L'affaire Cahuzac a de nouveau exposé aux critiques les «spin-doctors» et leurs pratiques, à commencer par celles du conseiller de l'ex-ministre du Budget, Stéphane Fouks.

«Ce mensonge qui ouvre une crise démocratique.» Le titre de l'éditorial du Monde en une de son édition datée du 4 avril résume le cataclysme déclenché par l'aveu de l'ex-ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, qui, après quatre mois de déni, a reconnu devant les juges, mardi 2 avril, détenir un compte bancaire à l'étranger «depuis une vingtaine d'années». La crise touche de plein fouet le gouvernement, Pierre Moscovici et Jean-Marc Ayrault au premier chef, et jusqu'au président François Hollande. Loin de la «République exemplaire» prônée par ce dernier, cette nouvelle affaire ne va pas manquer de nourrir le discours du«tous pourris» et accélérer encore le divorce de l'opinion avec la classe politique.

Dans le maelström politico-médiatique qui accompagne cette crise, une catégorie d'acteurs de ce théâtre d'ombres n'échappe pas à la tourmente: les conseillers en communication politique, à commencer par Stéphane Fouks, «spin doctor» de l'ex-ministre. Le 3 avril sur France Info, Michel Gonelle, adversaire politique de Jérôme Cahuzac à Villeneuve-sur-Lot, à l'origine de l'enregistrement qui a fait tomber l'ex-ministre, mettait directement en cause ces «gourous qui sont indignes dans une démocratie. Ce sont des communicants qui maintenant entourent la plupart des hommes politiques d'importance, en leur disant: “Faites-ci”, “Faites-ça”, “Prenez cette phrase”, “Répétez-la sans arrêt”, ces éléments de langage qu'on leur donne tout mâché! Le drame est là, et cette affaire va faire de grands ravages dans la vie démocratique française.»

Contacté par Stratégies le 4 avril sur les pistes des Rocheuses canadiennes, où il séjourne tous les ans à la même époque, Stéphane Fouks réplique: «Nous sortons la tête haute dans cette affaire et nous avons fait notre travail. Nous avons été victime d'un mensonge comme beaucoup d'autres. Dès que j'ai appris la vérité, j'ai arrêté de travailler pour Jérôme [Cahuzac]. Comme les avocats, nous sommes soumis à un risque dont il est difficile de se prémunir: le mensonge.» Le Monde semble pourtant en douter, si l'on en croit un article du même jour évoquant une confidence faite dès le 12 décembre 2012 par Alain Bauer, un vieil ami de Stéphane Fouks, pour qui «évidemment [Cahuzac] a un compte en Suisse». «Sur ce point, j'ai la même position que celle de Jean-Pierre Mignard, l'avocat de Mediapart [et proche de François Hollande], telle qu'il l'a exposée dans un entretien accordé à Libération [daté du 4 avril]: le doute est une chose, la conviction en est une autre», lance Stéphane Fouks. 

Depuis le début de l'affaire suite aux révélations de Mediapart début décembre 2012, le vice-président du groupe Havas, également «executive co-chairman» d'Havas Worldwide et CEO d'Havas Worldwide France (ex-Euro RSCG C&O), est l'objet d'un feu nourri de critiques. Dès octobre, du reste, Marianne titre «Euro RSCG revient par la fenêtre… des ministères». Le 10 janvier 2013, Challenges s'interroge: «Stéphane Fouks est-il encore influent?»

Après l'aveu de Jérôme Cahuzac sur son blog, c'est un tir groupé d'articles souvent peu amènes sur Stéphane Fouks: «DSK, Cahuzac: cherchez le consultant d'Euro RSCG»(Slate.fr, 3 avril), «Après l'aveu de Cahuzac, la mise en accusation des “gourous de la com”» (Rue 89, 3 avril), «Mais pour qui roule Stéphane Fouks» (Le Monde, 4 avril), «Fouks, la com arrêtée net» (Libération, 4 avril)… Un «press book» bien garni à mille lieues des articles plutôt élogieux publiés il y a quelques années encore, comme celui du Point le 19 novembre 2009: «Le nouveau gourou des politiques.» A l'époque, il est vrai, l'échec de Lionel Jospin à l'élection présidentielle de 2002, dont Stéphane Fouks fut l'un des conseillers avec Jacques Séguéla, était déjà bien loin dans les esprits.

Mais depuis, le consultant politique a essuyé de nouveaux revers: la primaire manquée de Dominique Strauss-Kahn en 2006, la chute de Laurent Gbagbo à l'élection présidentielle ivoirienne de 2010, sans oublier évidemment la préparation de la candidature de DSK à la présidentielle de 2012 désintégrée par la déflagration internationale suite à  l'affaire du Sofitel de New York. Et désormais l'affaire Cahuzac. 

A chaque fois, le «système Fouks» est montré du doigt. «Il est inévitable d'être visible dans ce métier. ll faut assumer le fait d'être le porte-parole d'un client et la référence sur son marché», plaide, un brin immodeste, l'intéressé, qui prend soin d'ajouter que cette activité de conseil politique, «pour l'essentiel non rémunérée», représente «moins de 1% de l'activité du groupe». Ce à quoi Ghyslaine Pierrat, conseillère en communication politique et économique, et auteur du livre La Communication n'est pas un jeu. Les spin doctors à la française (L'Harmattan), répond: «Un spin doctor a une responsabilité sociale importante. Une bonne stratégie de com, c'est celle qu'on ne voit pas.»

La capacité que l'on prête à Stéphane Fouks de «placer» ses hommes (et femmes) au coeur du pouvoir – qu'il ne néglige pas d'ailleurs d'accréditer lui-même souvent au grand dam des principaux intéressés – alimente en tout cas les suspicions de manipulation et de mélange des genres. «Sa position de mercenaire collaborant à gauche comme à droite pose question et, d'une certaine manière, le fragilise quand il y a une crise comme l'affaire Cahuzac. Il ne dispose alors d'aucun appui, ses amis de gauche le désavouant, ceux de droite préférant jouer la carte de l'attaque», estime un consultant en communication proche de la droite.

«Si je donne quelques conseils à des amis de droite, je n'ai jamais fait de présidentielle pour un candidat de droite. Tout le monde connaît mes engagements. Mais l'agence, elle, est républicaine et reflète la diversité des opinions, répond Stéphane Fouks. Il serait dommage de se passer de talents que l'on peut attirer au gré des alternances politiques.» 

Un maillage très étendu

De fait, s'il n'a jamais caché ses convictions de gauche (adhérent à la section socialiste de Charenton-le-Pont dès l'âge de seize ans, cofondateur de l'Unef-ID en 1980), Stéphane Fouks ne néglige pas ses amitiés et ses relais à droite. Un temps lié à Jean-François Copé (depuis, ce dernier a pris ses distances), il reste proche de Xavier Bertrand, qui lui a remis la Légion d'honneur en 2008. Les plus proches collaborateurs de ce dernier sont tous passés par Euro RSCG C&O: Florence Depret, aujourd'hui chez Croissance plus, Glawdys Huré, actuellement consultante indépendante, et Michel Bettan, vice-président partner d'Havas Paris. Au sein du gouvernement Fillon, Valérie Pécresse, Frédéric Mitterrand, Nathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez, Benoist Apparu et Bernard Kouchner ont aussi fait appel au vivier de l'agence.

A gauche, sans surprise, la liste est tout aussi longue des «infiltrés» d'Havas: Marie-Emmanuelle Assidon, un temps rue de Solférino auprès de Martine Aubry, est aujourd'hui aux côtés de Laurent Fabius au Quai d'Orsay. Cosignataire du livre Le Monde d'après, une crise sans précédent avec le banquier Matthieu Pigasse, Gilles Finchelstein, membre de l'ex-équipe rapprochée de DSK (avec Ramzi Khiroun, Stéphane Fouks et Anne Hommel, qui vient de reprendre le dossier Cahuzac) est désormais la plume de Pierre Moscovici à Bercy. Sacha Mandel officie aux côtés du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. On trouve aussi Viviane Nardon auprès du président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, Emilie Lang-Banaszuk au service de presse de l'Elysée…

Le maillage est si étendu que certains y voit un vrai réseau. La nomination de Marion Bougeard, ex-directrice associée d'Euro RSCG C&O (qui conseilla Liliane Bettencourt lors de l'affaire Woerth), au poste de conseillère en communication de Jérôme Cahuzac, lors de son arrivée au ministère du Budget, a été en l'espèce le coup de trop, selon Jean-Christophe Alquier, président d'Alquier Communication et qui fut conseiller de Françoise Bettencourt: «Placer au ministère du Budget une consultante ayant eu directement affaire à un dossier de fraude fiscale montre à quel point la notion de conflit d'intérêt est éloigné de leurs préoccupations.»

Ce mélange des genres peut aboutir, comme l'ont souligné Aurore Gorius et Michaël Moreau, auteur des Gourous de la com, à des conflits d'intérêt, par exemple lorsque Havas Paris a conseillé Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, en plein conflit avec PSA Peugeot-Citroën… un client historique du groupe publicitaire. «Les clients comprennent très bien cela, rétorque Stéphane Fouks. Il suffit d'être transparent. Après, ce sont eux qui décident.»

Fin de cycle ?

Des conflits d'intérêt, mais aussi des pressions que Fabrice Arfi, le journaliste de Mediapart qui a révélé l'affaire Cahuzac, a évoquées au micro de France Inter, le 4 avril. «Un grand hebdomadaire [Le Journal du dimanche] a titré “Les Suisses blanchissent Jérôme Cahuzac” sur la foi d'une opération de communication dont aujourd'hui Pierre Moscovici, qui en est à l'origine, dit à Mediapart: “J'ai été utilisé.” Oui, il y a eu des officines: elles s'appellent Euro RSCG dans cette affaire, qui a manœuvré auprès des rédactions, y compris en répandant des rumeurs sur ma famille, pour cacher les faits.»

Pierre Moscovici, cité par Le Monde, reconnaît en effet «la main de l'équipe de com' de M. Cahuzac» dans la publication le 10 février de l'article du JDD. Quelques jours avant la sortie du journal dominical, Stéphane Fouks pensait l'affaire réglée au vu de la réponse transmise par UBS à Bercy. «Nous ne sommes plus dans la communication ou l'information, analyse Jean-Christophe Alquier, mais dans un rapport de force et de pouvoirs. C'est sans doute là la plus grande erreur. Une erreur de méthode, une erreur morale.»

Cette erreur sera-t-elle cette fois-ci fatale à Stéphane Fouks? A Matignon et à l'Elysée, on commencerait à s'agacer de ce réseau de communicants strauss-khaniens dont on se souvient qu'il a joué un rôle dans la défaite de Lionel Jospin. Selon Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, il y a eu instrumentalisation de l'administration fiscale dans la demande d'entraide administrative auprès de la Suisse. Le journaliste soutient que Mediapart a fait réference à la banque Reyl dès décembre 2012 et que Pierre Moscovici n'avait pas à limiter sa demande à UBS. Gilles Finchelstein, conseiller du ministre, suivait-il de près l'affaire? A-t-il influé dans un sens ou un autre?

«Nous avons connu une fin de cycle sur le terrain de l'influence après l'ère Pilhan, au “process” méthodique basé sur les études et une économie de la parole. Nous voyons aujourd'hui la fin de la méthode Fouks, aux comportements de cow-boy», pense un spécialiste des relations publics.

On peut en effet aussi imaginer que les nombreux patronsqu'il conseille (Bernard Arnault de LVMH, Alexandre de Juniac d'Air France, Antoine Frérot de Veolia Environnement, Henri Proglio d'EDF ou Stéphane Richard de France Télécoms-Orange) n'apprécient guère le tapage médiatique que provoque Stéphane Fouks depuis quelques années. «Cette affaire n'aura aucun impact sur le groupe, assure Jacques Séguéla. Havas n'a jamais eu de contrat avec Cahuzac, Stéphane Fouks a agi en son nom personnel.» Une manière pour le vice-président d'Havas en charge de la création de prendre ses distances, en cette période troublée, avec son «fils spirituel»… «En ce qui nous concerne, cette affaire n'aura aucune incidence sur nos relations avec Stéphane Fouks et ses équipes, commente pour sa part Antoine Sire, directeur de la communication de BNP Paribas, client d'Havas Paris. Nous travaillons avec eux sur des prestations très classiques. Stéphane est un “sparring partner” parmi d'autres pour le groupe, il a une très bonne connaissance du paysage médiatique et de bons réflexes, mais les entreprises ne travaillent pas avec les spin-doctors comme les politiques. La relation est plus distanciée.»

 

Terrains riches en opportunités

L'impact côté business serait donc marginal. «Je suis toujours stupéfait par sa capacité à rebondir», lance Marc Vanghelder, président de Leaders & Opinions et ancien associé de Stéphane Fouks avec lequel il fonda RSCG Public en 1988. Cette résilience s'expliquerait, selon lui, par la puissance des réseaux franc-maçons et socialistes dont bénéficierait le vice-président d'Havas. Ses plus proches et anciens amis ne sont-ils pas Alain Bauer, ancien maître du Grand Orient de France et consultant en sécurité, et Manuel Valls, actuel ministre de l'Intérieur?

Il faut bien reconnaître que l'affaire DSK, autrement plus gênante pour Stéphane Fouks, n'a pas vraiment nui aux affaires d'Havas et de son dirigeant. «Si ce n'est que Sarkozy et Matignon, à l'époque, avaient demandé d'arrêter la collaboration avec Euro RSCG, rappelle un ancien conseiller du précédent locataire de l'Elysée. Mais les patrons, comme les politiques, adorent les conseillers qui peuvent leur rendre quelques petits services grâce à leur carnet d'adresses…»

«En fait, cette affaire peut davantage le fragiliser en interne qu'à l'externe», estime un autre consultant en communication proche de l'Elysée. De fait, depuis les différents qui l'ont opposé à Vincent Bolloré au sujet de la réorganisation d'Havas l'an dernier, beaucoup disent Stéphane Fouks sur la sellette. «Sans compter que depuis l'affaire Gbagbo, on lui a interdit d'intervenir en Afrique, chasse gardée du groupe Bolloré, qui gère entre autres le port d'Abidjan, pour des questions de conflits d'intérêt et d'image», assure un communicant habitué des allées du pouvoir en Afrique.

«Travailler avec Vincent Bolloré est un plaisir et nous poursuivons notre développement en Afrique et au Maghreb, qui sont des zones de croissance pour notre groupe», dément Stéphane Fouks, qui évoque notamment la visite officielle en France du président camerounais Paul Biya en février dernier.

Mais à l'étranger, pour l'heure, ses dossiers les plus chauds ont pour noms Viktor Pinchuk, oligarque et mécène ukrainien, et Nicolas Maduro, président par intérim du Vénézuela et candidat à la succession d'Hugo Chavez à la tête du pays. «Si l'ambiance à propos de Stéphane est très crispée au sein d'Havas, il ne faut pas oublier qu'il rapporte à lui seul 25 à 30 millions de marge avec son portefeuille de clients», remarque une communicante proche du groupe.

A cinquante-trois ans, Stéphane Fouks doit finalement sa réputation, enviée et sulfureuse à la fois, certes à son talent et à son carnet d'adresses, mais aussi à sa formidable capacité à profiter de deux alliés objectifs: les politiques et les médias. «En ces temps de défiance de l'opinion, la croyance des politiques dans le fait que la communication se substitue quasiment à tout, un phénomène qui s'est accéléré avec le quinquennat de Sarkozy, fait que les signes supplantent désormais les idées et les valeurs», analyse Jean-Christophe Alquier. Un terrain riche en opportunités et que Stéphane Fouks n'est pas le dernier à avoir exploité.

Quant aux médias, ils ont en grande partie contribué à la construction du personnage Fouks, sorte de deus ex-machina offrant une «story» idéale pour la presse, tant le dirigeant d'Havas est un «bon client». «Sa surexposition est le revers de cette mise en scène. Mais dans la réalité, tout le monde – en tout cas les Publicis, Anne Méaux [Image 7] et autres Calzaroni [DGM Conseil] – usent des mêmes ficelles», observe une professionnelle de la communication. Et finalement, selon un conseiller d'entreprises du CAC 40, «les patrons entretiennent avec Fouks une relation plutôt distanciée, parfois amusée voire ironique». Stéphane Fouks, un fou des rois?

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