Ils ont fait Stratégies
Vincent-Xavier Morvan, ex-rédacteur en chef adjoint de Stratégies, journaliste pigiste.

Je suis resté une dizaine d’années à la rédaction de Stratégies, comme simple rédacteur puis rédacteur en chef adjoint. Et des directeurs de la rédaction, j’en ai vu passer quelques-uns… Mais celui qui m’a le plus marqué m’a laissé un souvenir impérissable : ses convocations dans son bureau quand il avait reçu le papier que vous vous étiez acharné à fignoler depuis le matin, sûr de votre coup au moment d’appuyer sur le bouton «envoi». Tout y était, le titre, l’accroche, les interlocuteurs qu’il fallait pour éclairer votre propos…

C’est du moins ce que vous pensiez, car c’était sans compter sur le chef en question, François Kermoal, pour ne pas le nommer. Une fois traversé l’open space où nous évoluions, nous, les simples rédacteurs, dans un stimulant brouhaha, puis franchi l’étroit couloir, vous débarquiez alors, armé de tout votre courage, dans le bureau cosy du directeur. Avec ses faux airs d’Erich Von Stroheim, le garçon vous accueillait toujours aimablement, vous invitant à vous asseoir en face de lui avant de se tourner vers son ordinateur et, vous vous en doutiez, vers le papier que vous veniez de lui adresser.

Il avait le chic, à chaque fois, de commencer par un compliment, citant les passages intéressants, notant que le sujet était compris ou bien maîtrisé. La première fois, vous vous mépreniez. Mais oui, il m’a fait venir pour me complimenter ! Vous déchantiez très vite. Ce n’était qu’une ruse pour pointer alors tout ce qui n’allait pas, et qu’il allait falloir refaire, et plus vite que ça… En général, c’était l’accroche qui ne lui convenait pas. Trop plate, trop redondante avec le chapeau (le petit paragraphe entre le titre et le papier lui-même), pas assez, et c’était son expression favorite, «à l’ancienne». Mais bon sang, qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir signifier, «à l’ancienne» ?

Je ne sais pas si j’ai, bien des années plus tard, la réponse à la question… Mais cette façon indéfinissable d’accrocher le lecteur, de l’embarquer en mettant en scène un personnage ou en démarrant par une aspérité particulière de l’histoire, c’est sans doute cela que ça voulait dire. Je lui en suis, pour ma part, éternellement reconnaissant. Même si, sur le coup, mon orgueil a pu en souffrir. Je me souviens enfin d’une scène à la cantine où nous vantions avec d’autres collègues les qualités que nous trouvions au journal Libération. Il avait attendu que nous terminions avant de nous balancer, provoquant notre sidération : «Oui, mais il n’y a pas beaucoup d’infos». Ça va comme chute, François ?

La couverture de Stratégies dont je me souviens

La mort de Marcel Bleustein-Blanchet

Le 11 avril 1996 disparaît un monstre sacré de la publicité, Marcel Bleustein-Blanchet. Je ne me souviens plus par quel hasard c’est à moi que sa nécrologie a été confiée, alors que bien d’autres «plumes» de la rédaction auraient pu faire l’affaire. Je ne sais pas si j’ai trouvé les mots justes pour évoquer la vie du fondateur de Publicis, mais j’ai toujours en mémoire le message que m’avait fait passer sa famille. Elle avait apprécié le tact de mon portrait. C’était déjà ça.

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