création
Le réseau français veut renforcer sa puissance créative à l’international. Pour ce faire, il s’est doté d’un conseil de quatre directeurs de création, dont la nouvelle recrue du groupe, le Belge Erik Vervroegen.

«Professional gear for professional fighters» (équipement professionnel pour combattants professionnels). Estampillée ainsi, la Thermos d'Erik Vervroegen est posée en évidence sur la table basse du bureau d'Olivier Altmann, au siège de Publicis. Elle ne bougera plus jusqu'à la fin de l'entretien.

Cela fait un peu plus de quatre mois que le créatif belge, fameux «chasseur de Lions», officie chez Publicis. Ce matin de février, de passage dans les locaux du groupe, 133, avenue des Champs-Elysées, où il a un bureau, l'ancien directeur de la création de TBWA Paris puis «associate partner» de Goodby Silverstein & Partners prend publiquement la parole pour la première fois depuis son retour des Etats-Unis.

«C'est ma vingtième semaine chez Publicis et jusque-là, c'est une bonne surprise par rapport à ce que j'ai connu ailleurs. Je suis chez des gentlemen.» Chargé par Publicis de couvrir des zones aussi vastes que la Chine ou l'Inde, le nouveau directeur de création internationale parcourt la planète.

Une tâche très prenante qui semblait, pourtant, être à l'exact opposé de ses aspirations professionnelles. «Je sais que cette mission diffère de ce que j'ai pu dire par le passé. Mais j'ai évolué et le marché a, lui aussi, évolué.» Investi dans sa nouvelle mission, l'ancien champion de boxe thaï maîtrise parfaitement son discours.

Assis en face de lui, Olivier Altmann, ancien directeur de la création monde de Publicis Worldwide, devenu, au même titre que son confrère belge, membre du nouveau conseil créatif («creative board») depuis septembre, en sus de ses fonctions de directeur de la création de l'agence Publicis Conseil. Un statut que tous deux partagent avec Kevin Roddy, directeur de la création de Publicis Hal Riney San Francisco, et Craig Davis, coprésident et directeur de Publicis Mojo Australia.

Un comité exécutif souhaité par Jean-Yves Naouri, président exécutif de Publicis Worldwide, et présidé par... Arthur Sadoun, directeur général du réseau. Un nouveau modèle à l'essai servant deux objectifs: redonner de la puissance stratégique et de l'ambition créative au réseau. Et au final, apporter la croissance attendue par Publicis.

Parmi les 218 agences Publicis réparties dans 81 pays, trois zones sont dans la ligne de mire de ce nouveau «board»: les Etats-Unis, l'Asie et le Brésil. Outre-Atlantique, des recrutements importants au niveau commercial devraient également être annoncés dans les deux mois. Un enjeu fort pour que le réseau français puisse se faire une place parmi les géants américains? «Aux Etats-Unis, Publicis n'est pas perçu comme un réseau français», corrige Kevin Roddy, chargé de superviser la zone.

Autre enjeu: l'Australie, qui ne connaît pas la crise. «Dans notre zone, il y a dix agences capables de produire des campagnes de niveau mondial, donc la concurrence est rude tant au niveau des clients que des talents», explique Craig Davis. «En Europe, la Grande-Bretagne est aussi un sujet d'optimisation. Nous allons certainement recruter», dévoile Arthur Sadoun.
Afin de créer une impulsion, le réseau a donc fait le pari de tirer un trait sur l'ancien modèle du «gourou» créatif. Le président du nouveau conseil, Arthur Sadoun, prétend, lui, ne vouloir aucunement se mêler de création. Un fonctionnement assez inédit. Les quatre «ad men» doivent, eux, se voir au minimum deux fois par an: une fois en décembre et une fois en juin à Cannes.

Ainsi, avant Noël 2011, un «mini-Cannes» a été organisé en interne. «Eric a visualisé entre 500 et 600 travaux desquels il a sorti une short-list de 75 créations. Dans cette short-list, une quarantaine de travaux ont été jugés corrects», raconte Olivier Altmann.

Quid du résultat? «Tout vient de Belgique et tout est faux», plaisante Erik Vervroegen, clin d'œil à ses années TBWA où certains travaux, sur fond de démarche proactive, avaient défrayé la chronique. «Plus sérieusement, nous avons vu du très bon travail sur Orange, Renault , Carrefour, et émanant d'un peu partout.»

Constat unanime: l'art de raconter des histoires se fait de plus en plus rare. «Nous avons pourtant besoin de ce type de grandes campagnes pour émerger dans les jurys internationaux», ajoute Olivier Altmann. A ce titre, le groupe mise beaucoup sur l'imminente campagne mondiale de la marque Ray-Ban, budget confié à Eric Vervroegen.
A ces deux temps forts annuels s'ajoutent les déplacements, chaque semaine, d'Erik Vervroegen dans une agence du réseau. «Erik devient un “super-directeur de création”. Il est très méthodique et plus pugnace que moi dans ce rôle qui consiste aussi à recruter des talents dans tous ces pays», explique Olivier Altmann, recentré sur la France.

Un réajustement de poste qui a sonné pour beaucoup comme un désaveu. «En termes de titre, on peut, en effet, voir ça comme une régression, reconnaît l'intéressé. Mais c'est bien en amont que Maurice Lévy [président du directoire de Publicis Groupe] m'a confronté à un cas de conscience, celui de choisir entre faire de l'international à 100% ou me concentrer sur un seul pays. J'ai préféré être international via des clients français comme Axa, Renault et Orange.» Il réfléchit puis poursuit: «Mais c'est évident qu'au niveau du titre et de l'ego, j'ai eu du mal à le digérer.»
Erik Vervroegen enchaîne aussitôt: «Je n'ai pas pris le poste d'Olivier. Je le respecte énormément. Je suis même venu parce que c'était lui. Je vois notre évolution à travers un travail collaboratif. A mon âge, je ne peux pas me permettre d'aller dans un endroit où ça va être la “baston.”» Malgré tout, le malaise est palpable car le nouveau modèle du «creative board» de Publicis devra vite faire ses preuves. Le Festival de Cannes aura lieu dans quatre mois.

Erik Vervroegen insiste: «Il serait dommage de résumer ce qui est en train de se passer ici au simple comptage des Lions.» En 2011, le réseau Publicis en a engrangé 29. Dans le cas d'un score inférieur cette année, des têtes tomberont-elles? «Il est clair que l'on va compter les points et regarder d'où viendront les prix. S'ils arrivent d'Asie et de Ray Ban, on dira alors “A star is born” chez Publicis. Alors, on verra...», lâche Olivier Altmann.

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