Années 2000

1. La révolution numérique

La dernière décennie est celle du grand basculement dû à la révolution d'Internet. Le siècle a commencé avec la bulle numérique, l'époque des «dot-coms». En quelques semaines, nous avions créé aux États-Unis, avec la marionnette de Pets.com, un emblème publicitaire aussi connu que le Bibendum de Michelin.
La déconnexion entre l'offre et la demande a provoqué dans un premier temps une survalorisation de l'économie Internet. Et puis, très rapidement, celle-ci s'est redéployée, faisant des Amazon, Ebay, Google, Facebook et Groupon les stars de la décennie. Sans oublier Apple, qui a révolutionné cinq industries.
Notre métier s'est vu bouleverser. Les «pure players», les AQKA, Razorfish, Digitas, Duke ont occupé le devant de la scène. Les agences traditionnelles ont dû se réformer de fond en comble: en six ou sept ans, près de la moitié de leurs collaborateurs auront changé.
La mutation est douloureuse. Grandes et petites agences se veulent désormais spécialistes en stratégies dans les réseaux sociaux, en management de communautés, en approches nouvelles de traitements de données, en création de contenus, en parcours d'e-commerce, et j'en passe…
En fait, nous assistons à la seconde révolution créative, après celle des années 1960-1970, si bien décrite dans la série Mad Men. Sauf que la révolution actuelle est bien plus profonde. Car elle restructure tous les modèles économiques.

2. Le problème des rémunérations
Les dix dernières années ont vu l'adoption par la majorité des annonceurs de systèmes de rémunération extrêmement pénalisants pour la profession. L'abandon de la commission les a conduits à choisir le plus souvent le système du «cost plus», fondé sur une estimation de la charge de travail et un décompte d'heures. La profession s'est profondément appauvrie…
Au même moment, les annonceurs attendent bien plus de leurs agences. Procter & Gamble, par exemple, a créé le système des «Lead Agencies», demandant à ces dernières d'assurer l'intégration de toutes les disciplines. Simultanément, les agences doivent se restructurer pour prendre avantage de la révolution numérique.
Ces transformations sont très coûteuses. Certains annonceurs américains l'ont compris, de Coca-Cola à Procter & Gamble. Ces derniers ont récemment amélioré le mode de rémunération de leurs agences, en optant pour des systèmes variables le plus souvent corrélés aux évolutions des ventes.
Il convient de remettre ces constats en perspective, et de souligner les très grands progrès de productivité des agences. Je ne dispose que de statistiques américaines. Ces dernières décennies, la productivité industrielle aux États-Unis a progressé en moyenne de 2% par an. Ce qui veut dire, en monnaie constante, une réduction des coûts sur vingt ans de 34%. Face à cela, sur la même période, le coût moyen d'un projet d'agence a diminué, selon la société d'études Farmer, de 40%.
Le parallèle est instructif, les agences n'ont pas à rougir de la comparaison avec les entreprises industrielles. Elles sont sans conteste bien gérées. Et ceci d'autant plus que, dans le même temps, la production créative d'une agence américaine a augmenté de presque 65%. Des honoraires en forte baisse et un volume de travail en croissance accélérée, l'effet de ciseau est indéniable.

 

3. L'obligation de créativité

En 2010, le Festival de la publicité à Cannes accueillit plus de représentants de Procter & Gamble que de TBWA. Les économies que la crise a imposées aux agences n'expliquent pas tout. L'anecdote est révélatrice d'une prise de conscience aussi nette qu'inattendue.
Beaucoup d'annonceurs avaient fondé leur communication sur la fréquence de diffusion. Les message se voyaient répétés jour après jour sans souci d'originalité. Cette période est révolue. Nos contemporains sont immunisés et Internet leur ouvre toutes les échappatoires possibles. Tout message qui n'est pas un minimum divertissant se trouve ignoré, zappé.
La créativité qui n'était qu'une option jugée aléatoire par les grands annonceurs jusqu'aux alentours de l'an 2000 est vécue désormais comme une obligation. Elle prend simplement des formes nouvelles, à l'exemple des Grand Prix décernés à Cannes pour HBO, Best Buy ou Google.
Quarante ans se sont écoulés. J'ai passé ces décennies à faire des présentations soulignant que créativité et efficacité allaient de pair, que la créativité était un facteur de productivité inégalable. Ce n'est plus la peine de l'expliquer. Tout le monde, ou presque, semble désormais convaincu.

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