Communication
Deux figures de la communication digitale, Mathieu Morgensztern, PDG de Digitas LBI et Benoit Thieulin, fondateur de La Netscouade, basculent dans le camp des SSII et cabinets de consulting.

Belle prise de guerre! Mathieu Morgensztern, 43 ans, PDG France et Europe de l'Ouest de Digitas LBI –première agence digitale française– et ancien président de l'AACC Interactive a cédé aux sirènes du cabinet de conseil et SSII, Accenture France. Il quitte le groupe publicitaire Publicis. Sa bascule dans le camp des «technos» est symbolique. Elle confirme la tendance d'une reconfiguration du marché du conseil digital à l'aune des enjeux de la transformation numérique des entreprises.

«Maurice Lévy, en précurseur, l’avait anticipé via l’acquisition par Publicis il y a deux ans de Sapient –à la fois intégrateur technologique, cabinet de consulting et agence de marketing digital– signe avant-coureur de ce mouvement de fond», note Antoine Pabst, président de Razorfish France, filiale du groupe Publicis. Les enjeux de la transformation digitale ont accéléré la reconfiguration du marché, avec d’un côté les cabinets de consulting qui doivent acquérir une culture clients et consommateurs, en amont des réflexions sur les organisations et les plateformes technologiques, et de l’autre, les agences de culture marketing pour qui la technologie est devenue un prérequis obligatoire, poursuit-il. C’est le sens de l’histoire. Nous sommes à l’aube du métissage de ces cultures. Et on peut s’attendre aussi à de grosses prises de la part des agences digitales chez les cabinets de consulting. Avec évidemment quelques problèmes de réglages et d’acculturation liées aux différences de rémunération, d’interlocuteurs et de structures entre les deux univers.»  

En recrutant des profils qui «clignotent» marketing digital, Accenture veut faire entendre sa détermination stratégique à couvrir l’ensemble du spectre de la transformation digitale des entreprises, qui passe par la capacité à repenser les organisations et délivrer des plateformes technologiques –ses métiers historiques– mais aussi par l’acquisition de la culture digitale et de la marque et la capacité à penser l'expérience client. Malgré son fort développement dans le digital avec Accenture Interactive, le cabinet manque de notoriété auprès des directeurs marketing, une population qui lui est moins familière que les DSI (services informatiques).

Cibler les marketeurs

Le recrutement en juin dernier du publicitaire Claude Chaffiotte, ancien président de JWT (WPP), pour diriger Accenture Interactive France vise à combler cette lacune. «La priorité est de mieux nous faire connaître auprès de directions marketing. C’est pourquoi nous sommes aux Cannes Lions, indiquait-il à Stratégies en juin dernier. Nous comptons nous développer de façon organique mais aussi par acquisitions en marketing, communication, content et e-commerce», ajoutait-il. L’arrivée de Mathieu Morgensztern qui prend la direction digitale du pôle d’activité Produits (automobile, transports, santé, distribution, grande consommation, travaux publics) va dans ce sens.

Accenture a «acheté» un profil rare: un geek expert du marketing digital. L’informatique (comme pour Maurice Lévy!) est la première passion de Mathieu Morgensztern, fils du mathématicien Armand Morgensztern, inventeur du «bêta de mémorisation». Adolescent, il fabrique et vend des logiciels. À 23 ans, son diplôme en Génie des logiciels en poche, il cofonde la société Data Planet qu’il revendra à Havas. Il sera alors dix ans CEO de BETC Digital (ex-BETC 4D) puis un an chez Isobar (Aegis Dentsu). Depuis mai 2011, sous sa présidence, Digitas LBI (430 personnes), agence de Nissan et de Renault, a remporté les plateformes web de Michelin, La Poste, Banque postale, Louis Vuitton, etc. On lui doit le lancement de l'offre Brand Live, une newsroom proposant de créer en temps réel des campagnes et des contenus pour les marques, adoptée par Nissan, Fleury Michon et Groupama.

Humanités numériques

Il fait aujourd’hui le grand saut car, dit-il, «la transformation digitale d’une entreprise ne peut se faire qu’en lien avec sa stratégie globale pour améliorer à la fois l’expérience client et celle des collaborateurs. Et pour être écouté aujourd'hui d’un dirigeant d'entreprise, il faut être dans un cabinet de consulting»...Hier, où l’enjeu de la marque et la digitalisation de la communication primaient, ce sont les agences publicitaires qui débauchaient des patrons d'agences digitales, heureux d'avoir ainsi accès aux gros budgets et aux dirigeants, à l’instar de Matthieu de Lesseux (ex-Duke), recruté comme coprésident de DDB ou Philippe Simonet (ex-Publicis Net), vice-président de TBWA Paris.

«La force d’Accenture est d’apporter le conseil et de délivrer des solutions technologiques avec un gap de puissance et de R&D  avec les agences qui ont les idées mais pas les ressources techno», poursuit Mathieu Morgenzstern.

«Je suis convaincu qu'il est plus facile aux boites “technos” qui font du conseil et de l'ingénierie d'intégrer toute la chaine numérique et donc la communication digitale, qu'aux agences de com de devenir techno et de se doter de cette nouvelle culture des humanités numériques qui allient usages et technologie», soutient pour sa part Benoit Thieulin, ancien président du Conseil national du numérique (CN Num) et directeur de l’école de la communication de Sciences Po, qui vient de céder son agence La Netscouade (4,2 millions de chiffre d’affaires) à l'infogéreur Open (3500 personnes).

Remarquons toutefois que depuis dix ans, les SSII s’y essayent sans grand succès…. Mais l’ambition est là. «Notre plan stratégique vise à modifier notre ADN en réconciliant les perspectives de l'IT avec celles des usages digitaux afin de répondre à la métamorphose incontournable des modèles économiques de nos clients» expliquent Guy Mamou-Mani et Frédéric Sebag, coprésidents de Open. Avec Benoit Thieulin, qui prend pour trois ans –le temps du earn out– la direction de l’innovation d’Open, ses dirigeants «achètent» sa grande notoriété et légitimité sur les sujets numériques et se construisent une image disruptive revendiquée. Guy Mamou-Mani, lui-même vice-président du CN Num, est un pédagogue de la transformation numérique. Sous sa présidence, le Syntec informatique est devenu le Syntec numérique en 2010 et les SSII (sociétés de service en ingénierie informatique) ont été rebaptisées ESN (entreprises de services du numérique) en 2013. Car l'écosystème numérique, c'est de l’informatique mais aussi du marketing et de la communication!

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