Président de Saatchi & Saatchi Paris depuis décembre 2006, Christophe Lichtenstein a transformé l’agence autour de la problématique de l’intégration des métiers, sur fond de montée en puissance du digital. Il revient sur ces trois années, en détaillant les chantiers menés à bien.

Vous venez de vous séparer de votre client Free au moment où ses dirigeants font des commentaires peu amènes sur le travail de votre agence… Que s'est-il passé ?

Christophe Lichtenstein. Nous sommes très fiers de notre travail pour Free et de ses résultats. C'était la bonne campagne au bon moment. Les commentaires de ses dirigeants sur la campagne traduisent certainement la nécessité pour eux d'entrer dans une dimension plus large après l'obtention de la quatrième licence de téléphonie mobile. De fait, Free devient concurrent des trois autres opérateurs, dont Bouygues Telecom, qui est un des principaux clients de Saatchi aujourd'hui. Nous avons donc fait le choix d'officialiser notre engagement aux côtés du groupe Bouygues via, à ce jour, la communication institutionnelle du groupe et celles d'Universal Mobile et d'Eurosportbet.

 

Au-delà du cas Bouygues Telecom/Free, diriez-vous que la question des conflits de clients est devenue plus sensible, que les positions se sont durcies ?

Ch.L. Oui. La vigilance des annonceurs sur le sujet s'est accrue. C'est évidemment le fait d'une concurrence de plus en plus acharnée sur les marchés. Cependant, la question de l'exclusivité me paraît archaïque. Nous devrions pouvoir gérer des marques concurrentes, en respectant les règles de confidentialité requises, comme le font par exemple les agences de conseil et d'achat d'espace publicitaire ou les avocats d'affaires. Nous connaissons bien ces sujets maintenant. Avec Procter & Gamble, par exemple, un de nos principaux clients, nous respectons des règles strictes : bureaux et équipes propres, intranets propriétaires, etc.

 

Vous êtes arrivé à la présidence de Saatchi France en décembre 2006 et vous avez transformé l'agence autour de la problématique de l'intégration. Quel bilan en tirez-vous ?

Ch.L. Nous avons décidé d'une part de ne conserver qu'une seule marque : Saatchi & Saatchi. Les autres marques – Saatchi interactive, X, corporate, advertising – ont disparu. D'autre part, nous avons fait le choix d'un compte d'exploitation unique. Sans cela, l'intégration n'est qu'un concept. Enfin, nous avons substitué aux «P & L» [les comptes de résultat] par métier des «P & L» par client. Cela permet des arbitrages ambitieux et courageux pour nos clients, comme lorsque nous avons lancé l'IQ de Toyota avec un dispositif 100% digital.

 

L'intégration n'est parfois qu'un mot. Concrètement, qu'est-ce que cela change ?

Ch.L. Ne présentons plus l'intégration comme un objectif. La suppression des silos produit essentiellement de nouvelles façons de travailler et de nouveaux types de contenus. Nous avons conservé toutes les spécialisations, mais changé la façon de travailler des spécialistes entre eux. En replaçant la stratégie très en amont des «process» pour déployer intelligemment nos idées, avec l'aide d'experts en digital, marketing relationnel, design et point de vente. Demain, avec l'arrivée de Valérie Planchez – dernièrement responsable «Intelligence» chez Havas Media– au poste de directrice des stratégies, c'est la connaissance du consommateur qui va guider nos stratégies. Nous abolissons la dernière frontière entre les contenus que nous produisons et le média. Mais, surtout, l'intégration nous a rendus plus agiles.

 

L'agilité, c'est-à-dire ?

Ch.L. En même temps que nous avons éliminé les silos, nous avons éliminé les ego. L'époque a changé, les marques sont en dialogue permanent avec les consommateurs et nos méthodes sont devenues moins itératives, plus généreuses, plus collectives. Nous mutualisons les talents du réseau Saatchi en créant des communautés digitales, de planneurs et de créatifs que nous mobilisons pour nos clients ou les compétitions. Nous avons imaginé un nouvel écosystème autour de nous, avec des gens comme ceux d'Act Now notamment, l'ancienne ONG américaine spécialisée dans le développement durable et la conduite du changement, qui accompagne nos stratégies pour GDF-Suez ou le groupe Bouygues.

 

En termes de «business», quels résultats l'intégration produit-elle ?

Ch.L. Notre taux de réussite en compétition s'élève aujourd'hui à 75%. Nous avons gagné sept nouveaux clients, dont GDF-Suez, Bouygues, Visa, le CNOSF et récemment Häagen Dazs. En outre, notre part de marché chez nos clients a progressé de 15%. Plus généralement, l'intégration et la vitesse d'exécution qu'elle permet est une réponse à la taille et à l'innovation de nos clients.

 

Le déménagement de Saatchi de l'île de La Jatte, dans les Hauts-de-Seine, à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, a-t-il été le point d'orgue de la mutation de l'agence ou bien un moteur du changement ?

Ch.L. Les deux, en réalité. La transformation de l'agence a mobilisé beaucoup d'énergie les dix-huit premiers mois. Le déménagement l'a rendu effective. Avec nos architectes, nous avons conçu un espace qui incarne et anime notre modèle. Le choix de Saint-Denis, lui, nous a rapproché d'une commune qui se transforme elle aussi et qui nous ouvre à de nouveaux talents.

 

Cette transformation a-t-elle été facile à «vendre» à Kevin Roberts, le PDG de Saatchi ?

Ch.L. Il s'agissait de faire des choix pour préparer l'avenir et nous n'étions pas seuls à entamer ces changements. Simplement, l'environnement de Saatchi en France est très différent de celui de beaucoup d'agences du réseau en Europe. En France, la plupart des enseignes avaient élargi leur offre depuis longtemps. Or, aujourd'hui, compte tenu de notre positionnement, nous affrontons ces groupes : Havas, TBWA, DDB, même Publicis parfois… Et à la taille nous avons choisi de répondre par l'intégration et la vitesse. Et puis ce projet n'aurait pas eu de sens s'il n'avait pas permis aussi d'améliorer sensiblement notre produit créatif, il était donc dans les gênes de Saatchi.

 

On parle beaucoup de «guerre des talents», une manière de souligner un déficit tant chez les commerciaux que chez les créatifs. Est-ce votre avis ?

Ch.L. Oui. J'y vois deux raisons : nous rémunérons moins les talents et, depuis la loi Sapin, nous avons massivement désinvesti la formation. À cela s'ajoute, c'est vrai, une perte d'attractivité. Nos métiers toutefois se transforment rapidement et l'aventure, plus collective, plus artistique aussi sans doute, concurrencera la musique, le cinéma ou les jeux vidéo et permettra à une nouvelle génération de talents d'entreprendre à nouveau. À condition d'avoir réglé la question de la valeur et de la rémunération des agences…

 

Dates et chiffres clés

Décembre 2006. Christophe Lichtenstein est nommé président de Saatchi & Saatchi France. Le directeur de création Christophe Coffre est vice-président.

xxxxx. Emménagement à Saint-Denis.

150. Nombre de salariés, dont une cinquantaine de créatifs.

40,3 millions d'euros. Chiffre d'affaires en 2008.

Principaux clients : Bel, Bouygues, CNOSF, GDF-Suez, General Mills (Géant vert, Häagen Dazs, etc.), Procter & Gamble (Ariel), Société générale, Toyota, Visa.

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