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Serge Dumont, vice-président d'Omnicom, est le plus Chinois des Français. Et l'un des Français les plus haut placés dans la publicité mondiale. Un sésame pour les entreprises et les agences souhaitant se développer dans l'empire du Milieu.

Bar du Lutetia, mardi 5 juillet. Serge Dumont, vice-président d'Omnicom, deuxième groupe mondial de la communication, est de passage à Paris dans la foulée du Festival international de la publicité de Cannes, où il se rend chaque année. Français né en Tunisie, mais vivant en Chine depuis plus de vingt ans, il n'a jamais accordé d'interview dans l'Hexagone. C'est pourtant l'un des Français les plus haut placés dans l'industrie publicitaire mondiale!

Habitué à parler le mandarin et l'anglais, il cherche parfois ses mots. Il pratique aussi l'art de l'esquive. «Je suis né l'année du Rat sous le signe du Verseau», répond-il quand on lui demande son âge. L'homme parlant fort qui vient de s'attabler à ses côtés, portable à l'oreille, le gêne. Il s'interrompt. Comme s'il avait fait sienne la culture du silence et de la discrétion chère à son pays d'adoption. Ceux qui le côtoient, toutefois, le savent: à cinquante et un an, Serge Dumont est à lui seul un sésame pour les clients et les agences d'Omnicom souhaitant se développer dans l'empire du Milieu.

«La presse chinoise m'attribue souvent la paternité des relations publics en Chine, explique-t-il en savourant un thé vert. Mais je préfère le terme de communication stratégique. Là-bas comme ici, les PR renvoient parfois à l'image caricaturale du cocktail-petits fours.» Un rien réducteur en effet pour ce conseiller officiel du Commerce extérieur de la France, tout juste nommé à la tête d'Omnicom Greater China, une nouvelle entité rassemblant 40 agences couvrant 130 villes en Chine, à Hong Kong, Macao et Taïwan.

«C'est l'une des cinq personnes habilitées à parler au nom d'Omnicom», explique Pierre-Yves Frelaux. Le président de TBWA Corporate France, l'une des enseignes d'Omnicom, a découvert l'entregent de cet homme discret en venant, à sa demande, présenter à plusieurs ministères chinois la communication gouvernementale française sur la grippe A orchestrée par son agence. «Il a des connections incroyables au gouvernement et dans les milieux culturel, caritatif et people, dit-il. Les patrons du CAC 40 dînent chez lui quand ils viennent en Chine.»

«Presque tout est possible en Chine»

Des connaissances et un réseau que cet entrepreneur développe dans la région depuis son plus jeune âge. Serge Dumont a en effet dix-sept ans quand il découvre l'Asie. En 1977, bac en poche, il part en vacances à Taïwan, à l'invitation d'un ami. Il y restera trois ans. «J'ai été séduit par l'optimisme ambiant qui régnait alors à Taipei [la capitale de l'île]. L'économie décollait», se souvient-il. Pour vivre et étudier sur place, il crée un café français et une agence de mannequins.

En 1985, après un poste en France dans l'export sur la zone Asie, il met le cap sur Pékin où il fonde Interasia, la première agence de relations publics en Chine. Son objectif: aider les entreprises occidentales à s'implanter dans le pays. «J'ai retrouvé en Chine continentale l'optimiste qui régnait à Taïwan dans les années 1970, cette confiance dans l'avenir, cette idée que tout est possible qui m'ont toujours attiré dans cette région du monde», explique le coauteur de Brand Warriors China, premier livre sur les entreprises chinoises souhaitant internationaliser leurs marques.

Tout paraît en effet envisageable sur le plan marketing dans ce nouvel eldorado, notamment pour les marques de luxe. En 2007, lors du défilé Fendi sur la Grande Muraille signé Proximity Live, filiale événementielle de BBDO, une des entités d'Omnicom, Serge Dumont œuvre en coulisses pour obtenir les autorisations. «Presque tout est possible en Chine à condition d'entretenir un dialogue de confiance mutuelle régulier avec le gouvernement», glisse-t-il. Serge Dumont connaît d'autant mieux les autorités chinoises qu'il les conseille. En 2003, il a ainsi géré, pendant l'épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère), la communication de crise pour le gouvernement municipal de Pékin.

Philanthrope, très impliqué dans la lutte contre le sida, il est aussi à l'origine de la première grande manifestation caritative chinoise destinée à faire connaître ce fléau: un grand bal mêlant institutions internationales, officiels chinois, ONG et grandes stars américaines, de Liz Taylor à Elton John.

«Aucun problème mondial ne sera résolu sans impliquer la Chine», commente Serge Dumont, nommé en 2006 ambassadeur de bonne volonté de l'Onusida. Mais pourquoi soutenir cette cause parmi d'autres? «Lorsque j'ai accepté la présidence du Rotary Club de Pékin, raconte-t-il, j'ai cherché comment mettre à profit mes compétences et mes contacts. J'ai choisi cette cause dont on parlait peu en Chine, à l'époque. C'est un sujet difficile qui touche aux interdits culturels qui structurent les sociétés humaines. La communication joue un rôle essentiel.»

Vice-président du comité consultatif international du Festival international de musique de Pékin, créateur du fonds qui porte son nom pour former des étudiants chinois à la communication, il était bien placé pour accompagner le développement d'Omnicom en Chine.

«J'ai vendu Interasia en 1993 à Edelman [réseau américain de relations publics], pour qui j'ai continué à travailler pendant cinq ans. J'assurais des missions de conseil quand j'ai rejoint Omnicom, dont j'apprécie la culture et le style de management humble, discret, décentralisé et remarquablement efficace.»

Le 3e marché publicitaire mondial

Jusque-là président de l'Asie Pacifique, de l'Inde, du Moyen-Orient et de l'Afrique, il va dorénavant se concentrer, avec Omnicom Greater China, sur un marché stratégique à haut potentiel. Dans un petit carnet rouge, Serge Dumont relève une série de chiffres éloquents: côté médias numériques, la Chine compte 457 millions d'utilisateurs d'Internet, contre 225 millions pour les États-Unis, et 900 millions de possesseurs de téléphones portables.

La grande Chine, d'ores et déjà troisième marché publicitaire mondial, devrait, d'ici à 2016, contribuer à 30% de la croissance globale du secteur. De quoi attirer les groupes de communication dans une région où des agences locales particulièrement dynamiques voient le jour. «Pour mieux répondre aux besoins de nos clients, nous pouvons faire des acquisitions ponctuelles sur des expertises pointues, comme la santé et le marketing relationnel, mais l'enjeu, pour l'essentiel, est de se développer par croissance organique afin de couvrir plus en profondeur l'ensemble des métiers de la communication», explique Serge Dumont.

Le groupe, qui dispose d'ores et déjà d'une belle présence géographique, mise plus que jamais sur la formation. Formation au digital de l'ensemble des collaborateurs, formation des managers invités à Harvard pour suivre durant plusieurs années le programme d'Omnicom University avec ses cours de management et de prospective, et formation à la communication en Chine, où Serge Dumont a noué des partenariats avec les meilleures universités. «Il est important d'embaucher des Chinois et les besoins en talents sont immenses, tant de la part des agences que de nos clients.»

Ravi d'être aux premières loges des grandes évolutions économiques mondiales, Serge Dumont évoque les changements en cours: «Les entreprises chinoises s'internationalisent avec de grandes ambitions. Les consommateurs sont de plus en plus fiers d'un pays qui redécouvre ses racines. Les marques locales et le marché de l'art explosent.» Mais la croissance, forte et rapide, a aussi des revers. «L'urbanisation massive, sans précédent historique, se fait au prix d'une dégradation considérable de l'environnement, poursuit-il. Les Chinois en sont conscients. Ils investissent dans les énergies renouvelables et demandent aux entreprises chinoises et étrangères d'adopter une démarche citoyenne et responsable en matière de développement durable.»

L'explosion économique cause également de fortes inégalités sociales. Le gouvernement s'attaque donc aux consommations trop ostentatoires. Les marques de luxe sont, dans ce contexte, appelées à revoir leur communication. «Pour conseiller les entreprises de manière optimale, il faut impérativement comprendre les problématiques de ce pays complexe, son cadre réglementaire en rapide évolution et la stratégie du gouvernement. D'où la nécessité d'un dialogue régulier avec les autorités», précise-t-il.

Et les droits de l'homme? N'a-t-il jamais eu d'état d'âme à travailler pour un régime qui les bafoue encore? «Nous assistons à une évolution significative des libertés, répond-il. Les Chinois peuvent aujourd'hui voyager, travailler où ils veulent. Ce n'est qu'un début. Ne demandons pas à la Chine de réaliser en trente ans ce qui a pris des siècles en Europe. Et n'oublions jamais de regarder avec la même exigence ce qui se passe ailleurs dans le monde, voire à nos portes.» Selon lui, la vision noire et manichéenne de certains Européens ne correspond pas à la réalité du pays. Un problème de communication, en somme…

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