on le constate chez les trois quarts des sympathisants de tous les partis. »

Insourcing européen

Du côté des agences médias, on se prépare donc à un bouleversement. « Il va y avoir une prise de conscience de la nécessité de valoriser le made in France [MIF], analyse Thierry Jadot, président de Dentsu Aegis Network France, cela correspond à la volonté de se réapproprier nos espaces, nos quartiers, nos boutiques, tout ce qui est fait à proximité ». Pour lui, cela dépasse le cadre hexagonal car les entreprises qui ont le plus délocalisé se posent la question d’un « insourcing européen » [internalisation]. Des firmes dans l’automobile ou l’électroménager, qui ont souffert du manque de composants venus d’Asie, regardent vers l’Europe centrale. Thierry Jadot estime que « le numérique et la robotisation rendent la délocalisation lointaine moins intéressante », comme en atteste Adidas dont les robots produisent des baskets en Allemagne. Mais encore faut-il être prêt à assumer les coûts écologiques de la relocalisation.

« Le made in France n'est pas nouveau, mais les communications des marques s'attaquent au sujet avec un prisme très humain, en mettant davantage en avant les acteurs », constate Laurent Broca, CEO d'Havas Media. Même des marques étrangères comme Toyota ou Shiseido rappellent qu’elles sont fabriquées en France. Les agences iront-elles jusqu’à mettre en avant des médias nationaux ? « Pour le moment, dans nos recommandations média, ou de partenaires, la nationalité n'est pas un indicateur clé. Mais chez Havas nous le mentionnons toujours auprès de nos clients, pour sensibiliser et mettre en avant des start-up ou des solutions françaises. » Son homologue à Dentsu croit que « l’exemplarité va peser de plus en plus lourd ». Le fait de payer des impôts pour financer des hôpitaux et des écoles va entrer en ligne de compte.

Leboncoin, qui a lancé le 7 juin une campagne avec deux spots TV montrant la famille « Le Bon » cherchant une location de vacances en France, ne manque jamais de le rappeler : « Nos concitoyens poussent à un patriotisme numérique qui passe par le fait de payer ses impôts en France, souligne son CEO Antoine Jouteau, il faut redonner le pouvoir au local, il y a l’envie après le confinement d’un retour à l’espace, de mieux connaître son pays, de mieux adapter son habitat, de mieux consommer avec des objets venant de moins loin ou des occasions originaires de France ». Le groupe qui vient de supprimer sa commission hôtelière de 20% jusqu’à la fin 2020 pour concurrencer Airbnb, souligne que l’utilisateur change ses habitudes et veut être en mesure d’arbitrer ses choix. Leboncoin soutient d’ailleurs VVF Villages et Atout France qui s’engage dans la campagne #cetEtéJeVisitelaFrance avec 33 influenceurs et mille « nano-influenceurs ».

Autosuffisance et qualité supérieure

Depuis le déconfinement, le site internet du Collectif des boutiques du made in France, continue aussi de diffuser en boucle le message : « C’est maintenant qu’il faut consommer français, c’est maintenant qu’il faut consommer local ! » Huit ans après Arnaud Montebourg en marinière, le « fait en France » repart en campagne sur fond de crise, de patriotisme et d’écologie. « Depuis le confinement, les marques made in France se sont multipliées. Sur les trente que nous référençons, 70% ont émergé en 2020 », témoigne Mathieu Zerah cofondateur de la place de marché Yaka Français, qui promeut ces marques, tout comme Marques-de-france.fr ou plus récemment l’agence Big Success et son offre de conseil médias Sacrés Français. Pour Sacha Lacroix, directeur général de Rosapark, ce nouveau « MIF » « renvoie à la question de l’autosuffisance, notamment dans la santé, au sentiment de qualité supérieure perçue par les circuits courts et à la solidarité ». Si le made in France est déjà bien représenté par le luxe et la gastronomie, celui dont on parle ici est d’un genre nouveau. Autant marketé qu’autocentré : Le Slip français, le Chocolat des Français, Garçon Français, L’Appartement Français, L’Atelier Français, Mademoiselle France, Men in France, le Tricolore et même, Trésors Publics. Des marques qui vendent de la qualité certes, mais surtout du cool à prix premium. Leur argumentaire dépend beaucoup du triptyque bleu-blanc-rouge mais leur horizon de consommation se limite encore aux bobos. « Tout le monde se dit que ce serait bien de consommer local et de favoriser l’artisanat mais quand il s’agit de faire un arbitrage économique, rappelons quand même qu’on a survécu au confinement avec Netflix et Amazon », pointe le planneur indépendant Nicolas Chemla. Pour lui, le luxe a une carte à jouer en relocalisant sa production et en allant même jusqu’à avoir des impôts made in France.

Pour Fabienne Delahaye, présidente et fondatrice du MIF Expo, relocaliser semble un vœu pieux. Mais elle milite pour « que les grands groupes fassent appel aux PME et ETI françaises lors des appels d’offres comme en Allemagne et en Italie » et déplore qu’« en France, on paye mieux le service marketing que les ouvriers », qui sont pourtant les artisans de ce made in France. Pendant longtemps, pour acheter une voiture fabriquée en France, il fallait choisir la Toyota Yaris. Si PSA réalise 36% de sa production mondiale en France, cela n’empêche pas le nippon de surfer sur cette vague, qui n’est pas que de la publicité : il vient d’annoncer 300 millions d’euros supplémentaires pour son site d’Onnaing (Nord) qui emploiera à terme 4500 personnes. Il a même créé son « label » Origine France Factory avec l’agence Horyzon. À l’autre bout du spectre, Bugatti continue de produire la voiture la plus rapide du monde à Molsheim en Alsace. Et pour le 110e anniversaire de la marque en 2019, un modèle spécial a été créé, arborant le tricolore.

Impression de prospectus solidaires

D’un autre côté, des initiatives très concrètes émergent, à l’image de Système U. La coopérative de commerçants a entrepris de relocaliser la production de ses prospectus. « Sur les 730 millions que nous distribuons par an, la production est répartie entre l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la France, pour des raisons de volume. Nous avons choisi de tout réintégrer sur des imprimeries françaises », indique Dominique Schelcher, le patron de Système U. Plus de la moitié était produite à l’étranger. Le président n’hésite pas à parler de « patriotisme économique » pour justifier la décision prise à l’unanimité du conseil représentant les indépendants de l’enseigne. Selon lui, « une crise économique terrible arrivera dans les mois qui viennent, avec une France coupée en deux, entre ceux qui ont épargné pendant le confinement, et ceux qui n’ont pas cette chance. Déjà l’aide alimentaire est passée de 5,5 millions de personnes qui en faisaient la demande, à 8 millions entre décembre 2019 et mai 2020. Les imprimeries sont durement touchées par la crise de la presse. Nous avons pris la décision de les aider », indique-t-il. Déjà une, menacée de fermeture, a salué cette décision, avec 60 emplois à la clé. Coût total de l’opération, 500 000 euros. Un montant qui sera reporté pour chaque magasin indépendant du groupement. Dominique Schelcher appelle d’autres acteurs à prendre ce genre de décisions.

Soutien des régies

La tendance s’illustre aussi du côté des médias, pour soutenir le tourisme bleu-blanc-rouge, qui devrait rencontrer un certain succès en cet été post-Covid. Depuis la mi-mai, TF1 et France 2 proposent dans leurs JT de nouvelles rubriques pour faire découvrir nos trésors touristiques. Le 13h de TF1 a créé le rendez-vous Nos vacances en France. Objectif, inciter les Français à partir en vacances dans l’Hexagone. Plusieurs régies ont aussi conçu des dispositifs publicitaires à destination des professionnels du tourisme français. C’est le cas de la régie du Figaro, qui, avec l’offre Travel.Figaro, propose aux acteurs du tourisme de reprendre la parole en print comme en digital. Même chose du côté de Gamned (groupe TF1), qui a conçu un dispositif programmatique pour accompagner la reprise économique du secteur du voyage et du tourisme en France.

De son côté, la régie de France Télévisions a créé l’offre Destination France, déjà choisie par 44 offices du tourisme, parmi les rares organismes autorisés à communiquer sur les antennes publiques après 20 heures. Un dispositif spécial a également été conçu pour la chaîne hôtelière française B&B Hôtels, diffusé sur les antennes de France 2, France 3 et France 5 les 20 et 21 juin, juste avant 20h. « Nous n’avons pas attendu la crise du Covid-19 pour nous intéresser au made in France. C’est un signal faible que nous avons identifié dès mars 2018, avec la commercialisation d’une cible made in France, qui permet de parler aux consommateurs qui privilégient les marques françaises », rappelle Nathalie Dinis Clemenceau, directrice générale adjointe commerce chez FranceTV Publicité.

La régie compte bien ne pas s’arrêter là : elle prépare pour le 14 juillet une nouvelle offre baptisée « Made in France », qui regroupera dans un même écran publicitaire, sur France 2 et France 3, des marques qui fabriquent leurs produits sur le territoire national. Ce dispositif pourrait aussi se décliner à l’occasion du Tour de France, avec des écrans contextualisés qui mettront en avant la production locale. Enfin, France Télévisions pourrait lancer en 2021 sur les antennes régionales de France 3 un programme court, qui sera sponsorisé, avec pour objectif également de valoriser le made in France. On n’a pas fini d’en entendre parler…

France Télévisions valorise la presse française

France TV a profité du confinement pour mettre en avant la presse écrite sur ses antennes. Chaque soir dans le JT de 20 heures, un directeur de la rédaction ou rédacteur en chef de la presse régionale, nationale ou magazine, était interrogé sur le sujet qui faisait la une ce jour-là ainsi que sur le rôle de son journal dans le contexte du Covid-19. « Tout ce qui permettra de préserver l’investissement privé dans les médias locaux est une bonne politique », indiquait mi-mai, à Stratégies, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions.







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