Martin Sorrell, PDG de WPP, doit faire face à la bronca de ses actionnaires, révoltés par l'augmentation de 60% de son salaire. Dans un entretien à Stratégies, il réaffirme être en mesure de maintenir le leadership mondial de son groupe.

Les jours qui viennent de s'écouler ont sans doute été parmi les plus difficiles de la carrière de Martin Sorrell, le patron de WPP, numéro un mondial de la publicité. Lors de l'assemblée générale qui devait se tenir le 13 juin à Dublin, nombre d'actionnaires du groupe, révoltés par son niveau de rémunération, n'ont pas caché leur intention de demander sa démission. La cause de cette bronca: son salaire total de 6,8 millions de livres. Soit 60% de plus que l'année précédente, et plus que ce que le niveau de performance de WPP devrait lui permettre de demander, estiment plusieurs observateurs. De fait, le chiffre d'affaires, les profits et les actions du groupe n'ont progressé chacun «que» de 5 à 20%.

«Je ne possède que 2% des actions du groupe», a indiqué Sir Martin à Stratégies avant de monter sur le ring à Dublin pour faire face à cette révolte actionnariale. «Je ne suis pas l'actionnaire majoritaire. Dès lors, si un jour le conseil d'administration me dit que je suis trop vieux, que j'ai causé assez de dommages au groupe et que je dois m'en aller...».

Le CEO de WPP a toutefois pris soin de rappeler, dans une tribune au Financial Times quelques jours avant l'AG, que c'était lui qui avait pris tous les risques pour bâtir cette multinationale qu'est aujourd'hui WPP. «I act like the owner I am», expliquait-il non sans ironie pour démontrer qu'il n'était pas un CEO tout à fait comme les autres. Mais cela n'a guère calmé des opposants surfant sur le «printemps des actionnaires» qui a déjà fait plusieurs victimes parmi les grands patrons anglo-saxons. Sans compter que le déménagement de WPP de Londres à Dublin, en 2008, qui a permis à WPP de ne payer que 12,5% d'impôts sur ses profits étrangers, a un peu plus écorné l'image de son patron.
Martin Sorrell en profite pour épingler au passage son meilleur ennemi Maurice Lévy, «qui reçoit une indemnité de départ sans devoir partir à la retraite, ce qui me semble assez étrange». Il ajoute: «Le vrai débat sur les rémunérations porte avant tout sur les performances. Or Publicis ne représente que la moitié de la taille de WPP. La comparaison la plus pertinente pour nous, c'est Omnicom, qui représente environ 80-85% de notre volume.» John Wren, patron du groupe américain, a gagné 15,4 millions de dollars, soit une hausse de 40%.

Le patron britannique concède toutefois que l'approche globale de WPP est beaucoup plus proche de celle de ses rivaux français. «Seulement 10% environ de notre chiffre d'affaires est réalisé au Royaume-Uni. Nous avons finalement la même philosophie que Publicis ou Havas, qui doivent eux aussi être orientés vers l'international. Seule l'expansion peut permettre de survivre. Je n'utiliserais pas votre terme très napoléonien de "conquête", simplement d'attitude très différente par rapport aux Américains comme Interpublic et Omnicom qui peuvent dès le départ s'appuyer sur un réservoir de 310 millions d'habitants.» Et de moquer le manque de dynamisme d'Omnicom «qui a tenu son premier conseil d'administration en Chine seulement l'an dernier, alors que nous y étions dès 1989».

Depuis sa création en 1971 et jusqu'à son rachat par Martin Sorrell en 1985, WPP était essentiellement spécialisée dans la fabrication de chariots et de paniers de course. Sous son impulsion, en seulement deux décennies, WPP est devenu le plus grand groupe de communication au monde, avec près de 150 000 employés et une liste impressionnante de filiales: TNS Sofres, Ogilvy, Young & Rubicam, JWT, Kantar et... quelques centaines d'autres. Auparavant, entre 1977 et 1984, Sorrell avait été le directeur financier de Saatchi & Saatchi. Acteur prépondérant de l'expansion de l'agence au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il y fut d'ailleurs surnommé «le troisième frère».
A près de soixante-sept ans, ce petit fils d'immigrés ukrainiens n'est plus considéré comme le brillant capitaine d'industrie qu'il a été depuis près de trois décennies. Sa dernière acquisition de taille remonte à quatre ans. Réputé pour sa tendance au micro-management, se disant lui-même obsédé par la dernière ligne des tableaux comptables, Martin Sorrell est l'antithèse des créatifs publicitaires. Quand on lui demande d'où lui vient sa vocation pour la publicité et la communication, lui qu'on verrait davantage enchaîné avec son coffre-fort au sommet d'une grande banque, il répond: «J'y suis venu un peu par accident, à quarante ans, au cours de ce que j'appellerais ma période d'andropause.» Le mitan de la vie peut faire des miracles.

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