Dossier Back to school
Que ce soit en télévision, en presse ou sur le digital, parler aux enfants ne s’improvise pas. De Bayard à TF1 en passant par Disney, les acteurs spécialisés esquissent chacun leur réponse, alors que la crise a renforcé les besoins en matière de contenus éducatifs.

Fin août, tandis que les enfants préparent leurs cartables, les médias lancent leur grille de rentrée. Or de l’eau a coulé sous les ponts depuis septembre 2020, et à plus forte raison ces 18 derniers mois. La pandémie a en effet largement modifié la consommation des médias, non seulement des écrans mais aussi la lecture. Alors que les enfants ne pouvaient plus se rendre à l’école ou le faisaient à distance via l’ordinateur familial, les contenus à teneur éducative ont émergé, en témoigne le succès rencontré par la plateforme Lumni. « Nous avons enregistré des audiences et des ventes en forte explosion », souligne de son côté Nathalie Becht, directrice de Bayard Jeunesse.

Mais si les usages ont bougé, certains fondamentaux demeurent, comme la nécessité de développer l’éducation aux médias. Pour les plus jeunes utilisateurs, les défis sont nombreux : apprendre à distinguer information et publicité, comprendre la logique des algorithmes qui peuvent biaiser les résultats de recherche, mieux détecter les fake news… En 2020, le dispositif Nation apprenante a ainsi été lancé pour mettre à disposition des contenus qualitatifs en lien avec les programmes scolaires. Le Clemi (Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information) a pour sa part multiplié les ateliers d'éducation aux médias à distance et renforcé la formation des enseignants avec les outils numériques existants. « Dans le cadre du dispositif Déclic’Critique par exemple, nous partons des pratiques des élèves, nous les interrogeons sur ce qu’ils pensent des images et les aidons à les mettre à distance par des comparaisons », illustre Serge Barbet, directeur délégué du Clemi, qui planche aussi sur le projet européen De Facto, remporté fin mai avec l’AFP et Sciences Po, pour lutter contre la désinformation.

Plus globalement, les supports pour parler aux enfants restent nombreux, des magazines de Bayard ou de Fleurus Presse aux chaînes jeunesse de France Télévisions ou de Viacom, sans oublier les plateformes SVOD de TF1. Face à l'évolution des usages, à chacun sa stratégie pour s'imposer dans le cœur des bambins.

  • Presse

Redéfinissant la place des écrans dans le quotidien des enfants, les confinements ont contribué à accélérer les stratégies numériques des spécialistes de la presse jeunesse, à commencer par Bayard Jeunesse. « Les compétences à acquérir ne changent pas. Ce qui a été bouleversé, c’est qu’il a fallu occuper les enfants avec intelligence, appuie Nathalie Becht. Il y a eu une créativité plus forte sur le numérique. » Le groupe a ainsi multiplié les ateliers créatifs, par exemple avec l’auteur Hervé Tullet, les lectures, faisant lire à Murielle Szac son feuilleton sur les héros grecs Artémis et Hermès, ou encore les lives. Cette créativité est toujours de mise aujourd’hui même si les contenus produits sont moins fréquents. Une table ronde autour de la série Les Petits Philosophes est par exemple prévue début septembre tandis qu'un événement virtuel avec la Philharmonie des enfants sera organisé en octobre.

« Le numérique a pris ses lettres de noblesse » auprès des parents, remarque Nathalie Becht. Le dilemme habituel, entre conscience du potentiel du digital et peur de la dépendance, a été résolu par le fait que le numérique a « apporté du lien », sans se faire d’ailleurs au détriment du papier. « Dès 8 ans, les enfants sont intéressés par le digital mais les parents nous considèrent comme des remparts contre les écrans. Nous conseillons des podcasts, des applis, des sites internet, des sites ludiques… », éclaire Juliette Salin, directrice générale médias chez Fleurus Presse (groupe Unique Heritage Media).

Et le virtuel ne remplace pas le présentiel. Chez Bayard, la stratégie événementielle, interrompue par la crise, peut désormais reprendre. Le groupe propose des spectacles, des colonies de vacances et même des voyages en famille.

  • Télévision

En cette rentrée, le paysage de la TV jeunesse ne perdra finalement pas l’un de ses traditionnels acteurs. France 4, dont l'arrêt avait été repoussé d'un an, a finalement été pérennisée, comme annoncé en mai dernier. Le marché devra donc continuer de faire avec ce concurrent de service public. Du côté des chaînes payantes, Nickelodeon (groupe Viacom) peaufine une stratégie qui englobe le petit écran dans un panorama plus large. Elle souhaite en effet créer un écosystème global incluant TV et digital, en s’appuyant notamment sur la plateforme gratuite Pluto TV, propriété elle aussi de ViacomCBS, lancée en France début 2021.

« L’idée est de mettre en place un écosystème vertueux sans épuiser un canal aux dépens ou au profit de l’autre. La TV demeure forte, l’écosystème digital est développé en complémentarité », explique Jean-Marc Dupire, vice-président, directeur des contenus et des chaînes Divertissement chez ViacomCBS France. Accessible gratuitement moyennant la diffusion de publicité, la plateforme Pluto TV propose à ce jour sept chaînes jeunesse sur plus d’une cinquantaine de chaînes multithématiques (films, séries…), déployant une offre conçue comme complémentaire du petit écran, avec par exemple une chaîne Bob L’Eponge, pas accessible en télévision classique. Deux à trois autres doivent être lancées d’ici à fin 2021 ainsi que des chaînes événementielles.

Second pilier de la stratégie de Nickelodeon sur le digital, la diffusion gratuite d'extraits sur YouTube, via la chaîne Nickelodeon France, qui comptabilise plus de 2,1 millions d’abonnés. C'est une façon de toucher un autre public, avec l’idée aussi de donner à tous l’envie d’aller plus loin et de passer aux contenus payants proposés sur les autres canaux. « On espère que l’écosystème sera dans les deux sens », ajoute Jean-Marc Dupire. Il faut dire que la concurrence est rude avec notamment Disney+ et Disney Channel.

Côté contenus, la chaîne jeunesse payante de Viacom cherche à se différencier par ses grandes marques, qu'elle décline en long format. La série phénomène Miraculous a par exemple fait l’objet de deux longs métrages, l'un se tenant à New York et l’autre à Shanghai, respectivement diffusés en septembre 2020 et en mai 2021. En parallèle, une saison 5 était en juin en cours de production.

Chez Gulli, champion de la télévision jeunesse, des initiatives sont prises pour renforcer le leardership de la chaîne, qui peuvent sortir de l’univers télévisuel. Par exemple, en 2021, celle-ci s’est rapprochée de l’association Coup de Pouce autour d’un prix visant à promouvoir l’accès à la culture écrite pour les élèves de CP et à transmettre le goût de la lecture.

  • Plateformes

À côté de l'offre jeunesse du groupe TF1, la plateforme par abonnement Tfou Max revendique plus d’un million d’abonnés, 120 à 130 licences actives et 5 000 à 5 500 contenus disponibles. « Selon leur âge, on parle différemment aux enfants, détaille Sylvain Hermann, chef de projet au sein de la plateforme, dont le public a entre 3 et 8 ans en moyenne. La meilleure façon est de parler aux parents, à travers des contenus qu’ils vont regarder avec leurs enfants ou bien qui constituent plus que du divertissement. » L’idée est ainsi de réconcilier les deux publics tout en déculpabilisant les parents par rapport à l’usage des écrans et de « donner du sens ».

Et si le socle reste l’amusement, Tfou Max n’échappe pas à une tendance de fond et entend bien, au second semestre 2021, renforcer la partie ludo-éducative de son catalogue. C’est d’ailleurs dans ce cadre que s’inscrit un accord signé avec Bayard au premier trimestre pour la mise en ligne de contenus spécifiques, dont Petit Ours Brun, qui permet d’appréhender les choses du quotidien tout en rassurant les parents avec sa bouille connue de toutes les générations. Au total, trois contenus seront disponibles en septembre et d’autres suivront. Autre chantier prévu pour la même période, remettre en avant les fonctionnalités dédiées aux parents, comme le contrôle du visionnage. Une réponse à l’enjeu de sécurité qui touche toutes les plateformes et qui les pousse à déployer un certain nombre de garde-fous comme la définition du temps d’écran ou le verrouillage parental. « Les améliorations technologiques offrent de nombreuses possibilités aux fabricants pour leurs clients », expose Côme Redon, directeur commercial de Riplee, fournisseur d’innovations digitales pour les médias dont TF1.

Ce sujet de la sécurité des contenus est crucial pour tous les acteurs de la vidéo jeunesse. YouTube Kids, lancé il y a cinq ans en France, a essuyé par le passé de vives critiques à ce sujet, portant notamment sur l’accès possible via ses outils à des contenus inappropriés pour les plus jeunes. En 2019, le géant américain de la vidéo avait lancé dans l’Hexagone un site web annoncé comme mieux sécurisé grâce, entre autres, à des filtres ad hoc. Aujourd’hui, l’accès au site est contrôlé et les parents sont d’emblée invités à réaliser un paramétrage. Il est possible par exemple de choisir les contenus à visualiser, de limiter le temps d’utilisation ou de bloquer des vidéos. Quant à Facebook, les initiatives menées pour créer une version d’Instagram pour les moins de 13 ans, arrivées sur la scène publique en mars dernier, sont elles aussi contestées. Pas de quoi forcément stopper Facebook, qui peine à fidéliser les plus jeunes et qui a déjà lancé dans cette optique une version enfants de Messenger.

  • Vocal

Si les enceintes connectées ouvrent de nouvelles perspectives aux médias pour mettre en valeur leurs contenus, c’est d’autant plus vrai dans l’univers de la jeunesse. Car pour les enfants, rien de plus simple que d’interagir dès le plus jeune âge avec les assistants vocaux, dont l’usage apparaît presque inné. Pour autant, leur utilisation sans danger ne va pas de soi : il faut éviter que les plus jeunes ne puissent lancer n’importe quels contenus ou réaliser des achats avec la carte bancaire de leurs parents. D’où une nécessaire série de garde-fous reposant sur la reconnaissance vocale.

Certains médias spécialisés s’aventurent déjà sur ce nouveau support, à l’image de Fleurus Presse, qui a récemment noué un partenariat avec la société Yoto. Cet acteur propose un player pour enfants où il est possible de glisser des cartes pour lancer une histoire - impossible dans ces conditions d’accéder des contenus non adaptés pour les petits. Le magazine Mille et une histoires a ainsi commencé à se décliner sur ce support, lequel était déjà accessible en audio via un QR code apposé sur les couvertures, qui se flashe afin de déclencher une lecture.

Mais le plus gros projet en la matière est celui d’enceinte connectée, commun à Bayard Jeunesse, Milan Jeunesse et Radio France, soutenus par la Caisse des dépôts. Annoncée pour octobre, cette enceinte embarquera au total 200 contenus de ces trois sources, avant que d’autres puissent être chargés via une application. Le modèle sera payant et les enfants ne seront pas exposés à la publicité.

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