Evénementiel
Le marché poursuit sa mutation sur tous les fronts : offre stratégique, méthode de collaboration avec les annonceurs, digitalisation, nouvelles sources de développement et innovation… Immersion au cœur d’une profession en pleine mutation.

Bonne nouvelle pour l'événementiel. Le syndrome du poseur de moquette a fait son temps. L’émergence du brand content, l’avènement du digital et la recherche d’expériences à vivre et à partager par les différents publics visés y sont probablement pour beaucoup. « Chez l’annonceur, nous sommes enfin assis autour de la table avec un événement au centre des plateformes de marque» se réjouit Thomas Deloubrière, directeur associé de l’agence Double 2.

Une reconnaissance qui, après quelques années en dents de scie, coïncide avec le retour de budgets événementiels stables. Pour une minorité néanmoins, la prudence reste de mise: «Attention à un mouvement d’accélération artificiel, davantage dicté par le facteur des présidentielles que par la réalité économique», avertit Franck Louvrier, président de Publicis Events.

D’autres, comme le président de l’agence Auditoire Cyril Giorgini, s’inquiètent d’une France désertée par les grands annonceurs au profit de nouvelles régions du globe: «Quand une marque de voitures investit huit millions d’euros pour son lancement en Chine contre seulement 200 000 en France, le différentiel de population ne justifie pas un rapport de 40. La France est en perte d’attractivité mondiale.»

D’autant que le marché s’équilibre aujourd’hui entre petits et grands acteurs, indépendants et agences intégrées. Pour les acteurs traditionnels, une nouvelle concurrence s’annonce en effet du côté de petites structures type Super Héraut, dcontract ou La Fédération. Souvent exclues des référencements ou des appels d’offres pour des raisons de taille et de chiffre d’affaires, elles parviennent pourtant à se développer auprès d’annonceurs moins normés ou en quête de partenaires moins coûteux. Plus agiles, elles montent leurs dossiers en capitalisant sur un écosystème de partenaires. « Chez nous les free-lance ne sont pas une variable d’ajustement, mais une vraie richesse», commente Alexia de Santis, directrice associée pour La Fédération. Elle admet aussi que le critère de la taille la rend plus sensible aux variabilités du marché « Attentats, grèves, inondations… quand deux productions s’annulent sur  un portefeuille de vingt, cela devient plus compliqué à absorber». Mais au bout du compte, le développement économique n’est pas un problème. «Souvent issus des majors, nous avons le savoir-faire pour sortir des productions qui n’ont rien à envier aux grandes agences. J’arrive à bien me développer uniquement par bouche à oreille et appel entrant. » commente Axel Debeury, fondateur de Super-Heraut, qui en cinq ans, pilote une équipe de sept personnes et des croissances à deux chiffres.

 

 

Qu’elles soient petites ou grandes, les entreprises sont portées depuis quelques années par une digitalisation qui fait souffler un vent nouveau sur les formats et les audiences. « En démultipliant la puissance et la durée, elle nous permet de faire exister de belles histoires qui auparavant touchaient trop peu de gens.» explique Brice Mourer, fondateur de Magic Garden, agence qui fut parmi les premières à amorcer son virage digital dès 2004. En comptant parmi ses clients des marques comme showroomprivé.com ou You Tube, Magic Garden montre également que ce mouvement de fond apporte avec lui ses clients, ceux de la nouvelle économie, très demandeurs de  rencontres tangibles ou de création d’expérience pour incarner leur marque. Un vivier qui profite à d’autres agences, comme Ubi Bene, qui a proposé pour AirBnB cette année une chambre totalement immergée dans le bassin des requins de l’aquarium de Paris, expérience qui a déclenché plus d’un millier de retombées presse internationales.

 

Renouveau ne rime toutefois pas toujours avec maturité. Agathe Belser, Directrice Associée pour Hopscotch Event, trouve actuellement délicat d’appréhender avec justesse les attentes digitales de ses clients: « Le niveau est inégal et les mêmes mots n’ont pas toujours la même réalité». Côté agences, une petite moitié ( ?) du marché juge inutile de recruter des profils dédiés, soit de jeunes recrues, digital native par essence, plus en phase avec les nouveaux besoins. L’autre moitié au contraire, a structuré son offre, avec profils spécifiques ou la création de départements ad hoc. Une aubaine pour certains. « Notre filiale web, qui double ses effectifs tous les ans, dépassera un jour notre activité événement » prédit Vincent Aubry, Président de With Up.com, spécialisée dans les problématiques corporate. A court terme, ces compétences aident surtout à travailler des caisses de résonnance médiatiques non négligeables pour les dispositifs des agences. Pour exemple, la tournée MoveMyCity signée Havas Event pour Just Dance et Coca Cola a généré plus de 12 millions de vues sur You Tube pour la dernière édition, quand le reveal du logo Paris 2024 imaginé par l’agence Double 2 sur l’Arc de Triomphe pour la candidature parisienne des JO fait état de 120 millions d’impressions sur Twitter.

L’événement devient donc plateforme d’activation, ce qui pose logiquement la question de la porosité des expertises. « Nous sommes maintenant appelés quand il existe une question mais pas de réponse. » ironise la Directrice de la Création de Lever de Rideau Anne Cléret. Un constat unanime. « Nous sommes souvent briefés par des Heads of Digital, et le brand content au sens large représente 50% de notre activité.» constate Thomas Deloubrière. Il n’est donc plus rare de voir une agence événementielle rendre sa copie sur un rapport annuel « sensoriel », comme Lever de Rideau le fit pour Nespresso, ou orchestrer toute la restauration payante du Prix de Diane, que la jeune agence La Fédération a gagné contre Fauchon.

Mais cette confusion des genres opère également en sens inverse, avec des agences de publicité, de RP ou de digital qui s’intéressent de près à l’événement, à l’image de l’agence  We are social par exemple, qui a imaginé pour Google en mai dernier « La première pièce », escape game visant à communiquer auprès du grand public sur les nouvelles fonctionnalités du moteur de recherche.

La globalisation des briefs pourrait-elle alors, en créant une concurrence nouvelle génération, freiner les professionnels de l’event ? Une hypothèse balayée par la profession, qui considère que le jeu des vases communicants œuvrera au final en leur faveur. Pour Thierry Reboul, Président d’Ubi Bene, « le métier de la publicité possède la culture de l’image mais pas celle du risque. Concernant le digital, l’événement est un sujet de curiosité avant d’être un sujet économique. Notre business model est moins rentable. »

Il n’est donc pas question d’altérer l’optimisme d’acteurs qui s’estiment bien positionnés pour évoluer dans les années futures. A condition de bien préparer l’avenir. 

Sur le plan du développement, les agences commencent à pousser les murs d’un marché trop étroit pour tous. Certaines creusent la piste des événements propriétaires, générateurs d’activité additionnelle et de nouveaux clients. Avec Viva Tech, nouveau rassemblement tech auquel a participé Publicis Events, Vidéo City, salon à destination des YouTubers et de leurs fans coproduit par Live ! et M6, Solutions COP21 pendant la conférence Climat co-produit par Hopscotch, de belles initiatives commencent à voir le jour. D’autres préfèrent regarder du côté de l’international, relais de croissance encouragé par un savoir-faire français particulièrement réputé en Afrique, au Moyen Orient et en Asie. Auditoire, pionnier en la matière, a déjà ouvert cinq antennes à l’étranger, comme le bureau Betak qui désormais, œuvre en toute indépendance aux Etats Unis et en Chine sur les problématiques internationales du luxe et de la mode.

Du côté des chantiers d’avenir, le marché sait qu’il devra encore conforter son statut de media stratégique fraichement acquis. Celui-ci sera définitivement mérité lorsque de vraies méthodes de définition du ROI seront proposées.

Enfin, le secteur se prépare à recevoir et à exploiter les nouvelles grandes tendances de fond liées à l’innovation : incubation de partenaires technologiques, importation des méthodes de management du design thinking, mais aussi utilisation de la data pour mieux connaître ses publics et ses attentes. De nouveaux procédés, basés sur le scan facial des foules, permettrait déjà de générer de la data-émotion, c’est-à-dire de la mesure du degré d’émotion des individus.

En attendant, les agences vont devoir continuer à gérer ce qu’elles jugent être la partie la plus difficile pour ne pas dire pénible de leur métier : les compétitions. Reposant depuis ses origines sur la règle établie du « one shot », soit un appel d’offre par événement à réaliser, ils s’épuisent. D’abord parce qu’il est difficile d’intégrer les notions de compétition permanente pour piloter sans visibilité sa masse salariale et ses investissements. Ensuite parce que la course à la plus belle recommandation, outre l’usure créative qu’elle engendre, nécessite des investissements de plus en plus lourds pouvant atteindre trente mille euros sur une compétition de moyenne envergure. Certains acteurs avouent même consacrer chaque année un million d’euros à ses rendus d’appel d’offre. Des charges financières qui commencent à peser. D’autant que les demandes sont de plus en plus nombreuses, pas toujours sérieuses et que les délais de réponse s’amenuisent. Jacques-Olivier Broner, Directeur Général d’Hopscotch, se souvient de son quotidien d’indépendant, avant l’intégration de son agence Rouge dans le groupe. Les no shows, ces briefs gagnés mais non réalisés, pouvaient concerner jusqu’à 50% des compétitions…. Chacune à leur manière, les agences apprennent donc à faire avec. Certaines s’obligent à refuser certains appels d’offre, dès lors que le brief n’est pas clair ou que le nombre de compétiteurs est trop nombreux. D’autres, convaincues que la fidélité est le meilleur des challenges créatifs, éduquent leurs clients pour développer des contrats de collaboration annuels. Une tendance qui s’amplifie progressivement. Skoda, Audi, Amundi, Orange et Century 21 font partie des premiers annonceurs à jouer le jeu. Enfin, les derniers misent sur la co-création, en se faisant force de proposition spontanée. A écouter Julien Carette, Président d’Havas Event, la stratégie est gagnante : « Deux de nos plus belles créations, Les Journées Particulières de LVMH et le show Hello pour Orange sont nées sans brief».

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