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L'offre de Vivendi pour acquérir 60% des parts de Havas, qui soulève quelques réactions concernant d'éventuels conflits d'intérêts, est observée avec attention par la profession en France mais aussi à l'étranger.

Le 11 mai dernier, Vivendi a remis une offre au groupe Bolloré pour acquérir sa participation de 60% dans Havas (estimée à plus de 2,3 milliards d'euros). Une opération qui pourrait se conclure par une offre publique simplifiée dès cet été. Objectif : construire un « leader mondial de contenus, de médias et de communication » dans« un contexte de convergence entre contenus, distribution et communication » indique Vivendi, qui assure que « cette opération ne devrait pas avoir d’incidence sur le plan social ».

Si l'offre proposée au prix de 9,25 euros par action a été bien accueillie à la bourse, le monde de la communication est, lui, plus réservé quand à la volonté d'associer le savoir-faire de Vivendi dans « la gestion des talents, la création de contenus et leur distribution » et celui d'Havas en matière de « consumer science, maîtrise des données et nouveaux formats créatifs ». Placer une agence de communication au sein d'un groupe réunissant des activités médias (Canal+, C8, CStar et CNews), de l'édition musicale (Universal Music), du partage de vidéos (Dailymotion), des jeux (Gameloft) mais aussi une activité télécom (Telecom Italia) laisse en effet planer des risques de conflits d'intérêts, notamment en matière de conseil aux annonceurs.

« Dans la définition de l'expression « conflit d'intérêt » (une situation dans laquelle le jugement professionnel est susceptible d'être influencé de manière excessive par un intérêt secondaire comme un lien financier), le mot important est « susceptible », à savoir que la situation en question crée la possibilité d'un conflit d'intérêt », souligne Vincent Leclabart, président de l'AACC (Association des agences conseil en communication). L'annonce du rapprochement Vivendi-Havas n'a toutefois pas provoqué une levée de boucliers. Rien à voir, en tout cas, avec le tollé provoqué en 2010 par le projet de cession du capital de la régie de France Télévisions à Publicis et à la société de production de Stéphane Courbit, Lov Group.

 

Déjà-vu


Depuis, Publicis semble avoir changé son fusil d'épaule. Maurice Lévy, président du conseil de surveillance de Publicis Groupe, déclarait le 18 mai à Stratégies : « On est là dans la reconstitution d'une ligue dissoute dans la lignée du vieil Havas, avec Canal +, associant régies et conseil. Il s'agit d'un modèle du passé. Le fond du sujet est la confusion des genres, en matière d'influence comme au niveau de l'achat médias. Havas-Vivendi serait pour moi la reconstitution d'une anomalie française ». Vincent Leclabart ajoute : « Si Publicis semble faire le chemin inverse de celui d'Havas, sa forte implantation outre-Atlantique n'y est sans doute pas étrangère. L'éventualité d'un conflit d'intérêt est en effet un vrai sujet aux États-Unis, ce n'est pas encore le cas en France, ni même en Europe ».

Pourtant, ce rapprochement entre médias et agences conseil semble aussi faire école aux États-Unis : en 2011, le groupe Hearst rachetait iCrossing, en 2013 l'agence d'artistes William Morris Endeavor prenait 49% du capital de l'agence Droga5 et en 2015 News Corp faisait l'acquisition de la plateforme publicitaire Unruly.

Martin Sorrell, CEO du n°1 mondial de la publicité WPP, observe l'initiative de son concurrent Vincent Bolloré en des termes choisis : « Je trouve fascinant de voir quelqu'un qui possède des médias, du contenu, une plateforme de télécommunications et une agence. Cela n'a jamais été fait avant [...] C'est sans doute la chose la plus intéressante qui se passe dans notre industrie en ce moment », tout en soulignant qu'il existe « toutes sortes de possibilités de conflit d'intérêts ». En avril 2016, dans Stratégies, son réprésentant en France, Pierre Conte, avait été plus explicite : « La résurrection d'un groupe dominant publicité et médias nationaux serait le retour vers l'obscurantisme pour le marché ».

De son côté, Hervé Brossard, président d'Omnicom Media Group, souligne que ce type de rapprochement n'est pas si singulier - on le voit au Brésil ou au Japon : « Sans crier au loup, on va être des observateurs vigilants en matière de neutralité » explique-t-il, « on a bien conscience d'être dans une situation un peu particulière. La convergence des métiers n'a rien de nouveau, mais d'une telle ampleur et entre les mêmes mains, c'est nouveau ». Pour autant, le dirigeant se félicite d'une relation avec Canal+ qui « se passe très bien » et rappelle le rôle des audits des médias comme moyens de contrôle lors des appels d'offres réalisés par les annonceurs.

 

Vision d'avenir


Le 15 mai dans Les Échos, Yannick Bolloré, PDG d'Havas, se voulait rassurant : « Havas maintiendra une certaine distance avec Canal+. Il est hors de question que les équipes se retrouvent en situation de conflit d'intérêts. Il n'y aura aucune augmentation des dépenses médias d'Havas au sein du groupe Canal+. Nous sommes très attentifs à conserver la qualité de nos relations avec des chaînes telles que M6 et TF1 ». Le patron d'Havas rappelle à Stratégies que son groupe « ne réalise que 0,5% de son activité avec Vivendi, revenus publicitaires et partenariats compris ». Pour Yannick Bolloré, ce type de rapprochement « est l'avenir de la publicité, dont la mission est de toucher les gens et donc d'avoir un accès privilégié à des contenus nouveaux et innovants ». Havas n'a d'ailleurs pas attendu ce projet de fusion pour jouer la synergie. « Il y a des choses fantastiques à faire avec Vivendi pour inventer de nouveaux formats » lance, enthousiaste, Julien Carette, président de Havas Paris, qui évoque l'exemple de l'inauguration du stade de Lyon en janvier 2016, conçue par Havas Event et Havas Sport & Entertainment avec Will.i.am en guest star (Universal Music), le tout restransmis sur D17 (devenue CStar).

Cela suffira-t-il à rassurer les annonceurs ? L'Union des annonceurs (UDA) reste circonspecte sur ce sujet. Dans un communiqué publié le 19 mai, elle « appelle l'ensemble des acteurs du marché (pouvoirs publics, médias, agence-médias, annonceurs) à rester attentifs au respect de la neutralité du conseil-médias ». Son président Etienne Lecomte ajoutant : « C'est la première fois qu'une agence de conseil médias sera associée à un groupe de médias. L'ensemble des parties prenantes devront donc veiller à une répartition des budgets confiés conforme aux seuls intérêts des annonceurs ». Une prise de parole somme toute prudente mais qui devrait être suivie d'initiatives plus opérationnelles. Ainsi, dans le cadre des nouveaux contrats établis par l'UDA et qui seront applicables début 2018, on peut imaginer des systèmes de comparaison des conditions d'achat entre différents médias. De même, il y a fort à parier que les cabinets internationaux d'audit et d'investigation comme K2 Intelligence ou Ebiquity étendent leurs services sur le marché français. 

Car si l'autorégulation, via la vigilance de la concurrence notamment, n'est pas à négliger, c'est bien davantage « la mise en place d'un système de contrôle qui serait le plus à même d'assurer la transparence et de créer les conditions pour qu'il n'y ait pas de suspicion », conclut Vincent Leclabart.

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