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Le règne finissant des gourous blancs
05/03/2009 - par Alain DelcayreAvec l'affaire Kouchner, la «Françafrique» refait parler d'elle et, dans son sillage, des «gourous blancs». Mais les riches heures de ces conseillers en communication semblent faire partie du passé.
Le dernier livre de Pierre Péan, Le Monde selon K, sur l'actuel ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et ses relations avec certains dirigeants africains, a fait ressurgir bon nombre de fantasmes sur la «Françafrique», ce système consistant à choyer les chefs d'États africains «amis» de la France en dépit de leur indifférence aux principes démocratiques, mais en échange d'un accès privilégié aux matières premières stratégiques… Baptisés les «gourous blancs», les communicants français habitués du continent noir n'échappent pas aux suspicions. Dans un article du 24 février sur «Les réseaux du docteur Kouchner», le quotidien Libération évoque ainsi, au détour de son enquête, le nom du publicitaire Pierre Dassas, patron de l'agence homonyme et président d'Africa Alive, fondation qualifiée comme «proche» de l'ancien ministre socialiste. Cette association a notamment organisé, en 2006, l'opération humanitaire et artistique Vach'Art pour recueillir des fonds en faveur de l'Afrique. «La fondation, toujours active, n'a aucun lien avec Bernard Kouchner. Simplement, nous avons un ami commun, Éric Danon, qui m'a aidé à la fonder. Quant à moi, je n'ai jamais eu d'activité professionnelle en Afrique», se défend d'ailleurs Pierre Dassas.
La défiance est tenace. Et pour cause ! Les pérégrinations des publicitaires français sur le continent africain doivent beaucoup à la politique interventionniste de la France, avec les inévitables soupçons, au mieux de complaisance, au pire de corruption.
C'est au début des années 1960, dans les valises de Jacques Foccart, le «Monsieur Afrique» du général de Gaulle, que Michel Bongrand a fourbi ses premières armes. Aujourd'hui âgé de quatre-vingt-six ans, le précurseur de cette tradition bien française du conseil aux dirigeants africains narre avec malice et sans détour cette époque où la France imposait encore sa loi en Afrique de l'Ouest : «Pour ma première mission au Gabon, je me rappelle avoir attendu avec Bongo [alors vice-président du Gabon] l'arrivée d'un représentant d'Elf, porteur d'une valise pleine de billets, pour le règlement de mes honoraires, qui s'élevait à l'époque à 4 millions de francs.»
Trente ans plus tard, ce mélange des genres n'était pas encore franchement passé de mode, si l'on en croit ce consultant français qui a œuvré sur le continent tout au long des années 1990 : «Les liens entre politique et communication restent étroits, confie-t-il. Les vrais-faux contrats, dont les montants sont substantiellement gonflés pour financer des partis, des personnalités ou les intérêts de tel ou tel dirigeant africain, restent évidemment en vigueur.»
Antoine Glaser, rédacteur en chef de La Lettre du continent, qui a révélé la première les accointances entre Bernard Kouchner et le pouvoir gabonais, souligne que «les chefs d'État africains sont très généreux et disposent de beaucoup d'argent. Grâce à leur monoproduction de pétrole ou de manganèse, ils paient souvent en cash.»
L'instabilité du continent a un coût
Interrogé sur le sujet avant sa nomination au gouvernement, le communicant Thierry Saussez n'hésitait pas à qualifier le continent de véritable «eldorado». Lui-même admettait avoir touché près de 730 000 euros par an lorsqu'il conseillait Henri Konan Bédié, en Côte d'Ivoire, de 1995 au coup d'État de 1999. Plus récemment, le réseau Euro RSCG a négocié un contrat de 330 000 euros hors taxes et frais divers avec la présidence éphémère de Mauritanie. La chute de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, à l'été 2008, n'a pas empêché l'agence de continuer à envoyer ses factures tous les mois. «Il fallait faire respecter notre contrat qui prévoyait des indemnités en cas de rupture anticipée», explique un cadre d'Euro RSCG qui requiert l'anonymat, comme beaucoup sur les questions africaines. Une façon d'admettre que l'instabilité politique du continent subsaharien a un coût…
«Le temps passé sur un dossier africain est souvent plus important que sur un dossier européen. On peut rester une semaine au Sara Kawa [hôtel de Lomé, capitale du Togo] pour un rendez-vous d'une heure», explique Michel Aveline, consultant, énumérant les délais non tenus, les rendez-vous reportés, la multiplication des procédures, etc.
Notre cadre d'Euro RSCG cité plus haut essaie lui aussi de relativiser les chiffres qui circulent sur le montant des contrats. «Pour nous, c'est un business à la fois chronophage et minuscule, qui ne représente que 1/2 000e de notre chiffre d'affaires», souligne-t-il.
Pourtant, en dépit du discours du Cap, prononcé par Nicolas Sarkozy il y a tout juste un an et censé signer l'arrêt de mort de la «Françafrique», le continent subsaharien continue de faire rêver, notamment ces «mercenaires à col blanc» toujours à l'affût de contrats juteux. La crise ivoirienne, celle du Congo ou les soubresauts togolais ont attiré nombre de ces francs-tireurs du lobbying. Certains viennent de la presse et sont en rupture avec leur milieu d'origine, tels Jean-Luc Mano, qui a notamment sévi à France 2 et France-Soir, Jean-Paul Pigasse, ancien des Échos et de L'Express, ou Jean-Noël Tassez, qui a dirigé RMC, actuellement sur le banc des accusés dans l'affaire de l'Angolagate… Pour cet ancien conseiller très en vue, c'est d'ailleurs l'un des problèmes : «L'Afrique continue d'attirer des gens désireux de faire des coups, d'empocher beaucoup d'argent et de repartir sans se soucier du long terme.»
Le «gourou blanc», relais d'influence en France
De fait, les leaders africains ont eux-mêmes favorisé ces liaisons dangereuses, comme l'illustre avec humour le film franco-congolais Les Couilles de l'éléphant, sorti sur les écrans français en 2002. Où l'on voit un élu du cru en campagne, envouté par sa femme, faire appel à un jeune consultant parisien qui découvre le marigot africain.
Pour les politiques de la région, un «gourou blanc» reste encore le moyen le plus sûr de développer leur réseau et surtout une communication d'influence en France. Une véritable manne pour les publicitaires français, à commencer par les incontournables Jacques Séguéla et Thierry Saussez. «Qui n'a pas fait du Bongo ou du Eyadema !», lance Bernard Rideau, ancien conseiller en communication de Giscard d'Estaing. Après avoir écumé l'Afrique pendant plus de vingt ans, il est aujourd'hui proche d'Abdoulaye Wade, le président du Sénégal.
Blonde et athlétique, Patricia Balme, ex-conseillère de Michèle Alliot-Marie et de Renaud Dutreil et favorite de la présidence camerounaise depuis 1999, fait partie de la nouvelle génération de ces conseillers blancs. «Plus qu'ailleurs, il est indispensable de construire une véritable relation de confiance et de se montrer fidèle», explique la fondatrice de l'agence PB Com international, qui fut également aux côtés du Centrafricain François Bozizé lors de son coup d'État éclair de 2003. «Je ne travaille qu'avec des pays où les chefs d'État sont approuvés par les autorités françaises», souligne-t-elle, comme pour insinuer qu'il n'y a pas si longtemps, rien ne se faisait sans l'Élysée dans cette partie du monde…
Pour autant, tous les communicants n'ont pas sa patience. Marc Vanghelder, président de l'agence Leaders & Opinions, a mis fin à sa dernière mission en Afrique avec le Cameroun en 2003. «Il est difficile de faire un travail sérieux. Souvent entourés d'une armée mexicaine de conseillers, les dirigeants africains ont du mal à suivre une stratégie de communication digne de ce nom, explique-t-il, un brin désabusé. Au final, notre travail se limite souvent à devoir convaincre la femme du président.» Son expérience avec Paul Biya, président du Cameroun qui, à deux reprises, a annulé sans explication des opérations montées de longue date, l'une avec la presse française et l'autre autour d'une manifestation très prisée dans le pays, la fête de la Jeunesse, lui a fait perdre ses dernières illusions sur l'Afrique. «On peut effectivement se contenter de prendre ses honoraires et se moquer du travail réalisé. Moi, j'ai dit stop», tranche-t-il.
Actions peu coûteuses sur le terrain
D'autres, comme Jacques Séguéla, invoque un emploi du temps… surchargé. «Je ne travaille plus sur l'Afrique. Je n'ai plus le temps. Et avant de travailler pour un homme politique, je veux être sûr de ses engagements démocratiques. Mes seules campagnes remontent aux années 1990 et début 2000 pour Diouf [ancien président du Sénégal], qui était un vrai démocrate», assure le vice-président d'Havas. Une analyse toute personnelle de son implication effective sur les dossiers africains. Le fils de pub est tout de même à l'initiative de la création de la cellule internationale d'Euro RSCG, très active en Afrique et dirigée par Jean-Philippe Dorent. Composée d'une demi-douzaine de consultants, cette structure s'appuie en Afrique sur les agences locales ou partenaires du réseau publicitaire. «Nous ne faisons pratiquement plus de conseil en communication politique, confirme Jean-Philippe Dorent. Actuellement, nous travaillons sur l'image économique du Cameroun et pour de grandes sociétés françaises comme Veolia, Bolloré Africa Logistic ou Total.» Mais peut-on défendre les intérêts économiques de ces grands groupes sans faire de politique ?
Stéphane Fouks, coprésident d'Euro RSCG (Havas) vient tout juste de rendre «une visite de courtoisie» au président ivoirien Laurent Gbagbo alors qu'une élection présidentielle devrait se tenir dans les prochains mois. Jean-Philippe Dorent se contente d'évoquer «une simple réflexion en cours». De fait, le groupe Bolloré, dont le président est le principal actionnaire d'Havas, gère le port d'Abidjan. Ses intérêts en Afrique sont nombreux. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'émission Paroles d'Afrique sur Direct 8, la chaîne du groupe, est animée par son vice-président chargé de l'Afrique, Michel Roussin.
Sur le terrain, le marché de la communication politique en Afrique se résume souvent à des actions peu coûteuses. Dans le genre, la campagne présidentielle sénégalaise de 2000 reste un exemple. Conseillé par Jacques Séguéla, à grand renfort de spots TV et d'affiches «à la française», le président sortant Abdou Diouf s'est vu détrôner par son opposant Abdoulaye Wade qui, sur les conseils de Bernard Rideau, a uniquement privilégié un affichage sauvage, mais omniprésent. «Sans compter qu'en fournissant un mobile à nos représentants dans les bureaux de vote afin qu'ils communiquent en direct aux médias les résultats des premiers dépouillements, nous avons évité le risque d'une manipulation du pouvoir en place», ajoute pour sa part Marc Bousquet, alors collaborateur de Bernard Rideau et aujourd'hui président de l'agence parisienne Médiatique, qui travaille toujours pour Wade. L'agence réalise certains travaux d'édition du chef de l'État. Son ancien associé, Jean-Pierre Pierre-Bloch, ex-député UDF, aujourd'hui patron de Médiatique Africa, installée à Dakar (Sénégal), travaille à l'organisation d'événements. Il est notamment derrière Fesman 2009, le troisième Festival des arts nègres que doit accueillir Dakar du 1er au 21 décembre 2009.
La donne a changé
Marc Bousquet le reconnaît avec une pointe de nostalgie : «Nous sommes sur la queue de la comète…» En même temps que la disparition des derniers «Foccard boys», à la fin des années 1990, la donne tend a changé pour les fameux «gourous blancs». «Si avoir son sorcier blanc a longtemps fait partie de la panoplie du parfait dirigeant africain, c'est beaucoup moins le cas aujourd'hui. La génération des quadras africains, formés dans les universités américaines ou canadiennes, prend peu à peu la main», observe Bernard Rideau, en donnant l'exemple d'Hassan Bâ, qui a travaillé à Genève au Forum de Davos, avant de devenir conseiller spécial du président Wade pour la communication.
«La manne s'est raréfiée pour les gourous blancs, confirme Isaac Tchiakpe, conseiller de l'opposant togolais Gilchrist Olympio. Déjà, les pays ont moins besoin de soigner leur image que du temps de “papa”, qui l'écornait à force d'élections truquées. Les hommes politiques africains se sont aussi professionnalisés et n'ont plus besoin de recourir aux communicants pour défendre leurs intérêts et leurs dossiers.»
Jean-Philippe Dorent, d'Euro RSCG, reconnaît qu'une page s'est tournée : «Pour parler à l'Europe, aux États-Unis ou au FMI, les dirigeants africains ont compris que les “gourous blancs” ne suffisaient plus. Nous sommes en train de passer de l'époque du consultant solitaire avec son officine et son carnet d'adresses à l'ère des groupes de communication plus organisés, internationaux mais aussi locaux, comme Vodoo [basé à Lomé et présent dans toute l'Afrique de l'Ouest].»
Et si certains «sorciers blancs» sont toujours très présents, la nature de leurs missions a changé. «Ils ne font plus vraiment du conseil en communication, mais plutôt du lobbying, voire de la stratégie politique ou carrément du renseignement», constate le Sénégalais Mamadou Dia, ancien journaliste et patron d'une agence de communication, aujourd'hui conseiller spécial du Premier ministre de Guinée-Bissau. Anne Méaux, présidente d'Image 7, qui gère notamment les relations presse et l'image à l'international de la Tunisie et du Sénégal, est aussi la reine du lobbying, conseillant le ban et l'arrière-ban du CAC 40.
Avec l'arrivée des Américains, mais aussi des Chinois et des Indiens sur les plates-bandes françaises, cette gigantesque partie de lobbying ne peut se réduire, comme «au bon vieux temps», à l'intervention de simples officines en communication. Face à des cabinets comme Cohen & Woods International, dirigé par l'ancien sous-secrétaire d'État américain aux Affaires africaines Herman Cohen, les acteurs français doivent étoffer leur offre en gestion des affaires publiques ou, alors, se contenter de devenir de simples prestataires. «On sent enfin des signes de professionnalisation», se réjouit Stéphane Fouks, qui rêve de campagnes africaines modernes qui ne reprennent ni les codes français ni ceux de «l'Afrique à papa».
Pas sûr, toutefois, que la dizaine d'élections présidentielles prévues pour cette seule année 2009 permette à Stéphane Fouks de réaliser son rêve. De l'Afrique du Sud à l'Algérie, en passant par l'Angola, le Congo ou la Côte d'Ivoire, la tentation africaine sera grande.
Présenté par Patricia Balme, François de La Brosse, proche du président Nicolas Sarkozy, pour qui il a notamment conçu la Web TV de sa campagne, ne s'est pas fait prier pour doter le président camerounais Paul Biya de sa propre chaîne de télévision en ligne (www.presidenceducameroun.com). Chassez le naturel…