Il tourne la page Havas en constituant un groupe indépendant, né du rachat et de la fusion des agences Ligaris, Ministère et Plan créatif, qui proposera dès septembre une offre globale «alternative à Havas et Publicis».

Laurent Habib n'a pas traîné. Deux mois après sa démission d'Havas, annoncée le 5 avril 2012, l'ex-directeur général du groupe et président de sa filiale Euro RSCG C&O, dévoile son nouveau bébé: une enseigne indépendante de quelque 180 salariés, baptisée Babel, née du rachat et de la fusion de trois agences: Ligaris, Ministère et Plan créatif (lire l'encadré).

«Je ne voulais pas devenir un simple consultant ni trahir Havas en rejoignant un concurrent, explique-t-il à Stratégies. Je suis par ailleurs persuadé qu'il existe une place pour une offre alternative à Publicis et Havas, ce duopole qui se partage historiquement les plus grands clients du marché.»

Après vingt-deux ans comme salarié chez Havas, Laurent Habib apparaît en grande forme dans ses nouveaux habits d'entrepreneur. A cinquante ans, le voilà libre de construire une agence intégrée en phase avec ses réflexions sur l'évolution de la communication, objet de deux ouvrages publiés aux PUF, La Communication transformative et La Force de l'immatériel. Une liberté qui lui a fait défaut chez Havas, dit-il: «En charge des politiques communes aux agences, je n'ai pas réussi à prendre la main pour conduire les projets transversaux nécessaires. Je voulais donner de l'avance au groupe. J'ai été confronté à des points de blocage successifs, des systèmes féodaux et des enjeux de pouvoir». Sa démission a accéléré la restructuration du groupe Havas (lire ci-contre).

Place aujourd'hui à Babel. D'emblée, le nouvel ensemble veut rimer avec innovation, association et intégration. Il se compose d'agences indépendantes dont Laurent Habib connaît et apprécie les managers pour avoir travaillé avec eux, notamment sur le budget EDF. «Nous étions sur le point de signer avec un groupe quand Laurent Habib est venu nous trouver. Il a été très convaincant», raconte Laurent Lilti, ex-président de Tequila et de TBWA Interactive, cofondateur de Ministère en 2010 avec Lucas Mongiello et Pierre Sitbon, fondateurs de Mediaquest devenu Ogilvy Interactive. «Nous avons eu un coup de cœur pour Laurent Habib, sa vision et son énergie folle, commente Pierre Sitbon. Il place le digital au cœur de l'agence, non dans un carcan. Il apporte un nouveau souffle dans un marché particulièrement atone. Enfin, il nous permet de rester associés dans une dynamique entrepreneuriale.»

Même enthousiasme du côté de Fabienne Cammas, vice-présidente de Plan créatif nommée directrice de l'innovation et des contenus de Babel. Elle aussi sera associée dans ce projet «aspirationnel» construit dans l'idée que les organisations «plates» sont, de loin, les plus performantes. Une opportunité qui arrive à point nommé. A plus de soixante ans, Clément Rousseau et Patrick Le Mahec, fondateurs de Plan créatif, songeaient à prendre du recul. Tout comme Pierre Siquier, soixante-trois ans, qui a vendu ses parts de Ligaris, mais reste actionnaire du nouvel ensemble. «Je partirai dans un an, précise-t-il. Avec la satisfaction de laisser mes équipes au cœur d'un projet dynamique qui a toujours été le mien: bâtir une agence globale susceptible de rivaliser avec les grands groupes.»

Nouvelles méthodes de travail

La nouvelle équipe l'assure: la fusion de ces agences très complémentaires n'occasionne ni licenciements ni budgets doublons. «Elles sont en croissance. L'idée est de les développer, non de les détruire, précise Pierre Siquier. L'heure est à l'embauche.» Les recrutements sont en cours pour compléter une offre rassemblant tous les métiers de la communication et le conseil en stratégie. «Les agences de communication ne doivent pas laisser aux cabinets de conseil le monopole de la “business intelligence”», pointe Laurent Habib. Ce spécialiste de la communication institutionnelle, conseiller de nombreux patrons, s'apprête à recruter cinq conseils en stratégie en plus d'une dizaine de spécialistes en e-réputation et médias sociaux.

«La conception, la production et la diffusion de contenus sont aujourd'hui primordiaux pour créer des liens, changer les comportements, sensibiliser et fidéliser. C'est pourquoi Babel donnera une place déterminante au design, à l'édition, à l'e-réputation, au social media et à l'“user intelligence”», ajoute-t-il.

Babel, dit-il, devra pouvoir, en cohérence, repenser l'architecture de marque d'un client, concevoir et produire son site e-commerce, déployer sa stratégie de marque employeur, organiser la refonte de son réseau de distribution physique tout en concevant ses spots.

 Pour la publicité, je vois les choses en grand. Une vingtaine de recrutements sont en cours», précise Laurent Habib, qui devrait bientôt annoncer l'arrivée d'un directeur de la création.

Pour lui, la publicité reste un outil central, fondateur, le point de rencontre unique entre le récit de la marque et son univers symbolique. Elle doit pourtant, ajoute-t-il en susbtance, évoluer, s'ouvrir sur le monde, gagner en qualité, servir la spécificité des marques et non, comme aujourd'hui, leur indifférenciation.

Ces mutations vont s'accompagner de nouvelles méthodes de travail. Le planning stratégique de Babel sera renforcé par un pôle études intégré. Un client sera suivi par un trio consultant producteur-consultant stratège-consultant innovation, non par un consultant unique. Les équipes opérationnelles, concentrées sur le temps court et la gestion des urgences, seront ainsi épaulées et accompagnées par un consultant en charge de la gestion patrimoniale de la marque. A l'affût de tendances, d'idées et de technologies nouvelles, le consultant innovation ouvrira, de son côté, le champ des possibles pour plus de valeur ajoutée.

Enfin, Babel veut créer un signal fort en direction des annonceurs avec une fonction transversale jusque-là réservée à leur organisation interne: la direction de la relation client. Elle aura pour mission de gérer l'écoute et la mesure de la satisfaction clients sur laquelle une partie de la rémunération de l'agence pourra être indexée.

Après un été studieux, Babel devrait être en ordre de marche dès septembre, date de l'installation de l'ensemble des équipes dans les bureaux de Ligaris, soit 2 500 m² situés rue Greneta, au cœur de Paris. A terme, l'agence pourrait ouvrir son capital à un groupe de communication. Celui du premier actionnaire d'Havas? «Je suis resté en très bon terme avec Yannick Bolloré, explique Laurent Habib. Babel doit pouvoir s'appuyer sur des partenaires, notamment pour bénéficier d'un réseau international.»

En attendant, il continuera de gérer quelques-uns de ses grands clients, comme Sodexo, qu'il conseillera avec les équipes d'Euro RSCG C&O. Deux autres budgets seront gérés en collaboration Havas-Babel: Banque populaire et La Poste. La machine est en marche.

 

(encadré)

Babel en bref

18 millions d'euros. Marge brute.

180. Nombre de salariés.

60%. Part du digital dans l'activité.

3. Nombre d'expertises fondatrices: corporate (Ligaris), design, innovation et contenus digitaux (Plan créatif) et communication digitale, CRM, e-commerce, data et analytics (Ministère).

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