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L'année vue par Maurice Lévy
18/12/2008 - par Entretien : Alain Delcayre et Olivier MongeauLa crise, l'essor du numérique, l'élection de Barack Obama, la communication de Nicolas Sarkozy, la réforme de l'audiovisuel public, les états généraux de la presse… Le président du directoire de Publicis Groupe passe 2008 en revue.
Quel est l'impact de la crise sur le groupe Publicis, et plus largement sur la publicité?
Maurice Lévy. L'année a bien démarré et a même été très positive au premier semestre. Mais la crise du Tibet, puis le séisme au Sichuan en Chine ont considérablement freiné la communication autour des JO de Pékin. Enfin, avec la crise financière, le deuxième semestre n'a pas tenu ses promesses et la fin de l'année est très difficile. En 2009, selon Zenith-Optimedia, le marché sera atone, avec des investissements publicitaires en baisse de l'ordre de 5,7% aux États-Unis et de 1% en Europe. La hausse des autres marchés permettra juste d'afficher un taux de croissance mondial nul. Une année blanche au cours de laquelle la télévision devrait bien se comporter, la presse devrait souffrir encore plus et Internet continuer à progresser d'environ 15% à 18%. En France, il faut s'attendre à une baisse du marché de l'ordre de 2% à 4%.
Dans ce contexte, peut-on s'attendre à une nouvelle concentration du secteur?
M.L. Je sais que c'est le dada de pas mal de gens…
Martin Sorrell par exemple...
M.L. Oui, il aime bien ça… Cela lui permet de détourner l'attention de ses propres performances, un peu médiocres. Et s'il peut envenimer les relations, notamment chez les Français, il n'est pas mécontent. Il l'a fait entre Pouzilhac et moi, il le fait aujourd'hui avec Bolloré. C'est sans doute amusant… Mais on ne s'y trompe pas. En fait, le marché est déjà très largement consolidé. S'il y a des concentrations à venir, elles ne devraient pas changer la configuration actuelle. Finalement, qu'est-ce qu'il reste aujourd'hui? Interpublic, Aegis et Havas.
Justement, le départ de Robert Lerwill, directeur général d'Aegis, ouvre-t-il de nouvelles perspectives?
M.L. Que ce soit avec Lerwill ou avec son successeur, si une offre satisfaisante en termes de prix est mise sur la table, le conseil d'administration d'Aegis sera obligé de la considérer et sans doute de la recommander. Mais, aujourd'hui, même si les valorisations boursières sont attractives, il y a tellement d'incertitudes sur les marchés que je ne suis pas certain que beaucoup de gens soient prêts à signer un chèque. En tout cas, Publicis Groupe n'a besoin d'aucune consolidation supplémentaire.
En revanche, votre groupe continue ses acquisitions. Les marchés émergents, dits Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine), restent-ils votre priorité ?
M.L. Dans le groupe, nous les appelons les Crib, par ordre de marché prioritaire. Nous avons effectivement besoin de nous renforcer en Inde et en Russie. En Chine, nous n'en avons pas besoin mais nous en avons envie, car la croissance se trouve encore là-bas. Mais il y a aussi d'autres marchés plus matures où nous pouvons faire mieux, comme l'Allemagne.
Pour revenir à la crise, les menaces pesant sur General Motors, un client important pour Publicis Groupe, ne vous inquiètent-elles pas ?
M.L. Digitas, Starcom et Leo Burnett ont en effet des liens étroits avec General Motors. Mais nous restons confiants, car les gouvernements – à commencer par celui des États-Unis – ne peuvent pas se désintéresser de leur industrie automobile. Simplement, ce secteur doit s'adapter.
Concernant Internet, ne doit-on pas s'attendre à un retournement, comme cela semble être le cas aux États-Unis ?
M.L. Quand on parle, comme je vous l'ai dit, de 15 à 18% de croissance, on enregistre de fait un recul du taux de croissance de ce média. Mais le numérique fait aujourd'hui partie de la vie des gens et est destiné à irriguer l'ensemble de la communication des marques. Nous sommes sur une lancée historique.
Les directions générales d'entreprise que vous rencontrez régulièrement ont-elles vraiment pris conscience de l'enjeu Internet ?
M.L. Non pas encore. Elles l'ont intégré pour le fonctionnement de l'entreprise mais elles n'ont pas encore perçu son réel intérêt pour la commercialisation de leurs produits et pour la relation avec leurs consommateurs.
Dans un univers de plus en plus numérique, les Google, Yahoo et autres Microsoft ne sont-ils pas les nouveaux concurrents des groupes de communication ?
M.L. Ces sociétés seront d'abord de grands concurrents des médias, et on peut d'ailleurs se poser la question de la survie de certains d'entre eux. En fait, le modèle de ces grands groupes repose sur un effet d'échelle consistant à proposer sous licence des programmes ou des solutions à un très grand nombre. Alors que la publicité, la créativité et les solutions client restent du sur-mesure, sans effet d'échelle possible. Le métier des agences n'est donc pas menacé. D'ailleurs, quand Microsoft rachète Aquantive, c'est avant tout pour Atlas [une plate-forme d'optimisation des campagnes en ligne] qu'il débourse 6 milliards de dollars.
Que vous inspire la réforme de l'audiovisuel public en France ?
M.L. Pour l'homme de la rue qu'il m'arrive d'être, avoir un service public dénué de toute relation avec la ménagère de moins de cinquante ans est une bonne chose. En revanche, pour le publicitaire que je suis, c'est beaucoup moins satisfaisant. C'est moins d'espaces publicitaires, c'est un risque de voir les prix unitaires augmenter et finalement les investissements baisser. Mais il y a des occasions à saisir. Les médias vont devoir être plus inventifs de même que les agences.
La nomination du président de France Télévisions par l'exécutif, c'est une bonne chose?
M.L. Tout le monde savait très bien que le Conseil supérieur de l'audiovisuel nommait à la présidence de France Télévisions une personne choisie par le pouvoir en place. Nicolas Sarkozy sort donc de cette hypocrisie. Est-il est anormal que l'actionnaire ait un pouvoir de nomination?
Le gouvernement n'est pas un actionnaire comme un autre!
M.L. Oui… Mais si, au fond, je n'aime pas cette mesure, elle a au moins le mérite de la clarté. Quant au financement, je suis favorable à l'augmentation de la redevance, mais sûrement pas à celle des taxes sur le secteur privé.
Quel regard portez-vous sur les états généraux de la presse, qui viennent de s'achever?
M.L. J'ai souhaité personnellement que Publicis Groupe prenne la parole à ce sujet [à travers la diffusion d'un fascicule maison]. Je trouvais assez surprenant qu'il y ait des états généraux de la presse et qu'on oublie tout simplement de parler de la publicité, qui fait entrer 30 à 50% des recettes! J'ai bien compris que l'objectif était de tendre la sébile à l'État. Mais les médias ont tout de même des recettes, et ne doivent pas en avoir honte. Ils devraient mieux s'en occuper et être plus dynamiques sur ce sujet. La presse en France a déjà manqué de trop nombreuses occasions de s'adapter.
Que vous inspire l'élection de Barack Obama?
M.L. Obama, c'est la rupture et l'ouverture… Ça ne vous rappelle rien? Autrement dit, c'est le modèle de demain. Il a recouru à des techniques de communication très nouvelles. Le Net avait déjà eu un rôle important lors de l'élection présidentielle française. Mais là, c'est une tout autre dimension. Obama a levé une armée de militants. Il a utilisé Internet de façon fabuleuse. Il ne s'est pas contenté d'envoyer des messages, mais a joué l'interactivité. Il a donné une leçon de marketing en mêlant l'événementiel, le recours aux grands médias et la force d'Internet, via notamment la création d'un réseau. C'est la démonstration pour les annonceurs qu'une bonne utilisation des moyens de communication est payante. Mais l'effet pervers de tout cela est l'incroyable renchérissement des campagnes électorales américaines.
La communication du président Sarkozy est-elle aussi un exemple à suivre?
M.L. Indiscutablement. La France s'est à nouveau imposée sur la scène internationale.
Les élections européennes auront lieu l'année prochaine. Imaginons que Publicis soit l'agence de l'Union européenne: que feriez-vous pour restaurer l'image de l'Europe auprès de ses citoyens?
M.L. Je pense que c'est un gâchis de faire des campagnes de communication pour valoriser l'Europe, si on ne met pas d'abord de l'ordre dans des institutions dominées par une bureaucratie qui vit dans un monde à part.